Changement de langage

 

Par Camille Porodou

 

DEFINITION :
La contrainte de changement de langage consiste à récrire un texte littéraire afin de le rendre juridique ou un texte juridique afin de le rendre littéraire. Le texte peut être librement choisi ou choisi avec une contrainte : il faut, par exemple, prendre un code, ouvrir la page cinquante-cinq et choisir la cinquième phrase.

 

APPLICATION :

Texte original : « Les sanglots longs des violons/ De l’automne / Blessent mon cœur /

DEVIENT : Article O du Code de la vie romantique : « Sans préjudice des dommages-intérêts, tous les sanglots longs, compte tenu de leur intensité mesurée conformément à l’article R. 312-5-4 du code musical, qui blessent les cœurs sont des violons de l’automne ».

Exemple inverse : page 55 du Code de procédure civile LexisNexis, il n’y a pas d’article mais la jurisprudence sous l’article 16 CPC, article que l’on choisit donc : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».

DEVIENT :

Titre : le juge faisant respecter le droit de chacun d’être entendu.

Ce matin, voulant juger sur le siège de l’immédiateté, le juge s’est abstenu de s’appuyer sur un argument qui lui paraissant intéressant car les parties n’avaient pas pu échanger au préalable sur celui-ci pendant l’audience.

Il n’a pas pu non plus, ce soir, fabriquer lui-même ses arguments sans mettre les parties en mesure d’apporter leur contribution.

 

Commentaire :

L’idée est de jouer avec les différents critères de juridicité et de tenter d’identifier ce qui fait qu’un texte est perçu comme juridique. S’agit-il de l’emploi de la forme impérative et des concepts juridiques ? Existe-t-il d’autres facteurs ? L’exemple des sanglots longs de Verlaine permet de mettre en lumière certains éléments qui jouent sur la perception juridique d’un texte.  Au premier abord, le texte de cet exemple n’est pas juridique. Il ne comporte aucun impératif, ni aucune obligation, et semble déclarer un état de fait. Néanmoins, le placement du texte dans un code, l’expression « sans préjudice » et le renvoi à d’autres codes lui donnent incontestablement une allure juridique.

Il se peut que la version littéraire du texte juridique (art. 16 CPC) soit moins claire que la version juridique. La contrainte du remplacement des mots par des termes plus communs crée un décalage de sens qui peut ne pas être neutre (ex. de la fabrication du droit par le juge).

 

Du texte littéraire au langage juridique

par Lisa Carayon et Viveca Mezey

Contrainte : Écrire un texte de nature littéraire dans un langage juridique

Le texte initial

« Pour des questions de morphologie, on pensait qu’il était l’ancêtre de l’éléphant d’Asie » (Le Figaro 12 juin 2017, p. 17)

Le texte oudropié 

Article O. 1o1-0 du Code pachydermique : « Sans préjudice des dommages-intérêts, tout éléphant géant, compte tenu de sa morphologie établie conformément à l’article R. 312-5-4 de l’environnement, est l’ancêtre de l’éléphant d’Asie. »

Quelques réflexions à partir de cette contrainte :

  • Interrogation sur ce qui « fait droit » ; sur le fait que la tentation est souvent de présenter la norme juridique sous la forme si/alors alors qu’en réalité de nombreux textes ne peuvent pas être rédigés ainsi.
  • Débat justement sur ce point : si un texte ne peut être rédigé sous la forme si/alors, cela signifie-t-il qu’il est non-normatif ? Introduction possible ici de la théorie réaliste de l’interprétation sur le fait que la conséquence « réelle » de certains textes est imprévisible.
  • Question sur la façon dont les numéros ont été choisis dans l’Oudropo,,. Est-il possible de les faire correspondre à des chiffres présents dans le texte. Viveca Mezey souligne que le choix du -0 correspond à une numérotation absurde dans le Code monétaire et financier.
  • une nouvelle contrainte  a été proposée par le professeur Anne Saris (Université de Québec), elle consiste à demander à plusieurs spécialistes de droit comparé de différents pays de traduire en langage juridique une même phrase non juridique.

Voir sixtine, traduction, rodropo,, (contrainte inverse, faire un récit à partir du droit), cabazor 37