Oudrosciencepo, Un atelier Oudropo,, à Science-po.

Par trois oudropiens : Emmanuel Jeuland, Lisa Carayon et Viveca Mezey ;

Compte rendu. Semaine doctorale intensive de l’IEP de Paris – 21 juin 2017, 11 h 15 – 13 h.

Pour la première fois, un atelier Oudropo,, a été présenté en public.

 

Introduction.

  1. Emmanuel Jeuland a commencé par faire une présentation de l’Oudropo,, comme une « legaltech » à but non lucratif. Il s’agit de créer du droit notamment en utilisant les nouvelles technologies mais non pour prédire le droit mais pour ouvrir de nouvelles potentialités. L’oudropo,, peut être situé au sein du mouvement Droit et littérature comme étant une science appliquée. En général ce mouvement est présenté à travers deux expressions anglais Law as littérature, le droit comme fiction et narration et Law in littérature, par exemple les notaires chez Balzac. A vrai dire, ce mouvement a un potentiel critique important (V. Julie Saada, séminaire Droit et Littérature, mardi 20 juin 2017, SDI Science-po) puisqu’il invite à réfléchir à l’auteur et au recréateur du texte qu’est le lecteur. Oudropo,, se situe dans cette mouvance critique de Droit et Littérature. En effet, il apparaît souvent que les créations de droit potentiel proposées sont assez détonantes et conduisent à remettre en cause le droit positif ou en tous les cas à le voir autrement. Il apparaît que l’OuLiPo, l’ouvroir de littérature potentiel créé en 1960 peut être vu comme Litterature as law, puisque les oulipiens utilisent des contraintes donc des normes pour créer de la littérature. Oudropo,, serait alors Law from Litterature, la création de droit à partir des méthodes de la littérature.

Réactions : un participant à cet atelier historien du droit à Nantes, M. Frédéric F. Martin qui rêvait d’un Oudropo,, depuis longtemps se sent oudropien depuis toujours (il a co-organisé un colloque sur les formes brèves en droit avec Laurence Giavarini) et connaît bien l’Oulipo propose une hypothèse historique passionnante concernant les relations entre forme et langage. Du Bellay, Défense et illustration de la langue française ou Ramus sont de ceux qui contribuent à un repli de la rhétorique vers une sorte de stylistique et d’esthétique. En découle à la fois l’autonomisation progressive de la littérature et l’oubli progressif de la rhétorique. Le phénomène n’est pas exclusivement français mais l’écart entre belles-lettres et droit prend en France une expression peut-être privilégiée. L’importance des formules et formulaires en droit, qui perdure jusqu’à aujourd’hui, constitue un indice essentiel du rapport au formalisme juridique et, partant, à la différence entre droit et non-droit (mais aussi public/privé). Des formulaires épistolaires circulaient qui pouvaient tout aussi bien servir pour une lettre privée que pour faire un acte juridique. Les règles de la versification sont repensées à cette époque et la littérature émerge comme un champ autonome de la rhétorique. L’origine du droit français moderne serait donc des contraintes formelles exercées à la langue comme une expression d’une distinction renforcée entre droit et non-droit.. Les deux se distinguent ensuite à partir d’une source commune tout en conservant peut-être cette origine contrainte. Cela expliquerait que l’Oulipo soit lié à la langue française même s’il a ensuite essaimé en Italie (I. Calvino) et dans le reste du monde (Autriche, Angleterre, etc.). Les formulaires épistolaires viendraient eux-mêmes d’une tradition pontificale en latin. On assiste à un renouveau de l’art épistolaire aux XIe-XIIIe siècle et au relais qu’apporte la chancellerie pontificale au point de doter certaines lettres pontificales d’un rythme particulier (nota : l’auteur du texte en lien, Benoît Grévin, est un brillant spécialiste contemporain de ces liens entre rhétorique et institution au Moyen Âge).

Puis Lisa Carayon et Viveca Mezy présentent des exemples de créations oudropiennnes.

Contrainte : réécrire un texte en remplaçant un ou plusieurs mots par leurs antonymes (ici antonymes juridiques).

Article 544 du Code civil initial : « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlement »

  • Article 544 du Code civil oudropié :

« La propriété est l’obligation de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlement »

OU « La propriété est le droit de jouir et de disposer des personnes de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlement »

Explications : cet exercice permet d’interroger la notion de propriété par rapport à la notion d’utilité. Notamment au regard des contraintes qui pèsent sur les propriétaires. On peut également y voir une interrogation sur la limite entre droit réel et droit personnel.

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Réactions des participants :

  1. F. Martin pose une question sur la méthode de choix des antonymes : se réfère-t-on à un certain « rang » d’antonyme tel que l’on peut les rencontrer dans les dictionnaires ?

A cet égard, on rappelle le travail de Louise Scalbert qui a transformé l’ancien article 1382 du Code civil avec différents rangs de synonymes.

Question de M. Julien Jeannenet Maitre de conférence à Paris 1 sur la notion d’antonyme en droit : comment déterminer ce qui est vraiment « le contraire » d’une notion juridique (par exemple le contraire de validité? Nullité? Illicéité?) ? Spontanément les participants auraient pensé que le contraire de « droit » était « interdit ».

 

 

Puis Lisa Carayon et Viveca Mezy présentent de nouveaux exemples de créations oudropiennnes.

 

Contrainte : Définitions obliques : on définit un mot en le mettant en relation avec d’autres, avec lesquels il a des éléments communs.

  • Loi : une contrainte vécue avec joie sous l’autorité du souverain

Parce que loi+sire = loisir

  • Vente : transfert de la propriété par le seul consentement des personnes comme par l’air qu’elles respirent

Parce que vente+eux = venteux

Réaction :

Puis Lisa Carayon et Viveca Mezy présentent de nouveaux exemples de créations oudropiennnes.

Contrainte : Écrire un texte de nature littéraire dans un langage juridique

  • « Pour des questions de morphologie, on pensait qu’il était l’ancêtre de l’éléphant d’Asie » (Le Figaro 12 juin 2017, p. 17)
  • Article O. 1o1-0 du Code pachydermique : « Sans préjudice des dommages-intérêts, tout éléphant géant, compte tenu de sa morphologie établie conformément à l’article R. 312-5-4 de l’environnement, est l’ancêtre de l’éléphant d’Asie. »

Réactions :

  • Interrogation sur ce qui « fait droit » ; sur le fait que la tentation est souvent de présenter la norme juridique sous la forme si/alors alors qu’en réalité de nombreux textes ne peuvent pas être rédigés ainsi.
  • Débat justement sur ce point : si un texte ne peut être rédigé sous la forme si/alors, cela signifie-t-il qu’il est non-normatif ? Introduction possible ici de la théorie réaliste de l’interprétation sur le fait que la conséquence « réelle » de certains textes est imprévisible.
  • Question sur la façon dont les numéros ont été choisis dans l’Oudropo,,. Est-il possible de les faire correspondre à des chiffres présents dans le texte. Viveca Mezey souligne que le choix du -0 correspond à une numérotation absurde qui existe dans le Code monétaire et financier.
  • Le prof. Anne Saris de l’Université du Québec voit un potentiel intéressant en droit comparé pour l’Oudropo,, car une même phrase non littéraire pourrait être proposée à des juristes de différentes langues afin de voir comment les différents systèmes fabriquent du droit.

Contrainte : réécrire un texte en mélangeant les termes.

  • Article L. 2141-1 CSP initial « L’assistance médicale à la procréation s’entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle. »
  • Article L. 2141-1 CSP oudropié : « L’assistance médicale, clinique et biologique à la procréation s’entend des pratiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle. »

Exercice d’interprétation oudropienne :

Contrainte : donner la norme portée par un symbole. Par exemple, quelle est la norme portée par ce symbole ?

Interprétations possibles :

Interdit aux chiens?

Interdit aux chiens même tenus en laisse?

Interdit de tenir son chien en laisse ?

Interdit aux chiens noirs?

Interdit de tenir sa laisse droite ?

Interdit d’utiliser des laisse-collier / Obligation d’utiliser des laisses-harnais ?

S’applique uniquement aux teckels ?

Est-ce que ça pourrait-être un furet mal fait ?

Autres interprétations suggérées par les participants et questionnements

  • Interdit de frapper son chien avec un bâton ?
  • Interdit de faire porter un parapluie à son chien ou de l’attacher à un ballon à hélium (hors-champ) ?
  • Interdit d’égorger son chien / de lui ouvrir le cou comme un Babybel®?
  • Certains y voit un basset

 

Questions possibles

  • Quid des animaux sauvages ?
  • Le symbole générique du chien n’est-il pas le berger allemand ? Ou berger australien ?
  • Pourquoi le chien est-il le symbole de l’animal domestiqué ?
  • Le « mal fait » permet de s’interroger sur la question de la « clarté » du droit. A partir de quand peut-on dire qu’une norme est « mal écrite »?

Voulez-vous essayer?

A partir de votre sujet de thèse ou du texte principal sur lequel vous travaillez, essayez, au choix, de :

  • Représenter la norme sous forme de dessin ?
  • Appliquer la contrainte des synonymes/antonymes ou du mélanger les mots ?

Ou, à partir d’une phrase standard :

  • Transformez-là en norme juridique ?

Ou encore inventez votre propre contrainte !

Elise Herting de l’institut universitaire européen propose une relecture d’un article de la loi française du 11 avril 2011 : « il est interdit de porter, dans les lieux publics, une tenue destinée à dissimuler le visage ».

« chacun doit dans l’espace public porter une tenue destinée à exhiber son visage »

Discussion : est-ce l’obligation généralisée de la fraise espagnole ? Il y a bien sûr des exceptions notamment en temps de carnaval.

Anne Saris professeur à l’université du Québec propose de relire « l’enfant à tout âge doit respect à ses père et mère »

« l’adulte à tout âge doit blasphémer contre les étrangers ».

Il s’engage une discussion sur le faire d’utiliser le blasphème comme antonyme de respect ce qui se comprend dans le contexte québécois où respecter autrui revient à s’autocensurer.

Et pendant ce temps-là nous faisions des sixtines à partir de 6 substantifs juridiques et 6 substantifs non juridiques que nous ont fourni les participants au groupe.


Sixtine non-juridique en vue la création d’un concept
(Emmanuel Jeuland) :

Elle a enlevé ses tongues

Pour remettre la grand voile

Elle était bloquée par un caillou

Elle est partie dans le décor

Il s’est mangé un Paris-Brest

Qui était sans chantilly

Elle a mangé la chantilly

Tombée sur ses tongues

A regretté le Paris-Brest

Sur ses yeux un voile

Elle a sali le décor

Dans sa chaussure un caillou

Elle a semé des petits cailloux

Il a grandi à Chantilly

Il a redessiné le décor

Il n’aimait pas ses tongues

Il a pris le Paris-Brest

Pour faire un stage de voile

Il a fait tomber le voile

Il a envoyé un caillou

Il a propulsé le Paris-Brest

Sur la figure la chantilly

Il lui a envoyé sa tongue

Il est parti dans les décors

Il a construit un beau décor

Invisible sous son voile

Il a juré dans sa maternelle tongue

Habité dans l’océan sur un caillou

Pour une course à Chantilly

Pour un aller retour Paris-Brest

Il a avalé un Paris-Brest

Dans un bourgeois petit décor

Il a ajouté de la Chantilly

Il est plutôt à vapeur qu’à voile

C’est un obstacle ce caillou

Il préfère les chaussures aux tongues

Sélection des vers ayant un mot dans un sens métaphorique :

Sur ses yeux un voile

Dans sa chaussure un caillou

Elle a semé des petits cailloux

Il a fait tomber le voile

Il est parti dans les décors

Il a juré dans sa maternelle tongue

Habité dans l’océan sur un caillou

Il est plutôt à vapeur qu’à voile

C’est un obstacle ce caillou

Une recherche peut dés lors être entreprise sur les mots utilisés dans des métaphores si l’on considère le droit comme une projection symbolique permettant la vie en société (le symbolique est ici entendu dans un sens large incluant l’imaginaire – et non l’inverse).

Caillou : 1.- territoire au milieu de l’océan ayant vocation à être décolonisé, exemple Nouvelle-Calédonie

2.- syn. de pierre à l’édifice : avancée juridique modeste qui participe d’une construction juridique plus grande (ex. J. Hauser, RTD civ. 2005. 768. « Le gisement des arrêts du 14 juin 2005 sur les motifs légitimes de refuser une expertise biologique n’est pas encore totalement épuisé puisque vient à notre connaissance un xème arrêt de ce jour qui ajoute un petit caillou à l’édifice déjà largement construit » ; « Un caillou peut être apporté à l’édifice : la doctrine se définirait par les notions d’auteur et, surtout, d’« écrit doctrinal ». Patrick Morvan, D. 2005. 2421

4.- Cailloux du petit Poucet ou petits cailloux blancs : jalons juridiques pour avancer sans se faire voir : exemple motivation d’un arrêt par auto-référencement progressif (Sur la politique de citation de ses propres arrêts, les critères (encore incertains) qui y président, les dérives possibles, V. R. Libchaber, Une motivation en trompe-l’œil : les cailloux du Petit Poucet, JCP 2016. 632). « De petits cailloux blancs destinés au législateur ? Parfois un peu discursif (cf. le long développement sur la GPEC), l’accord national interprofessionnel évoque ici ou là des thèmes essentiels, mais sur le ton de la recommandation ou de la suggestion » Jean-Emmanuel Ray — Droit social 2008. 272

Et pendant ce temps-là nous faisions des sixtines !
Sixtine juridique en vue de questionnements juridiques
(Viveca Mezey et Lisa Carayon) :

Sabine regardait ce timbre et s’interrogeait sur sa validité

Elle vivait cette incertitude comme un viol

Le fait qu’il lui manque une dent entrainait-il sa caducité ?

Elle ne trouvait là-dessus aucun décret.

Elle resta longtemps à hésiter sur le seuil

Puis décida d’interroger les agents de la Poste de la République

 

 

Questions possibles :

  • Quelle est la nature juridique d’un timbre?
  • Quelles sont ses conditions de validité ?
  • Est-ce la même chose s’il s’agit d’un timbre fiscal?
  • Qu’elle est la valeur de l’information donnée par un agent du service public? Est-ce la même chose s’il s’agit de l’employé d’une entreprise assurant un service public?
  • Pendant ce temps M. Frédéric F. Martin applique une autre contrainte qui consiste à mettre en image son sujet de thèse.
  • Commentaires d’images
  • Justice et législation sous le règne de Louis XI V2 (SDI 2017-06-xx)
  • Dessin improvisé au cours de l’atelier pour figurer la thèse.
  • Principe : La loi est une institution spéculaire qui masque la justice sur laquelle elle repose. Celle-ci, quoique fonctionnelle, suppose toujours une certaine asymétrie, un mécanisme caché. Quant à la loi, elle peut être ornée, précisée, encadrée, ses contours n’en demeurent pas moins flous.
  • Nota : Le reflet est fortuit.
  • Justice et législation sous le règne de Louis XI V1 (2008-12-xx)
  • Principe : Fascinante par son économie formelle, cette figure métaphorique, découverte en cherchant tout autre chose, est immédiatement apparue comme parfaitement adaptée au propos de la thèse et déplaçant celui-ci du titre (catégories historiques et manifestes) au sous-titre (catégories « méta » sous-jacentes : La norme juridique royale à la veille des Temps modernes). Son abstraction la rendrait anachronique si les cercles n’étaient agités de légers tremblements, si l’image ne datait bien de la fin du XVe siècle et, surtout, si le mouvement de l’image ne résultait de cette main divine, signe de signe(s) subordonnant toute distinction – y compris juridique – à une intervention décisive. La main jouait de l’ambiguïté. Reprenant une figure utilisée alors dans les manuscrits et les incunables comme un signet ajouté dans les marges pour souligner les points importants, elle inscrivait celle-ci au sein même de l’image, mais en son coin supérieur gauche, là où la lecture commence en Occident. De surcroît, la dialectique abstraite des deux cercles concentriques (Justice et législation ? Normal et exceptionnel ?, sans préjuger de qui contient l’autre), est redoublée par l’intervention de la main. Dit autrement, la relation dialectique elle-même, aussi abstraite soit-elle, ne prend sens que dans sa relation à une intervention extérieure, absente mais pourtant seule figurée. Pour qui voudrait y voir une métaphore de la décision et de la césure qu’elle impose, le lieu, le moment et les modalités de concrétisation de la norme demeurent un abyme qui nous ramène au centre – vide – de l’image. Le signe est parlant : la main comme le centre demeurent insuffisants à eux-mêmes. Ne reste à l’expérience qu’une trace, deux cercles concentriques qui enserrent le droit dans un non-lieu, un centre qui n’existe jamais que par sa périphérie. Manière, aussi, de décliner en l’inversant la fameuse « Sphère de Pascal », bien antérieure en vérité, dont Borges fit un si joli motif[1].
  • Source : « Séparation de la lumière et des ténèbres », in Hartmann Schedel, Liber Chronicarum, Nuremberg, Anton Koberger, 1493, fol. II v°.
  • Antonymes par M. Frédéric Martin.
  • le début d’application à la DDHC de la méthode des antonymes.
  • 1. – Les dames naissent et demeurent libres et égales en droits. Les assimilations sociales ne peuvent être fondées que sur la futilité commune.
  • 2. – Le commencement de toute autonomie politique est l’abandon des droits naturels et imprescriptibles de la dame. Ces droits sont l’arrestation, l’impropriété, le danger, et l’abandon à la liberté.

[1] Nota : Pascal place le centre partout parce qu’il évoque une « sphère » infinie. En matière empirique, au contraire, il n’est d’autres ressources que des marques, traces, indices d’une périphérie qui nous incline à en rêver le centre.