Étymologie

Par Pierre-Yves Verkindt et Frédéric F. Martin

DEFINITION :

 L’étymologie comme science a pour objet la recherche de l’origine des mots en retraçant leur évolution. Rechercher l’étymologie d’un mot consiste donc à en établir la filiation.  Elle doit être distinguée de la définition qu’elle vient compléter. Elle permet en effet d’en retracer la généalogie linguistique. Ce voyage dans l’histoire du mot est par ailleurs suggestif car il engendre dans l’esprit de celui qui entend ou lit le mot, des représentations ou des images associées.  Autrement dit, l’étymologie, au-delà de sa dimension scientifique (la reconstitution de l’histoire du mot ou son traçage) sollicite l’imagination. Dans la contrainte étymologie ce second aspect de l’étymologie supplante le premier.

Cette contrainte consiste à partir d’un mot à lui trouver une origine qu’on l’on sait fausse mais en utilisant une méthode qui a toujours les apparences de la rationalité. La contrainte étymologie imite – on pourrait presque dire « singe » – le travail étymologique. Néanmoins, l’étymologie bien que construite et fausse (parce qu’elle ne correspond pas à la généalogie du mot ou parce qu’elle suggère des images qui induisent en erreur sur le sens du mot lui-même) enrichit le sens de ce mot

 

APPLICATION :

 

Application 1 à partir du mot « connaissance »

Connaissance : nom fem., sens 1 Fait de connaître et disposer d’un certain nombre de savoirs et d’information ;- sens 2 Personne avec laquelle on est en relation.

Étymologie : le mot « Connaissance » résulte d’une contraction qui s’installe dans la langue française à partir du préfixe « con » ou « co » et du mot « naissance ». Le premier exprimant l’adjonction ou l’ajout (du latim cum). Connaître c’est donc « naître avec » (comme l’on parle à l’autre bout de la vie de comourants). On  retrouve aussi le préfixe dans le conatus, c’est-à-dire l’effort, chez Spinoza.

 

Application 2 à partir de l’expression « Droit des gens »

Droit des gens : loc nom., sens 1 dans son acception contemporaine, le « droit des gens » est une autre façon de nommer le droit international (public). Il rassemble les règles relatives aux relations entre les États ;- sens 2 Ensemble des règles s’appliquant à tout être humain quel que soit l’État auquel il appartient.

Étymologie : la locution trouve son origine dans l’association de Droit (ensemble des règles contraignantes régissant les relations des hommes en société) et du substantif « gens », qui qualifie un ensemble de personnes en nombre indéterminé mais pris collectivement. On relèvera que le mot « gens » n’a pas de singulier. Il n’est pas non plus le pluriel du mot féminin « gent » qui, contrairement au mot « gens » qui évoque le collectif par addition, vise le collectif par fusion (la « gent ailée » ou la « gent trotte-menu » de La Fontaine par ex La chat et un vieux rat , Fables III, 18 «La Gent trotte-menu s’en vient chercher sa perte » ). L’étymologie nous conduit donc à voir dans le « droit des gens », le droit du Peuple.

 

COMMENTAIRE

 

Cette contrainte conduit à des étymologies imaginaires mais porteuses de sens. Celles-ci procèdent de deux démarches différentes. La première consiste à opérer une cassure dans le mot en isolant un faux préfixe (con), la seconde à isoler dans une expression ou locution nominale un de ses composants. Ce faisant, on brise ce que la proximité des termes au sein de la locution donnait à voir et on retrouve donc une grande liberté dans la définition du vocable ainsi isolé.

a.- L’étymologie imaginée à partir du mot « Co-naissance » est inexacte tout comme la référence au con(n)atus spinoziste. Et pourtant, à la manière de Lacan, le mot dit quelque chose de l’acte de connaître parce que la connaissance est aussi une « naissance » au sens de première étape de la pensée. L’idée sous-jacente serait aussi que l’accès à la connaissance n’est possible qu’à plusieurs (le « co » de connaissance). En d’autres termes, le collectif est une donnée inhérente à la connaissance.

Le « conatus » (ou « appétit » ) correspond à l’idée que toute chose ou être tend à persévérer dans ce qu’elle est et donc à chercher à accroître sa puissance. Or, il n’y a de connaissance que s’il y a appétit (ou désir) de connaissance.

On découvre alors, grâce à (ou à cause de …) la fausse étymologie, que le mot connaissance a quelque chose à voir avec le travail et  avec l’effort  persévérant. Cette fausse étymologie fait émerger des idées qui conduisent à approfondir le sens du mot concerné.

b.- L’étymologie ici invoquée de « droit des gens » est de la même manière imaginée. Elle fait fi de l’origine latine de l’expression et du jus gentium du droit romain dont le périmètre diffère cependant selon que le classement proposé des règles de droit s’opère en deux catégories ( jus civile / jus gentium) ou en trois catégories (jus naturale/jus gentium/jus civile). Dans le premier cas, le jus gentium est le droit de tous les peuples (il recouvre alors le droit naturel) et le jus civile est le droit propre à chaque État. Dans le second cas (Digeste et Institutes), le jus naturale est le droit que la nature enseigne à tous les animaux dont les hommes, le jus gentium est celui applicable aux hommes et commun à tous les peuples et le jus civile est propre à chaque peuple. Au sein même de cette division tripartite, les frontières sont parfois fluctuantes ; pour Paul par exemple, le jus gentium n’est pas une composante du droit naturel, il est simplement le droit commun à tous les peuples (sur ces distinctions, R. Monier, Manuel élémentaire de droit romain, Domat Montchrestien, 5ème éd.  1945, n° 4).

En traitant l’expression « droit des gens » comme la juxtaposition de deux mots « droit + gens » et non comme la traduction de jus gentium (qui est une par opposition à jus naturale et/ ou jus civile), l’étymologie rapportée plus haut est purement imaginaire. Elle met pourtant en lumière ce qui fait l’essence du droit international contemporain concentrée dans les principes universalisables des déclarations des droits ainsi que le rôle qu’il a joué et joue encore dans la décolonisation et le droit des Peuples à disposer d’eux-mêmes. Là où l’expression « droit international public » attire nécessairement vers les rapports entre les États, l’expression « droit des gens » travaillée à partir d’une étymologie imaginaire déplace le regard sur les humains et les peuples qu’ils forment.

c.- En outre, l’étymologie est une méthode éprouvée du droit à défaut d’être toujours rigoureuse. Il en va ainsi des inversions étymologiques d’Ulpien (« Nomen iuris… a iustitia appelatum », D. 1.1.1.1) ou de la façon dont, quelques siècles plus tard, Isidore de Séville consacre la fausse étymologie livrée par saint Augustin (« Reges a regendo vocati », Etymologiae, IX, 3, 4 ; « Reges a recte agendo vocati sunt », Sententiae, III, 48, 7)[1]. À défaut d’explication logique, l’étymologie fournit parfois des traductions imagées. L’emblématique en fournit nombre d’exemples, la figuration mêlant alors étymologie imaginaire et interprétation littérale. Des siècles durant, Moïse fut ainsi paré de cornes par suite d’un mélange de traduction libre, de métaphores supposées, d’étymologie approximative et d’erreurs. Derrière l’étymologie se profilent la paronomase chère à Rabelais, les spéculations à la Jean-Pierre Brisset[2], voire l’antanaclase. Pour un juriste lancé à la poursuite des mots, le chemin le plus droit n’est pas forcément le plus court et le sens propre ne le reste jamais très longtemps.

[1] J. Balogh, « Rex a Recte Regendo », Speculum, 3/4, 1928, p. 580-582 ; M. Turchetti, Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, Paris, Classiques Garnier (« Bibliothèque de la Renaissance », 11), 2013, p. 229-230.

[2] Selon ce « prince des penseurs », « la science du con fit naître la conscience » (J.-P. Brisset, Le mystère de Dieu est accompli, En gare d’Angers (Saint-Serge), 1890, p. 105). Il précise : « Tout ce qui est écrit dans la parole et s’y lit naturellement, est vrai. Les sons qui s’écrivent clairement de plusieurs manières, sont vrais sous toutes les formes et présentent entre eux un rapport mathématique logique, unr origine unique » (ibid., p. 38). V. la contrainte Paronomie.

archives Création de concept à partir de l’étymologie

ex. conduction : une introduction d’un ouvrage juridique écrit à la fin ou une sorte de conclusion introductive.

Explication : le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), le Larousse et quelques autres dictionnaires donnent plusieurs définitions de l’introduction qui, grosso modo, peuvent être regroupées en deux catégories principales – s’il l’on veut bien écarter le sens juridique et processuel. La première renvoie à l’action d’introduire, donc de faire entrer, une chose dans une autre ou dans un lieu ou encore une personne dans un groupe dans sa version mondaine. La seconde, stylistique ou rhétorique, décrivait le fait de procéder à une « entrée » ( encore) en matière. Une introduction arrive donc rarement à la fin de quelque chose. Dans un premier temps seulement. L’ordre selon lequel l’introduction précèderait nécessairement la conclusion n’était pas absolu. Sans compter qu’une introduction pouvait avoir une conclusion et qu’introduire à une conclusion était parfaitement possible. Une citation de Churchill tirée d’un discours prononcé en 1942 dit d’ailleurs « Now, this is not the end. It is not even the beginning of the end. But it is, perhaps, the end of the beginning». Or, à la fin de la rubrique étymologie du mot « Introduire » sur le site du CNRTL. Deux petites lignes discrètes qui disaient « Empr. au lat. .introducere « amener, introduire », francisé au cours du xives. d’apr. conduire* ». Introduire et conduire ont la même racine ( ducere). Et l’on peut conduire au début et à la fin d’un acte d’écriture. C’est une con[clusion][intro]duction qu’il fallait faire, un fil con-ducteur.

Ebenezer Scrooge alias Pierre-Yves Verkindt.

V. introduction à l’Oudropo,,