101 contraintes oudropiennes par temps de pandémie

 Version pré-publication à corriger (publication prévue en 2023)

(2019-2021)

Dir. Camille Porodou (ainsi que Valérie-Laure Benabou, Nathalie Dion, Nissim Elkaim, Alexandre Flückiger, Gaële Gidrol-Mistral, Jean-Baptiste Jacob, Emmanuel Jeuland, Frédéric Martin, Alicia Mâzouz, Viveca Mezey, Romain Rousselot, Guillaume Simiand, Dorothée Simmoneau, Anne-Laure Sterin, Hélène Thomas, Pierre-Yves Verkindt, Clarisse Wallerand).

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Créé en 1960, l’Oulipo a notamment été inspiré à ses fondateurs, Queneau et Le Lionnais, par l’expérience de deux poètes emprisonnés pendant la Seconde guerre mondiale. L’un sans crayon en apprenant ses poèmes par cœur, l’autre sans véritable papier, ils ont tenu grâce à leurs inventions poétiques. Toute proportion gardée, nous avons « tenu » pendant l’épisode de la pandémie ayant vu le droit bien maltraité en maintenant nos ateliers oudropiens en visioconférence et en imaginant nos 101 contraintes. Il s’agit de contraintes visibles visant à se libérer de certaines emprises invisibles (des préjugés, des a priori, des schémas de pensée pris pour naturel) pour pratiquer et créer du droit potentiel.

Il va de soi que l’application d’une contrainte se fait en toute liberté.

Avertissement : en hommage au roman « La disparition » de Perec, une lettre ne donne pas lieu à une contrainte. Il s’agit du X si souvent utilisé pourtant par les procédés de pseudonymisation.

Table des matières

Postambule

Introduction : Le questionnaire PROUSTDROPO,,

A   1.- A supposer que …

2.- Ajout d’adverbe

3.-Anagramme

4.- Antonyme

5.-Assonance/allitération

6.- Bac oudropien

7.- Battle

8.- Cartel

9.- Changement de langage

10.- Changement du champ d’application

11.- Chiffres contraints

12.- Chimère

13.- Collage

14.- Coïncidence

15.- Confinement

16.- Concept de concept

17.- Confins (ou frontière)

18.- Consonne

19.- Conte de droit

20.- Création de concept juridique

21.- Coronacrash

D

22.- Dalton

23.- Définitions obliques

24.- Dévaluation

25.- Dérogation

26.- Dessiner le droit

27.- Dictionnaire automatique.

28.- Double contrainte.

29.- Doublon

30.- Emoji

31.- Émotion et règle

32.- Émotion du juge

33.- Enfant

34.- Ennui

35.- Ephémère

36.- Étymologie

37.- Évaluation

38.- Exclusion inclusive (ou écriture exclusive)

39.- Expérimentation

F.

40.- Fables de droit

41.- Fantôme

42.- Féminisation

43.- Forme brève

44.- Formulaire

45.- Fragment

G

46.- La norme gravide

H.

47.- Haïku juridique

48.- Horrible

I.

49.- Idée reçue

50.- Intersection.

51.- Intuition

52.- Introuvable.

53.- Inventaire.

54.- Inversion des mots

J.

55.- Jauge

K

56.- Kafka une norme dont on ne sort jamais

57.- Kelsen

L.

58.- Lipogramme

59.- Lobby

60.- LSD

M.

61.- Mâchonnage

62.- Mème juridique

63.- Métonymie

64.- Modèle

65.- Nombre

66.- Non conceptuel

67.- Nul

O

68.- Olympe de Gouge

69.- Oudropo,,

70.- Oukiballe

71.- Paronomie

72.- Pictogramme

73.- Pitch.

74.- Poème juridique dans le métro

75.- Points de suspension

76.- Perverbe

77.- Préverbe

78.- Principe (invention de)

79.- Prisonnier

80.- Procédé de Roussel.

81.- Proxémie + 5

82.- QR code

83.- Réécriture d’arrêt en langage courant.

84.- Réparation symbolique d’un sentiment d’injustice

85.- Ricochet

86.- Roman ouvroir de droit potentiel (Rodropo)

S.

87.- Sans cœur

88.- S+7

89.- Sixtine (quenine, terrine, etc.)

90.- Suppression

91.- Synonyme

92.- Synonyme et la méthode SS+7

93.- Texte mixer

94.- Tirade (du nez)

95.- Tiret (ou trait d’union)

96.- Traduction

97.- Ubu

V

98.- Virgule

99.- Voyelle

W

100.- W

Z.

101.- Zèbre

Liste des contributeurs par ordre alphabétique

 Postambule

Contrainte imposée par A. Flückiger à un programme d’intelligence artificielle : « compose un postambule pour une anthologie de l’ouvroir de droit potentiel !». Voici sa réponse :

L’ouvroir de droit potentiel est une théorie juridique qui permet de déterminer les effets du droit en l’absence de toute règle formelle. Il a pour objet l’étude du droit en tant que potentialité et contribue à l’épanouissement de la personnalité et à la construction de la société. L’ouvroir de droit est un espace de création et de réflexion où les juristes, étudiants et amateurs du droit peuvent échanger et partager leurs idées.

Le droit potentiel est un droit qui est toujours en devenir. Il est constitué par les possibilités qui s’offrent à nous, et qui dépendent de notre volonté et de notre imagination. Il s’agit d’un droit théorique, car il ne s’applique pas forcément à la réalité. Le droit potentiel est un droit qui est à la fois rationnel et irrationnel. Il est rationnel, car il dépend de la nature des choses. Il est irrationnel, car il dépend de notre capacité à transformer nos désirs en réalité. Le droit potentiel est un droit qui est à la fois réel et virtuel. Il est réel, car il est basé sur la réalité des choses. Il est virtuel, car il dépend de notre imagination. Le droit potentiel est important car il permet de régir les relations entre les personnes en fonction de ce qui est possible, et non de ce qui est certain.

Cette anthologie présente les principaux concepts et théories du droit potentiel, ainsi que les principales sources du droit en ce domaine. Elle permet de comprendre les enjeux et les défis auxquels le droit potentiel est confronté, ainsi que les perspectives d’évolution de ce domaine du droit. Ces textes ont été choisis et réunis afin de permettre au lecteur de découvrir les différents aspects du droit et d’en saisir la portée conceptuelle.

Cette anthologie rassemble des textes écrits par les membres de l’ouvroir de droit potentiel. Elle offre un aperçu des débats qui ont lieu au sein de cette communauté. L’ouvroir de droit potentiel est un lieu où les juristes ont la possibilité de développer leurs talents en écriture juridique. Cette anthologie est le fruit de leur travail et témoigne de la qualité de leur écriture.

Je tiens à féliciter les personnes qui ont participé à cette anthologie, et je leur souhaite beaucoup de succès dans leur carrière juridique. Je vous invite à découvrir les textes de l’ouvroir de droit potentiel et à les utiliser comme modèles pour rédiger vos propres textes juridiques.

Textes générés le 02.02.2022 par GPT-3 sur https://beta.openai.com/playground/p/default-essay-outline et compilés par Alexandre Flückiger

Introduction : Le questionnaire PROUSTDROPO,,

Pour mieux connaitre Camille Porodou

34 questions : Proposition de contrainte : questionnaire de Proust adapté à la norme

par Camille Porodou

DEFINITION :

 

« Confessions. An Album to Record Thoughts, Feelings » est un jeu découvert par Proust dans un album anglais de sa camarade Antoinette Faure (fille de Félix Faure) datant du milieu du XIXème siècle. Proust l’a adapté et y a répondu à plusieurs reprises. Il s’agit de proposer une nouvelle version oudropienne de ce jeu en créant la contrainte du « questionnaire PROUSTDROPO,, » en interrogeant Camille Porodou.

APPLICATION :

1.- Ma norme préférée

La polynorme : je ne suis pas assez exclusive en matière juridique, toutes les normes, je les aime toutes, polyamour des normes, en un mot la polynorme, ce qui veut dire aussi que j’aime la norme polie.

2.- Le principal trait de caractère d’une norme

Effervescence, la pétillance créative

3.- La qualité que je préfère chez les normes masculines (Décret, arrêté, traité etc.)

La sensibilité contraignante, l’imagination et l’inventivité

  1. La qualité que je préfère chez les normes féminines (Constitution, convention, loi, ordonnance, jurisprudence etc.)

La sensibilité contraignante

5.- Le principal défaut des normes

Ne pas pouvoir en sortir

6.- La principale qualité des normes

Ne pas pouvoir en sortir

  1. Ce que j’apprécie le plus chez les normes

Leur force libératoire

  1. Ma norme d’occupation (dans tous les sens du terme) préférée

La mitoyenneté

  1. Mon rêve de norme

Une norme-issue qui m’éveille et m’indique la sortie

  1. Quel serait mon plus grand malheur normatif ?

Une norme unique

  1. Quelle norme voudrais-je être ?

La norme de secours

12.-Le système normatif où j’aimerais vivre

La constellation oudropienne

13.- La couleur de la norme que je préfère

La couleur de l’entre-temps,

  1. La norme-fleur que je préfère

Dendelionne

  1. La norme-oiseau que je préfère

Co-libri

  1. Mes auteurs favoris en norme

@legislatozor

  1. Mes poètes préférés de la norme

Le juge Moricette :

« Le Québec n’est pas la Toscane » (enclave) décision sur Rankin contre Gaucher, juge Moricette, voir aussi la tirade de la poule (coq Maurice) « attendu que la poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois ; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements, et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard) ; ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires de ces gallinacés ». En conclusion : « la cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d’orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Salledes (402 âmes) dans le département du Puy-de-Dôme » (Riom, 7 sept. 1995, n° XRIOM070995X).

18.- Mes héros de la fiction normative

L’avocat Miles Massey Intolérable cruauté (2003).

19.- Mes héroïnes favorites de la fiction normative

Elle Woods Legally Blonde, Blonde et Légale (2001) et la personne morale, article 302 (1991, code civil québécois)

  1. Mes compositeurs de normes préférés

Le poly d’Hammourabi, polyamourabi

  1. Mes normes picturales préférées

La première page du site de l’Oudropo,, ; la liberté guidant le peuple

  1. Mes héros normatifs préférés dans la vie réelle

Bon juge Magnaud, Jean Valjean, le lion dans les animaux malades de la peste, un héros antinormatif, l’hors-norme, le nain de l’arrêt Morsang sur Orge.

  1. Mes héroïnes normatives préférées dans la vie réelle

Louise Ménard (celle qui a volé la pomme), Agnès Blanco, demoiselle Marteaux

  1. Mes héros dans l’histoire des normes

Coq Maurice de la cour d’appel de Riom

  1. Ce que je déteste par-dessus tout chez les normes

L’en-droit (je préfère l’envers des normes)

  1. Le personnage normatif que je n’aime pas

Le gardien de la constitution

Le garde-fou

  1. Les normes historiques que je méprise le plus

Les normes réactionnelles répondant à un fait divers Après l’affaire Outreau, la loi prévoyant la fin des juges d’instruction ; les lois sur les chiens dangereux.

  1. Le plat judiciaire que je préfère trop

Salle des pains perdus (Viveca)

Salle des parpaings perdus

  1. La réforme normative que j’estime le plus

La décodification à droit inconstant

  1. Le don de la nature que je voudrais avoir dans le domaine normatif

Prudence

  1. Comment j’aimerais que la norme meure

La norme ne meurt jamais, surtout à Villers-Cotterêts

  1. L’état présent de l’esprit des normes

L’absence d’esprit

  1. La faute normative qui m’inspire le plus d’indulgence

Manque de clarté

L’article 61-5 3° : « 3° Qu’elle a obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué ; » se termine par un « ; », on peut parler d’un lapsus normatif (il s’agit sans doute d’un oubli après la suppression du 4°)

  1. Ma devise normative

C’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit selon Lacordaire

Contrainte, potentialité et créativité, devise de l’Oudropo,,

La libre interprétation de la contrainte

Je vois des normes partout

Je devise, Je me divise

35.- le meuble qu’elle préfère

Le bain de siège

COMMENTAIRE :

Cet exercice collectif permet de mettre en évidence les caractères invisibles d’une norme auxquels on ne fait pas attention en général. Il interroge les différentes appréhensions et conceptions de la norme avec des angles originaux et rarement utilisés. Cette contrainte est déclinable à une période, un type de normes, un régime de normes ou à des normes relatives à des périodes ou des sujets particuliers (exemple : normes sur le Covid-19). L’exercice permet aussi d’interroger notre représentation du droit comme ensemble de normes et permet parfois de chercher dans d’autres directions.

 

A

1.- A supposer que …

Par Pierre-Yves Verkindt

DEFINITION :

 

Un « A supposer que… » est une contrainte sous forme de (légère) mise en abîme.  Trouvée sur oulipo.net, la contrainte consiste à écrire un texte en prose, comportant au moins 1000 signes ou 200 mots, composé d’une phrase unique. Il ne doit pas comporter de ponctuation forte.

APPLICATION :

 

1.- A supposer que l’on me demande d’écrire  un texte dans le cadre d’un atelier Oudropo,,  à partir d’un autre texte qui existe déjà et dans lequel l’auteur à force d’incises aurait multiplié les tirets pour expliciter sa pensée afin d’être certain que le lecteur ne perde jamais le fil ou ajouté des références à l’internet comportant toujours des tirets du huit j’aurais alors quelque peine à faire le lien  avec ce petit frère de l’Ouvroir de littérature potentielle mieux connu sous le nom d’Oulipo  sauf si bien entendu je pouvais éliminer les tirets modifiant ainsi le sens du texte proposé ou peut-être en révéler une signification cachée que le juge serait lui-même surpris de découvrir alors même que jusque-là il avait l’impression de connaître par cœur la disposition qu’il avait en charge d’appliquer et que confronté à la réalité de la contradiction il cherchait dans ce texte familier les ressources pour la dépasser tout en mêlant les mots et leurs interprétations mais sans jamais ni déformer le texte en interprétant ce qui n’a pas à l’être tombant alors sous le coup du grief de dénaturation ni statuer au-delà du procès ce qui assurément ferait de lui un bien piètre magistrat ou un justicier ce qui ne vaudrait guère mieux.

2.- A supposer que quelqu’un veuille malgré tout et malgré l’insupportable coût que représente pour les entreprises un droit social juste correct et non pas correct et juste  maintenir les droits de travailleurs en cas de dénonciation d’une convention collective il dirait que « lorsque la convention ou l’accord qui a été dénoncé n’a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans un délai d’un an à l’expiration du préavis les salariés des entreprises concernées bénéficient d’une garantie de rémunération dont le montant annuel pour une durée de travail équivalente à celle prévue par leur contrat de travail ne peut être inférieur à la rémunération versée en application de la convention ou de l’accord dénoncé et du contrat de travail lors des douze derniers mois cette garantie de rémunération s’entend au sens de l’article L 242-1 du code de la sécurité sociale à l’exception de la première phrase du deuxième alinéa du même article L 242-1 cette garantie de rémunération  [étant]  assurée par le versement d’une indemnité différentielle entre le montant de la rémunération qui était dû au salarié en vertu de la convention ou de l’accord dénoncé et de son contrat de travail et le montant de la rémunération du salarié résultant de la nouvelle convention ou du nouvel accord s’il existe et de son contrat de travail ».

 

COMMENTAIRE :


Lu à voix haute, le texte 1 ressemble à un ruban qui se déploie ou à une mélodie qui déroule ses notes. Un peu comme l’eau qui coule, sans jaillissements ni à-coups, d’une fontaine du Palais des Nasrides à l’Alhambra de Grenade ou dans tout autre Alcazar andalou. Quel que soit son objet, l’absence de ponctuation crée une impression de douceur. Prononcé sans respirer, le texte prend des allures proustiennes d’une part par la longueur – et une certaine langueur – de la phrase et d’autre part parce que l’essoufflement qu’il engendre chez celui qui le dit, rappelle l’asthme dont l’auteur d’« A la recherche du temps perdu » était atteint.
Sur l’application n° 2, les passages en italiques sont très oudropiens mais… correspondent à la lettre près, au texte du code du travail. L’ambiance reste proustienne mais elle fait surtout penser à certains passages d’Être et temps (Heidegger). Ce faisant elle ouvre un programme de recherche passionnant sur la Phénoménologie de la bureaucratie et le Dasein de la technocratie.

2.- Ajout d’adverbe

Par Guillaume Simiand

DEFINITION :
La contrainte consiste à chercher la perplexité maximale chez le lecteur en ajoutant des adverbes choisis à un texte de loi.

APPLICATION :

Article 1101 du Code civil : « Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes, destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »

DEVIENT :

« Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes, destiné d’abord, à créer etensuite à modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».

  • L’ajout de deux adverbes change le contenu de ce qui peut être qualifié comme contrat. Ainsi, un contrat ne prévoyant pas la création et la modification, la transmission ou l’extinction des obligations ne sera pas considéré comme un contrat.

COMMENTAIRE :

L’adverbe est à la loi ce que la crème Chantilly est au dessert : certains y voient une scorie facultative, indigeste, voire dangereuse, de la mal-loi comme on parle de malbouffe : la loi ne devrait pour ces Catons connaître que des absolus. D’autres au contraire ne sauraient envisager la loi sans l’adverbe ; la transgression, disent-ils, est non dans le fait, mais dans la manière ; or c’est bien ce sur quoi nous renseigne l’adverbe. Raisonnablement, poursuivent-ils, le législateur ne saurait graver dans la loi « Il est interdit de rouler dans la rue comme un dingue » ; c’est par sagesse qu’il préfère proscrire de conduire dangereusement.

Signalons notamment une question : les adverbes de manières qui depuis une cinquantaine d’années fleurissent dans le Code civil : raisonnablement, excessivement, etc. sont-ils un facteur de risque juridique ou au contraire, par le renvoi au juge, un signe de la reconnaissance implicite par le législateur qu’on ne saurait tout prévoir ? Ceux qui aiment conduire énergiquement croiseront les doigts pour un magistrat plus amateur de Formule 1 que de patinette, contrairement à ceux qui veulent se promener tranquillement. Pour les conséquences de tout cela sur le style juridique, laissons la parole au Maître : « J’aime superbement et magnifiquement : / Ces deux adverbes joints font admirablement. »

Les réflexions sur l’adverbe dans le cadre de l’Oudropo,, ont donné naissance à une enquête approfondie sur leur fréquence et le style du Code civil. Les adverbes pourraient-ils être un marqueur de la supposée baisse de qualité dans l’écriture des codes ? Les conclusions de cette enquête statistique à grande échelle seront publiées instamment.

3.-Anagramme

Par Guillaume Simiand

DEFINITION :

La contrainte de l’anagramme consiste à chercher les permutations possibles pour donner à un texte de loi un sens nouveau. Elles peuvent s’opérer à l’échelle des mots ou à l’échelle des lettres.

 

APPLICATION :

Par exemple l’article 343 CC (le choix de l’article 343 pour cette contrainte est judicieux, c’est un palindrome, un chiffre qui peut se lire dans les deux sens) :

« L’adoption peut être demandée par deux époux non séparés de corps, mariés depuis plus de deux ans ou âgés l’un et l’autre de plus de vingt-huit ans ».

DEVIENT :

« L’apondie [ce qui veut dire : ce qui est posé à côté] peut être demandée par deux époux non réparésde corps, raimés [au sens où ils se re-aiment] depuis plus de deux ans ou âgés l’un et l’autre de plus de vingt-huit ans ».

Il semble que certains de ces anagrammes soient des helvétismes, du français de Suisse.

Citons encore les célèbres « La loi ne dispose que pour l’navire » (l’avenir-, « Chacun a droit au spectre (respect) de sa vie privée », ou « Les silos (lois) de picole (police) et de sûreté obligent tous ceux qui habitent sur le territoire. Les immeubles, même ceux possédés par des renégates (étrangers), sont grisés par la loi française. Les silos encrottant (lois concernant) l’État et la capacité des personnes résignent (régissent) les Français, même désirant (résidant) en pays argentés (étrangers). »

COMMENTAIRE :

L’adoption n’est possible que par un couple qui s’est aimé, s’est désaimé et s’est re-aimé (titres d’une série de pièces de théâtre) tout en étant réparés de corps. Il faut que le couple ait connu tout un parcours de vie, de sentiment et de relations sexuelles pour être en mesure d’adopter. C’est très prescriptif et difficile à apprécier pour un juge.

Pour faciliter la réalisation de ces transformations, un logiciel proposant automatiquement des équivalents anagrammatiques a été développé dans le cadre de l’Oudropo,,. C’est grâce à lui que nous pouvons affirmer : « Il n’y a pas de gramier s’il n’y a pinot de contentemens. » (Il n’y a pas de mariage, s’il n’y a point de consentement).

4.- Antonyme

Par Frédéric Martin

DEFINITION :

À partir d’un dictionnaire donné, en l’espèce celui du CNRTL, il s’agit de remplacer chaque substantif par un antonyme. Pour certains termes, cela implique parfois de trouver des équivalents imagés dans les ramifications d’antonymes. Le principe peut être étendu aux adjectifs, adverbes, etc.

APPLICATION :

Art. L. 3131-13.-L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre de l’état d’urgence sanitaire. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures.  La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19.

DEVIENT :

Art. L. 3131-13.-L’action d’atermoiement sanitaire est déclaré par décret en Conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la maladie. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’extérieur desquelles il entre en asthéine et reçoit inapplication. Les données arbitraires disponibles sur le devenir sanitaire qui ont motivé l’indécision sont rendues publiques.

L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des abus pris par le Gouvernement au titre de l’action d’atermoiement sanitaire. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute désinformation complémentaire dans le cadre de l’absence de contrôle et d’évaluation de ces abus.  La dissolution de l’action d’atermoiement sanitaire au-delà d’un ne peut être autorisée que par la justice, après injonction de l’arbitraire prévu à l’article L. 3131-19.

COMMENTAIRE :

La méthode des antonymes s’avère délicate car nombreux sont les termes qui n’ont pas d’antonyme. C’est notamment le cas pour une bonne part du vocabulaire technique. La méthode des antonymes n’aboutit dès lors pas à une simple inversion de la méthode des synonymes (voir infra). Tandis que cette dernière se traduit par une transformation, pour ainsi dire, « horizontale » du texte (une extension de ses latitudes), l’antonyme implique un retournement plutôt « vertical » du texte. Outre les difficultés terminologiques, la méthode des antonymes présente l’avantage de ses inconvénients : elle souligne à quel point le droit est autant affaire de syntaxe et de structure logique des propositions que de précision terminologique.

5.-Assonance/allitération

Par Camille Porodou

DEFINITION :

La contrainte de l’allitération ou de l’assonance vise à transformer un texte juridique préexistant ou à créer un texte de toute pièce utilisant des effets d’allitération (répétition d’une consonne) ou d’assonance (répétition d’une voyelle) pour accroître l’effet normatif.

APPLICATION :
Selon l’alinéa 1 l’article 228-3-2 al. 1 du Code de commerce « L’intermédiaire qui a satisfait aux obligations prévues aux septième et huitième alinéas de l’article L. 228-1 peut, en vertu d’un mandat général de gestion de titres, transmettre pour une assemblée le vote ou le pouvoir d’un propriétaire d’actions ou d’obligations ».

DEVIENT :

Allitération avec des consonnes labiales : p, b, f, m, v.

« Après avoir performé, le plénipotentiaire peut transmettre pour l’assemblée le vote ou le pouvoir d’un propriétaire d’actions ou d’obligations ».

Allitération avec des consonnes vélaires (celles qui sont prononcées avec la voûte du palais) : k, g, w

« Pour le conventicule, l’alter ego peut daigner de signifier le jugement ou d’être l’exégète d’un capitaliste, une fois la kyrielle finie, l’agrément de grailler donné ».

Pour le conventicule (assemblée), l’alter ego (l’intermédiaire) peut daigner de signifier le jugement (le vote) ou d’être l’exégète (être détenteur d’un pouvoir) d’un capitaliste, une fois la kyrielle finie (exécution des obligations), l’agrément de grailler donné (le mandat de gestion de titres).

Il existe déjà dans le Code civil des textes allitérés. Ainsi, dans l’article 1017 CC : « Les héritiers du testateur, ou autres débiteurs d’un legs, seront personnellement tenus de l’acquitter, chacun au prorata de la part et portion dont ils profiteront dans la succession.

De même, dans l’article L111-1 du Code de la Sécurité sociale : « L’organisation de la Sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale ». On peut le transformer ainsi : La sécurité sociale
est soumise à l’idéal de solidarité nationale. DEVIENT un petit poème mais pas tout à fait régulier en 7/7/8 : La sécurité sociale/ est soumise à l’idéal/de solidité nationale.

L’alinéa 1 de l’article L111-3-1 du code de l’action sociale et des familles : « La demande d’admission à l’aide sociale dans les centres d’hébergement et de réinsertion sociale est réputée acceptée lorsque le représentant de l’État dans le département n’a pas fait connaître sa réponse dans un délai d’un mois qui suit la date de sa réception ».

DEVIENT :

« La sollicitation d’admission à la réinsertion sociale est supposée acquise lorsque le suppôt de L’État dans le secteur n’a pas susurré sa réponse dans la latence d’un sixième de semestre qui suit la réception ».

Enfin, l’article 515-14 CC « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».

DEVIENT :

« Les zanimaux sont des zâtres vizant douze degrés de sensitivité. Sous réserve des oies qui font protèse, les zanimaux sont sous zun régime de zones insoumises ».

COMMENTAIRE :
L’allitération volontaire est considérée comme une figure de style par l’effet d’expressivité qu’elle créé ; elle attire l’attention sur la teneur sonore de l’énoncé et par sa fonction imitative. Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? (Racine, Andromaque, acte V, scène III). Les occurrences des  « s » suggèrent inévitablement le sifflement des serpents.  L’assonance peut être un simple procédé d’insistance ou peut avoir pour but de donner une certaine couleur à l’expression. Toutefois, comme pour l’allitération (= répétition de consonnes), l’interprétation peut en être subjective et délicate.
Exemple littéraire, Verlaine exprime sa tristesse, sa nostalgie par des résonances particulièrement suggestives (la répétition des sons o, an et on) dans sa « chanson d’automne : Les sanglots longs des violons/ De l’automne / Blessent mon cœur / D’une langueur / Monotone (Verlaine, Poèmes saturniens).

En droit, ces figures de style invitent à rechercher le sens de cette expressivité dans les textes du Code civil. P et T paraissent traduire ou insister sur l’obligation. Ce texte 1017 vient peut-être des coutumes orales antérieures au Code civil et aussi d’universitaires et d’autres juristes qui ont appris le français par la rhétorique pas par la littérature. Ils alitèrent naturellement.

Le texte sur la sécurité sociale permet de rappeler l’importance pour la solidité de la nation de son existence. Le texte tiré du code de l’action sociale allitéré en “s” devient plus bureaucratique et presque sadique.

Le sont z dans le texte sur les animaux paraît traduire une certaine émotivité liée peut-être à l’affection pour les animaux, oies remplace loi pour faire le son zoies.

·B 

 

6.- Bac oudropien

Par Dorothée Simonneau

 

DEFINITION :

Il s’agit d’utiliser la contrainte du jeu « le petit bac » pour créer du droit. Cette contrainte ne peut s’effectuer que lors d’un atelier en temps réel. Le principe est basé sur celui du petit bac classique. Une contrainte est ainsi proposée pour constituer les colonnes à l’instar des catégories classiques (mammifère, fruit, légume, sport …) ainsi qu’un texte juridique (celui-ci remplace la lettre originelle du petit bac). Le but du jeu est de créer du droit à travers les contraintes affichées en partant d’un texte imposé. Il faut enchaîner le plus de propositions correctes pour obtenir le plus de points.

Cette contrainte emporte naturellement plusieurs contraintes au regard de la règle du jeu :

 

  • Le temps (temps maximum ou/et le premier qui termine stoppe le temps pour tous)
  • Les contraintes fixent (ici il s’agit d’utiliser les contraintes de l’Oudropo)
  • La lettre (ici le texte)
  • Le collectif (plusieurs réponses similaires annulent le point – le groupe décide également de la valeur de la proposition)
  • Le but : gagner par la vitesse au risque de sortir de la contrainte et de ne pas obtenir de point

APPLICATION :

Le texte La contrainte du prisonnier (réécrire un texte de loi en utilisant la contrainte suivante : n’utiliser aucun b, d, f, g, h, j, k, l, p, q, t et y) Plan en deux parties (réécrire le texte en deux parties) Ajout d’adverbes

(N’apporter aucune autre modification au texte que l’ajout d’adverbes)

Score
Préambule de la Constitution : 3. La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme.

 

Vivre mieux I. Les hommes et les femmes

II.Les droits garantis

3. La loi garantit lentement à la femme, dans bien tous les domaines, des droits peu égaux à ceux de l’homme
Préambule de la Constitution :

4. Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République[1].

Maison sûre

Ou

Une victime aura une maison sûre

Ou

Cours ! ami en maison sûre : ouvre un ici commun, vis mieux

I Persécution et liberté

II La république d’asile

Ou

I créancier du droit d’asile : qui ?

II créancier du droit d’asile : où ?

3. Tout homme fréquemment et intensément persécuté a peu souvent sinon rarement voire jamais le droit d’asile

Ou

3. Tout homme vraiment persécuté a éventuellement (en principe, possiblement) droit d’asile sur les territoires de la république

COMMENTAIRE :

 

Sur la forme. A l’origine de cette contraintes plusieurs questions se posent.

  • Est-il possible de créer du droit avec une contrainte de temps ou même d’espace (taille des colonnes) ? Oui. Vraisemblablement. La règle du jeu oblige les joueurs à s’approprier la contrainte rapidement ce qui a un impact certain sur le résultat de chacun. Devoir suivre des règles strictes y contribue également.
  • Un même texte peut-il supporter plusieurs contraintes ? Oui. Les trois contraintes utilisées peuvent s’appliquer aisément au texte originel sans dénaturer l’objectif de l’exercice.
  • Peut-on arriver à un résultat similaire ou la contrainte entraine-t-elle nécessairement du droit original nonobstant un encadrement extrême ? La contrainte du prisonnier fait apparaître plusieurs fois les termes « maison sûre ». Le cadre du petit bac oudropien implique que les participants s’orientent vers un même résultat. Une cohérence semble s’installer. Curieusement les textes se répondent malgré une infinité de possibilités.

Sur le fond. Le petit bac oudropien permet également une émulation collective. Les participants désirent améliorer le résultat de la contrainte en créant un texte commun : Camille Porodou Cours ! ami en maison sûre : ouvre un ici commun, vis mieux : car tout homme fréquemment et intensément persécuté a peu souvent sinon rarement voire jamais le droit d’asile.

 

La troisième ligne de la deuxième colonne offre un commentaire intéressant sur le droit d’asile qui est défini pour la plupart des joueurs comme l’ambition d’une maison sûre, une terre promise. Alors que la troisième ligne de la quatrième colonne qui utilise la contrainte de l’ajout d’adverbes révèle un manque de confiance unanime des participants dans l’application contemporaine du droit d’asile en France.

L’interprétation « à chaud » du droit et de nos pensées sur le droit semble pouvoir en modifier notre perception. Le temps de la réflexion sur les mêmes contraintes pourrait modifier le résultat final. Ainsi le petit bac oudropien permet tout en alliant la contrainte de forme à celle du fond de modifier notre interprétation du droit par les contraintes du temps et de l’espace.

7.- Battle

Par Hélène Thomas et Alicia Mâzouz

DEFINITION :

Cette contrainte consiste à organiser un débat (disputatio) sur un sujet juridique pour en extraire des normes potentielles.

APPLICATION :

Le thème choisi de la contrainte est celui de la trottinette électrique.

Jean est en faveur de la trottinette : elle vient apporter une mobilité douce, vélo demande beaucoup d’énergie resté debout sans marcher reflète la liberté, propose une norme :

Faire place aux trottinettes

Faire place publique aux trottinettes

Place publique net aux trottinettes

Faisons de la place pour les trottinettes car la place dans la ville explique pourquoi les gens sont hostiles, permettrait plus de sécurité pour les usagers. Il faut un réseau de recharge aux trottinettes.

Il faut un corpus de normes qui n’existent pas car c’est un hybride entre le piéton et le vélo qui peut remplacer la voiture qui transporte souvent dans un grand espace une seule personne.

Autres slogans positifs : Trotinherbe Vélove trotinexe trotinnons, Trotinons ensemble

La trottinette permet de gagner du temps

Un nouveau code pour la trottinette : on peut les débrider :

Crée du lien social car on peut en faire à deux

Fox trot

On est autorisé à être plusieurs sur une trottinette

Disco trot

Un revenu min de trot

Alicia est contre la trottinette.

« Entendez-vous ce bruit de roue, vous entendez le bruit autour de vous, elle est entrée insidieusement dans notre quotidien, sur des rares endroits où l’on avait la liberté de pensée, la liberté du trottoir, d’être présent, aujourd’hui on est privé de liberté de marcher, on a perdu le droit d’être un pas qui marche sur le trottoir ».

Faire place nette pour les trottinettes

Le code de la trot’ ; Le code de trop

Faire les trottoirs avec les trottinettes

Les trotinoirs

COMMENTAIRE :

Il s’agit de refaire un code de la route public avec de nouveaux moyens de locomotion alors que le code de la route était privé initialement.

 

·C

8.- Cartel

Par Dorothée Simonneau

DEFINITION :

 

S’inspirer de l’esprit du cartel des œuvres d’art pour donner la carte d’identité d’une norme juridique. Le cartel c’est la légende de l’œuvre. Il permet de rassembler un certain nombre d’information sur l’œuvre concernée comme le mode et la date d’acquisition, la date de réalisation, la technique employée, etc…

Le cartel peut également faire apparaître des précisions sur les sources d’inspiration de l’artiste, par exemple, ou également faire état d’un commentaire pour comprendre mieux la création. Le cartel peut être utilisé pour mettre en relation plusieurs œuvres ayant des points communs.

 

APPLICATION :

 

Loi n°82-689 du 4 08 1982 relatives aux libertés des travailleurs dans l’entreprise. Loi dite Auroux.

Cette loi donne suite au rapport sur « le droit des travailleurs » élaboré par Jean Auroux alors ministre du Travail de François Mitterrand.

-Extension de la citoyenneté des travailleurs dans l’entreprise

-Stimulation des initiatives individuelles et collectives par le droit du travail

www.legifrance.gouv.fr

Cartel

DENOMINATION Proposition de loi nº 3452 relative à la sécurité globale
AUTEUR DE L’OEUVRE Œuvre collaborative
DATE DE l’OEUVRE 2020-12-xx
MODE D’ACQUISITION DE l’OEUVRE Par procédure accélérée
COMMENTAIRE SUR L’OEUVRE Loi visant à renforcer les libertés par une sécurisation renforcée (des forces de l’ordre notamment).
SITE WEB PERMETTANT DE RETROUVER L’ŒUVRE OU L’ARTISTE https://www.alliancepn.fr/media/show/loi-securite-globale-25461

COMMENTAIRE :

Sur la forme. Il s’agit d’une contrainte de style avant tout. Le cartel oblige à synthétiser au maximum les données d’une norme. Il s’agit d’un subtil mélange entre les informations essentielles pour attirer le « visiteur du droit » et les informations utiles à sa compréhension.

Sur le fond. Cette contrainte pourrait servir d’outil de classement pour le chercheur qui doit utiliser un grand nombre de ressources. Par un effet visuel rapide, le cartel permet d’aller droit à l’essentiel. Si les informations apparaissent pertinentes il suffit de se référer à l’indication relative à la localisation de la norme pour plus d’approfondissement.

Les étudiants pourraient également utiliser la technique du cartel pour mémoriser certains textes de lois ou certains arrêts fondamentaux. L’effort de synthèse pouvant assurer une meilleure compréhension.

La mise en relation, grâce à la contrainte du cartel, de plusieurs normes entre elles s’avère intéressante dans la mesure où la plupart des règles juridiques fondamentales sont liées à d’autres dans la construction du droit.

La comparaison de plusieurs cartels sur une même norme pourrait également donner lieu à débat sur les données les plus importantes à retenir sur telles ou telles règles juridiques. Rien n’indique que chacun puisse avoir le même avis sur l’intérêt à donner à l’œuvre du droit choisi.

 

 

 

9.- Changement de langage

 

Par Camille Porodou

 

DEFINITION :
La contrainte de changement de langage consiste à récrire un texte littéraire afin de le rendre juridique ou un texte juridique afin de le rendre littéraire. Le texte peut être librement choisi ou choisi avec une contrainte : il faut, par exemple, prendre un code, ouvrir la page cinquante-cinq et choisir la cinquième phrase.

 

APPLICATION :

Texte original : « Les sanglots longs des violons/ De l’automne / Blessent mon cœur /

DEVIENT : Article O du Code de la vie romantique : « Sans préjudice des dommages-intérêts, tous les sanglots longs, compte tenu de leur intensité mesurée conformément à l’article R. 312-5-4 du code musical, qui blessent les cœurs sont des violons de l’automne ».

Exemple inverse : page 55 du Code de procédure civile LexisNexis, il n’y a pas d’article mais la jurisprudence sous l’article 16 CPC, article que l’on choisit donc : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».

DEVIENT :

Titre : le juge faisant respecter le droit de chacun d’être entendu.

Ce matin, voulant juger sur le siège de l’immédiateté, le juge s’est abstenu de s’appuyer sur un argument qui lui paraissant intéressant car les parties n’avaient pas pu échanger au préalable sur celui-ci pendant l’audience.

Il n’a pas pu non plus, ce soir, fabriquer lui-même ses arguments sans mettre les parties en mesure d’apporter leur contribution.

 

Commentaire :

L’idée est de jouer avec les différents critères de juridicité et de tenter d’identifier ce qui fait qu’un texte est perçu comme juridique. S’agit-il de l’emploi de la forme impérative et des concepts juridiques ? Existe-t-il d’autres facteurs ? L’exemple des sanglots longs de Verlaine permet de mettre en lumière certains éléments qui jouent sur la perception juridique d’un texte.  Au premier abord, le texte de cet exemple n’est pas juridique. Il ne comporte aucun impératif, ni aucune obligation, et semble déclarer un état de fait. Néanmoins, le placement du texte dans un code, l’expression « sans préjudice » et le renvoi à d’autres codes lui donnent incontestablement une allure juridique.

Il se peut que la version littéraire du texte juridique (art. 16 CPC) soit moins claire que la version juridique. La contrainte du remplacement des mots par des termes plus communs crée un décalage de sens qui peut ne pas être neutre (ex. de la fabrication du droit par le juge).

 
 
10.- Changement du champ d’application

Par Viveca Mezey et Camille Porodou

DEFINITION :

Le changement du champ d’application consiste à modifier la portée d’un texte – champ d’application matériel, personnel, temporel, deux d’entre eux ou tous les trois – puis, éventuellement, à adapter la norme à ce nouveau champ.

APPLICATION :

L’article 61-5 du Code civil qui s’applique aux personnes physiques, peut être modifié afin de s’appliquer aux animaux et plus généralement à tous les êtres vivants. Cet article qui dispose : « Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification. Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être :1° Qu’elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ; 2° Qu’elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ; 3° Qu’elle a obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué ».

DEVIENT :

« Tout animal, ou plante, qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son espèce dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel il se présente et dans lequel il est connu peut en obtenir la modification. Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être :1° Qu’il se présente publiquement comme appartenant à l’espèce revendiqué, qu’il soit éteint ou non ; 2° Qu’il est connu sous l’espèce revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ;3° Qu’il a obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde à l’espèce revendiqué ».

A l’inverse, un texte qui n’est pas destiné aux personnes physiques peut leur devenir applicable. L’article 1833 « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. » et l’article 1835 « […] Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activités »

DEVIENNENT : (Art. 1833) « Toute personne, majeure et mineure, doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun de ses membres. La personne est gérée dans son intérêt personnel, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Et (Art. 1835) : « L’acte de naissance peut préciser une raison d’être, constituée des principes dont la personne se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».

COMMENTAIRE :

Le changement du champ d’application permet de faire entrer dans la sphère juridique des situations qui lui restent en principe extérieur. Il permet de susciter des normes qui nous paraissent assez absurdes et de réfléchir aux limites du droit. Ce dernier doit-il englober tout ? S’il ne paraît pas très choquant de permettre À la société de se doter d’une raison d’être dans les statuts, la possibilité d’introduire une telle raison dans l’état civil est plus surprenante. Certes, de nombreuses personnes physiques se dotent sans doute d’une raison d’être, ou sont à la recherche d’une telle raison, mais lui conférer une portée juridique peut sembler assez intrusif.

 

11.- Chiffres contraints

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

Consiste à contraindre les chiffres d’un article juridique pour modifier les règles, de préférence selon une logique mathématique ou pseudo mathématique.

APPLICATION :

Sur l’article 343 Code civil : « L’adoption peut être demandée par deux époux non séparés de corps, mariés depuis plus de deux ans ou âgés l’un et l’autre de plus de vingt-huit ans ».

DEVIENT si tous les chiffres sont multipliés par deux :

« Deux adoptions peuvent être demandée par quatre époux non séparés de corps, mariés depuis plus de quatre ans ou âgés l’un et l’autre de plus de 56 ans ».

COMMENTAIRE :

Cet oudropo,, crée une communauté d’adoption pouvant unir les parents biologiques et les parents adoptifs, l’adoption plénière et l’adoption simple.
Quelle est la raison d’être de l’exigence de 28 ans, pourquoi pas 30 ou 26 ? Cela s’explique peut-être par l’exigence d’un écart d’âge de plus de 10 ans avec l’adopté lorsqu’il est mineur (18 + 10 = 28). On pourrait aussi dans une approche plus respectueuse des mathématiques multiplier par deux les chiffres de la première partie de l’article et diviser par deux les chiffres de la deuxième partie comme dans une équation. Cela donnerait : « Deux adoptions peuvent être demandée par quatre époux non séparés de corps, mariés depuis plus d’un an ou âgés l’un et l’autre de plus de 14 ans ». Cependant, l’adoption par un couple de mineurs pose sans doute une difficulté sérieuse.

12.- Chimère

 

Par Dorothée Simonneau

 

DEFINITION :

Cette contrainte nécessite de croiser deux textes juridiques et prendre alternativement un mot dans chacun des textes à la suite les uns des autres (dans un article de loi, un attendu de principes, etc.) ou bien d’opérer un enchevêtrement de textes plus aléatoire. Cela peut très bien être fait de manière automatisée en mettant les deux textes en colonne. Une autre formule consiste à garder la structure d’un texte (mots de liaison) et à prendre dans un autre les substantifs, adjectifs ou verbes, cela correspond à la contrainte oulipienne de la chimère.

 

APPLICATION :

  1. L’article 1134 ancien du Code civil :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi »

et l’article 1135 ancien du Code civil:

« Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».

DEVIENNENT : « Les conventions obligent seulement non-lieu de loi à ce qui y est exprimé mais elle ne peuvent à toutes les suites révoquées que donnent leur consentement mutuel ou les causes à l’obligation de bonne foi. Les conventions légalement formées tiennent non-lieu seulement de loi à ceux qui les ont faites elle donne que l’obligation de l’usage ou les causes de la loi d’après sa nature ».

  1. L’article 3 §1 du règlement concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union européenne et les dépositaires centraux des titres : « Sans préjudice du paragraphe 2, tout émetteur établi dans l’Union qui émet, ou a émis des valeurs mobilières admises à la négociation ou négociées sur des plates-formes de négociation veille à ce que ces valeurs mobilières soient inscrites en compte en tant qu’immobilisation ou après l’émission directe sous forme dématérialisée » et l’article 645 du Code civil : « S’il s’élève une contestation entre les propriétaires auxquels ces eaux peuvent être utiles, les tribunaux, en prononçant, doivent concilier l’intérêt de l’agriculture avec le respect dû à la propriété ; et, dans tous les cas, les règlements particuliers et locaux sur le cours et l’usage des eaux doivent être observés»

DEVIENNENT : « S’il, sans préjudice, s’élève, une contestation du paragraphe 2, tout émetteur, auquel, établi dans l’Union, ces eaux qui émet, peuvent être utiles, ou a émis, les tribunaux des valeurs, en prononçant mobilières, doivent, admises, concilier la négociation, l’intérêt négociées de l’agriculture, avec des plateformes. Le respect veille à ce que, dû, ces valeurs à la propriété mobilières soient dans tous inscrites. Les règlements en compte particuliers, en tant que locaux immobilisation, sur l’émission, l’usage directe des eaux sous forme, doivent être dématérialisée ».

  1. 3. Les articles 1143 et 341-1 du code civil (dont les chiffres sont inversés par quelque magie improbable) : « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » et
    « Lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ».

DEVIENNENT l’article 1143-341-1 : « Lors de la violence, une partie peut demander que l’état de dépendance de son cocontractant soit préservé et il y a également accouchement, lorsque la mère, abusant du secret de son admission dans lequel se trouve son identité à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

COMMENTAIRE :

Dans le premier exemple, il n’y a pas de puissance d’évocation, l’entrecroisement de deux textes permet de parler d’autre chose, le signifié est supprimé, il reste des mots qui flottent sans esthétique.

 

Dans le deuxième exemple, le terme de « plateforme » apparaît, on parle de travailleur des plateformes numériques, ici il s’agit du concept de plateforme de négociation, c’est un marché virtuel.

La chimère parle « des eaux sous formes dématérialisées » ce qui fait penser au film « la forme de l’eau ». Le terme de tribunal de valeur est plutôt esthétique et s’ajoute à la liste des tribunaux très spécialisés de l’histoire : tribunal du feu, tribunal kangourou, etc. Il s’agirait d’une juridiction spécialisée en matière boursière. Il est donc possible de trouver des choses intéressantes mais l’ensemble n’évoque rien, tout dépend du ton.

Dans le troisième exemple, qui est le père ? est-ce lui qui est abusé ou est-ce l’enfant ? L’accouchement devient un acte juridique comme dans la GPA. Quelques fois cela donne des textes qui ouvrent des espaces d’interprétation. On peut donner sens au texte alors que, dans les textes précédents, il n’y avait ni espace d’interprétation ni esthétique. Lorsqu’on lit ensemble le texte produit, on obtient un texte qui n’a aucun sens mais on arrive quand même à le commenter et à trouver de la matière à réflexion.

 

13.- Collage

Par Nathalie Dion

DEFINITION :

La contrainte du collage dite aussi Olympe de Gouges consiste à ajouter quelque chose à une règle de droit. Le collage, c’est « l’action de coller, son résultat » (Petit Larousse Universel, v° Collage), « l’assemblage par adhésion. Notamment dans les arts, il s’agira d’une « composition picturale faite de papiers découpés et collés sur la toile, éventuellement intégrés à une partie peinte » : v. les collages de Braque, de Picasso.  Fig. « Œuvre d’art », ou « récit composé d’éléments disparates juxtaposés » (Dictionnaire Culturel en langue française, Le Robert, v° Collage). 

APPLICATION :

 

 L’article 515-14 CC : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens »

DEVIENT :

« Les animaux….    et les arbres sont, comme les humains…., des êtres vivants, doués de grande sensibilité .  .  Sous réserve des lois qui protègent respectivement les espèces animales, humaines et végétales, celles-ci ont vocation à évoluer sur la planète Terre en interdépendance, dans une relation paisible et ne sont pas soumises au régime des biens ».

COMMENTAIRE :

Les émojis renforceraient la vertu pédagogique des textes (juridiques), leur universalité.

14.- Coïncidence

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

La coïncidence est à la fois un concept juridique potentiel et une contrainte. La Contrainte consiste ici à mener une réflexion juridique en étant attentif aux coïncidences ou à tous les aspects d’une seule coïncidence, en suivant ainsi une ligne transdisciplinaire et sans frontière (on peut considérer qu’il s’agit d’un synonyme de la sérendipité (v. S. Catellin, Sérendipité, du conte au concept, Science Ouverte, Seuil, 2014).

APPLICATION :

 

Le concept juridique de coïncidence peut se définir comme la concomitance de deux faits pouvant entrainer des effets juridiques (la présence d’une personne sur les lieux de plusieurs infractions) ou la non reconnaissance d’effets juridiques selon qu’ils constituent des indices concordants ou des indices irrationnels (simple coïncidence troublante sans conséquence, ex. quelqu’un se trouvant par hasard sur une photo de presse avec deux criminels).

La contrainte de la coïncidence peut se réaliser sur Internet. La recherche oudropienne en ligne peut susciter des coïncidences juridiques. Traditionnellement la fréquentation d’une bibliothèque pouvait faire « tomber » sur un article ou un livre improbable qui changeait le cours d’une recherche. Sur Internet, le hasard est plus difficile à déclencher, mais les coïncidences juridiques numériques existent. Nous suggérons à un chercheur qui souhaite sortir de sa zone de confort de pratiquer tous les exercices oudropiens qui l’attirent sur son sujet et sur Internet (en utilisant le CNRTL, les sites de traduction, les bases de données juridiques, etc.) : par exemple la contrainte du haïku, des nombres, des antonymes, de la proxémie, des synonymes, etc. On pourrait peut-être d’ailleurs imaginer un robot dans lequel on entrerait son sujet de recherche ou la règle sur laquelle on travaille.

Témoignage de chercheur : « Je recherchais des auteurs ayant traité de la présence pour travailler sur les procès en visioconférence. En m’intéressant à René Char, j’ai été attiré par sa correspondance avec Mounin dans une librairie. Or, il se trouve que dans le même temps, une collègue m’avait laissé des livres qui l’encombraient dans son bureau et je n’y avais pas prêté attention. Pourtant parmi eux se trouvait un livre de ce même Mounin sur la linguistique, livre qui me conduisit vers une nouvelle orientation de recherche ».

COMMENTAIRE :

Le droit a-t-il quelque chose à dire sur les coïncidences troublantes que Jung appelait des synchronicités ? Freud sentant le terrain glissant s’y est intéressé de manière prudente. Le mouvement Droit et Littérature peut conduire à s’intéresser aux coïncidences lesquelles, presque systématiquement, sont au cœur des fictions (il n’y a pas de roman policier sans coïncidence !). Le mouvement voisin Droit et Cinéma amène à se pencher sur la filmographie de Rohmer. La coïncidence y survient dans les moments de fragilité des rapports humains qu’il étudie, par exemple dans un Conte d’automne (voir à l’inverse le concept de dé-coïncidence qui selon Fr. Jullien serait à l’origine de bien des nouveautés et créations, Dé-coïncidence, éd. Grasset, 2017). La coïncidence en droit permet de réfléchir à la question de la rationalité et de l’irrationalité.

15.- Confinement

Par Nathalie Dion

DEFINITION :

La contrainte a pour objet de créer du droit potentiel en situation de confinement.

APPLICATION :

Que peut nous inspirer la contrainte du confinement pour créer du droit ? Peut-on créer du droit potentiel par visioconférence en zoom-dropo ? On pourrait, par exemple, envisager d’étudier la création du concept d’obligation non recommandée : le masque n’est plus recommandé mais obligatoire. Nous peut également travailler sur le concept de distanciation sociale : la distance sanitaire est-elle compatible avec la juste distance  dans un rapport de droit ? Certains seront peut-être inspirés par le déluge d’ordonnances en état d’urgence sanitaire pour créer du droit potentiellement contraire aux libertés fondamentales et donc au droit.  Ce qui frappe est le mot Covid : on partage du vide, covid-19, il y a neuf dans dix-neuf, du vide neuf, c’est vertigineux.

COMMENTAIRE :

Comment une contrainte factuelle peut générer des contraintes juridiques ? Il est très difficile – voire impossible – de créer en expérimentant sur une longue durée un confinement, même volontaire, complètement solitaire. Lorsqu’elle s’enferme dans son atelier après sa rupture avec Rodin pour développer son art propre, Camille Claudel perd la notion d’espace et de temps. Sa pensée devient incohérente et elle sombrera dans la folie. En revanche, un confinement de longue durée, subi mais vécu dans un cercle familial, affectif, favorisera l’acte de création. Anne Franck, aurait-elle écrit son fameux journal si elle n’avait pas été cachée, confinée deux ans dans un appartement pendant la Seconde Guerre mondiale ? Elle tiendra son journal sans doute pour donner du sens à cette privation de liberté.

Aujourd’hui, en France, celles et ceux d’entre nous qui n’ont justement jamais connu la privation de liberté, les grandes épidémies, la (vraie) guerre, ont vécu durant cette période de confinement des moments anxiogènes, avec peut-être le besoin de donner un sens à cette situation par la créativité et en particulier, pour les Oudropien-nes, par la créativité juridique.

Alors, le confinement permet-il de créer et d’inventer du droit potentiel ? Difficilement, pour ceux qui, confinés à plusieurs dans des logements exigus ont dû supporter le bruit des autres. Pour ceux dont l’esprit a été souvent envahi, « brouillé » par l’avalanche des informations anxiogènes via les réseaux sociaux, le téléphone, la télévision, l’Internet, et par l’attente d’un « retour à la normale ». Une attention excessive portée sur l’extérieur occupe l’esprit et peut entraver une vraie disponibilité, un recul sur le réel, un espace pour un processus créatif.

En revanche, le confinement permet de créer du droit potentiel s’il est vécu à distance du tumulte des médias, dans un lieu calme propice à la concentration, un lieu dans lequel il est possible de se confronter à soi-même et de vérifier ses propres hypothèses. Il y a alors matière à une réflexion autour d’une possible dérive sécuritaire à des fins sanitaires, sur l’atteinte aux libertés avec l’attestation de déplacement dérogatoire ou de passe sanitaire, les outils de contrôle comme les drones, la vidéosurveillance ou la reconnaissance faciale, et en définitive le traçage des populations par la surveillance numérique. S’ouvre alors un vaste champ d’étude sur les interactions entre le droit et les émotions, et en particulier sur la peur, au centre de la crise sanitaire actuelle.

16.- Concept de concept

Par Jean-Baptiste Jacob (et un ajout, l’exemple 4, par Emmanuel Jeuland)

DEFINITION :

L’effort de connaissance de la discipline juridique se résout, toujours, en un travail d’analyse conceptuelle. La contrainte du « concept de concept » entend justement interroger les différentes modalités de définition à disposition des juristes. Il s’agit d’apprécier, pour un concept donné, les différentes façons de l’appréhender et les conséquences de celles-ci sur sa signification potentielle.

APPLICATION :

 

1.- Cour Européenne des Droits de l’Homme, Gasus Dosier und Fördertechnik GmbH contre Pays-Bas, – 15375/89, 1995, § 53 : « La Cour rappelle que la notion de « biens » de l’article 1 du Protocole no 1 a une portée autonome qui ne se limite certainement pas à la propriété de biens corporels : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits de propriété » et donc pour des « biens » aux fins de cette disposition ». La CEDH reconnaît que certaines créances constituent des « biens » et peuvent fonder un « droit de propriété ».

2.- Charles Aubry et Charles Rau, Cours de droit civil français, T. II, 5ème éd., 1897, p. 72 – 73 : «À la différence de la distinction des droits en mobiliers et immobiliers, laquelle se rapporte à la nature de la chose formant l’objet de tel ou tel droit, la division des droits en réels et personnels, repose sur la nature intrinsèque des droits eux-mêmes ». À lire les deux auteurs, on comprend que la propriété qui s’exerce sur un bien, c’est-à-dire immédiatement sur une chose, ne saurait s’appliquer aux créances sauf à ce qu’elle soit exclue de la catégorie des droits réels.

3.- Définition potentielle par Camille Porodou, Anthologie 2018-2021, selon la contrainte du concept de concept : « La chose juridique s’entend de tout objet réel et particulier qui s’impose à l’esprit et aux sens de l’interprète authentique habilité par la force ou, par la raison, à édicter des commandements ».

4.- Concept du concept d’objet réel et particulier qui s’impose à l’esprit : « l’objet réel et particulier qui s’impose à l’esprit s’entend de toute butée qui est en  relation avec une autre butée pour former une portion de l’espace-temps ». En effet, dans une théorie relationnelle de l’univers, l’espace n’existe pas indépendamment des objets en relation. Il resterait à définir le concept d’espace-temps en droit et de « butée ».

COMMENTAIRE :

La définition du concept de « bien » corrélée à celle du concept de « propriété » est un exemple topique des différentes façons d’envisager les concepts juridiques. Les trois exemples précédents articulent les deux grandes méthodes de la définition mobilisées en droit. Une première approche, issue de la philosophie anglo-saxonne[2], peut être qualifiée de conventionnaliste – ou inférentielle. Elle suppose que la signification d’un concept renvoie seulement aux conditions d’usage de celui-ci. En application de cette méthode, la définition du « bien » élargie aux créances, que propose la CEDH, dans l’exemple 1, pourra être considérée valide. Une seconde approche, plus conforme à la tradition française[3], peut être qualifiée de réductionniste ou logique. Elle suppose qu’un concept trouve toujours sa signification par référence abstraite à son genre de rattachement (genus proximum) et, en son sein, par référence supplémentaire à sa différence spécifique (differentia specifica) avec les autres objets de ce même genre. L’application de cette méthode est évidente dans l’exemple 2. Le concept de propriété est rattaché à un genre supérieur, duquel il dépend, à savoir le concept de « droit réel ».  À son tour, le concept de « droit réel », peut faire l’objet d’une définition réductionniste. Son genre de rattachement réside dans le concept de « droit patrimonial ». Au sein de ce genre, il possède une différence spécifique avec un autre concept, « le droit personnel ». Cette différence spécifique se fonde sur un autre concept, celui de « chose ».  La définition de la chose est rendue difficile d’un point de vue analytique comme l’illustre l’exemple 3. Elle constitue une définition première ou ultime, une sorte de « grundnorm ». La méthode conventionnaliste n’est absolument pas appropriée puisqu’on ne saurait retenir, ni même identifier, un usage spécifique du concept permettant de lui attribuer sa signification. La méthode réductionniste montre également des limites. Le concept de « chose » ne saurait trouver de genre de rattachement. Il doit être appréhendé par un concept synonyme, l’objet, par exemple, sans pour autant que l’on progresse dans l’entreprise de connaissance. Sa définition doit donc se poser comme un point de départ d’une chaîne analytique – celle qui va justement décomposer l’idée de chose, dans l’idée de bien par exemple, entendu comme « chose appropriée ». L’exemple 3 illustre, surtout, les limites de la démarche analytique en droit, qui se retrouve, en dernière hypothèse confrontée à un choix. L’entreprise de définition doit opérer soit par l’expérience et l’observation, soit par un effort supplémentaire de réflexion. Dans le premier cas, elle se fonde sur une méthode empirique – qui tend à la casuistique – dans le second cas, elle se fonde sur une méthode étymologique [renvoi contrainte de l’étymologie]. L’exemple 4 qui cherche encore le concept derrière le concept se heurte à la frontière entre le champ juridique et le champ de la physique.

17.- Confins (ou frontière)

Par Frédéric F. Martin

DEFINITION :

Si les frontières du droit sont marquées par des bornes, il s’ensuit que celles-ci peuvent être déplacées et les frontières dépassées. Au royaume des juristes, les bornes sont rois[4]. La contrainte de la frontière ou des confins peut prendre de nombreuses formes dont, sans limitation :

– On peut réécrire un texte en changeant la frontière avec les signes de ponctuation « ,;. » Le déplacement d’un point est comme le déplacement d’un frontière.

– Cela conduit aussi à s’interroger sur les lacunes en droit, les frontières internes de la loi. Est-ce qu’il existe des sujets que le droit ne traite pas ?

– Peut-on trouver les définitions juridiques de sorcière et fée voire d’autres concepts qui se trouvent aux limites du droit ?

– Par ailleurs, le droit ne peut pas réglementer quelque chose qui n’est pas logique. S’intéresser aux frontières du droit peut donc conduire à rechercher des règles impossibles car irréalisables ou illogiques.

– La contrainte de la frontière peut être aussi celle de la limite entre le droit et d’autres disciplines telles que la science politique.

 

 

 

APPLICATION :

L’article 515-14 CC : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité, sous réserve des lois qui les protègent. Les animaux sont soumis au régime des biens. »

DEVIENT :

« Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ; sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. »

COMMENTAIRE :

Alors qu’il les consacre, le droit ne cesse de passer les bornes. Il s’étend et se transforme, dans ses bornes mêmes. Les ponctuations, en particulier, en sont une manifestation. Comme les alinéas ou les règles d’écriture, elles rythment le propos, imposent une structure.

Or la ponctuation change avec le temps, comme le style des arrêts de la Cour de cassation. Longtemps, avant l’imprimerie, elle ne fut utilisée qu’à la marge ; la syntaxe rythmant à elle seule la phrase. Elle gagne ensuite en importance sans être pourtant réglementée. Depuis, un simple point déplace parfois une frontière. Parfois, sur Légifrance, un point-virgule esseulé témoigne d’une réforme ; à moins qu’il ne s’agisse d’une erreur de numérisation. Ce qui s’étend au-delà peut être inclus par défaut ; à moins qu’il ne s’agisse d’un No rule’s land, un précipice au bord duquel la raison juridique s’arrête.

On soulignera pourtant la rareté des points de suspension qui suspendraient la frontière ou l’étireraient. Il en allait tout autrement des « etc. » dans l’ancien droit. Ils étaient courants dans les actes juridiques, manifestant une clause suffisamment connue et standardisée pour n’avoir pas à être inscrite dans sa totalité. Dans tous les cas se manifeste une forme de complétude. Seul le droit jugera de ce qui lui échappe. Nulle lacune dans un tel régime, nul hors-droit : des frontières internes, qui rythment le raisonnement mais un droit sans au-delà. Réciproquement, le droit, narcisse aveugle, ne peut juger de ce qui lui échappe.

Parfois, il pointe une prétendue lacune pour étendre son empire, inventer un objet. Il s’interdit parfois des domaines et s’arrête au seuil des libertés ; de moins en moins semble-t-il. Gourmand comme le pouvoir, il se défie des frontières et n’hésite pas à se saisir de ce qui voudrait lui échapper. Les sorcières elles-mêmes purent être soumises au droit ; à l’inverse des fées qui lui ont échappé. Il n’est pas jusqu’au fleuve qui ne puisse être une personne. Bien des fleuves marquant des frontières, il s’ensuit donc qu’une frontière peut être une personne – ou l’inverse. Au-delà, la liberté n’est de droit que si le droit la borne :

Les recherches scientifiques sont libres dans l’espace extra-atmosphérique […][5].

On voudrait espérer que le droit ne soit pas illogique et s’efforce de ne pas tenter de régler des phénomènes irrationnels. Ce serait présumer de la raison juridique qui s’est toujours fort bien accommodée d’une certaine déraison. À l’inverse, un droit qui tiendrait ses frontières pour toujours suspendues à un Führerprinzip serait une forme de subversion latente de toute juridicité ; une règle fondamentalement arbitraire e(s)t donc parfaitement paradoxale.

Il faut donc au droit des frontières pour qu’il soit cohérent. Et s’il ne l’est, il contredit la rationalité promise par ses rigueurs formelles et ses argumentations. Réciproquement, et enfin, si la ponctuation est sujette à caution historique et s’il faut savoir lire les anciens arrêts pour pouvoir comprendre les nouveaux, ne devrait-on pas, tout simplement, supprimer la ponctuation ? Il faut donc le clamer : Sus aux points virgules points virgules deux points de suspension d’exclamation ou interrogation quoique j’aime bien ces derniers je préférerais qu’on les garde et je me sens partir partir partir comme s’il n’y avait plus la moindre frontière… ni droit.

18.- Consonne

Par Camille Porodou

DEFINITION :

Il s’agit de remplacer une consonne par mot dans un énoncé juridique ou bien d’ajouter une consonne dans un concept juridique (par exemple Brègle : une règle redoublée).

APPLICATION :

Jeu de consonne à partir du premier alinéa de l’article 1 de la constitution de 1958, selon lequel : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

La contrainte consiste à remplacer les r par des L et inversement : « Ra Flance est une lépubrique indivisibre, raïque, démoclatique et sociare ».

COMMENTAIRE :

C’est un exemple des effets parfois désarçonnant de l’Oudropo,, qui se passe de commentaire.

19.- Conte de droit

Par Hélène Thomas

DEFINITION :

La contrainte consiste à réécrire un conte de fée au regard du droit contemporain.

APPLICATION :

En attendant Barbe Bleue :

Il était une fois un homme qui avait une belle carrière devant lui. Mais, par malheur, cet homme avait la barbe bleue : cela le rendait si laid et si terrible, qu’il n’était personne qui ne s’enfuît de devant lui.  Il épousa la cadette de deux sœurs Alexandra. Ce n’étaient que promenades, que parties de chasse et de pêche : enfin tout alla si bien qu’Alexandra, commença à trouver que Dick le maître du logis était un fort honnête homme.

Au bout d’un mois, la Barbe-Bleue dit à sa femme qu’il était obligé de partir, pour une affaire de conséquence ; qu’il la priait de se bien divertir pendant son absence ; qu’elle fît venir ses bonnes amies. Je te donne tous les codes pour nextflic, et Amazone et mes clés tu peux tout utiliser sauf cette petite clé USB je vous défends de l’ouvrir et je vous le défends de telle sorte que, s’il vous arrive de l’ouvrir, il n’y a rien que vous ne deviez attendre de ma colère. » Elle promit d’observer exactement tout ce qui lui venait d’être ordonné, et lui monte dans son carrosse, et part pour son voyage.

Les voisines et les bonnes amies n’attendirent pas qu’on les envoyât quérir pour aller chez la jeune mariée, tant elles avaient d’impatience de voir toutes les richesses de sa maison, n’ayant osé y venir pendant que Dick y était, à cause de sa barbe bleue, qui leur faisait peur. Elles ne cessaient d’exagérer et d’envier le bonheur de leur amie, qui, cependant, ne se divertissait point à cause de l’impatience qu’elle avait d’hacker le code de la clé USB.  Elle demanda à sa Sœur Anne de le faire, qui horrifiée devant la vidéo de Dick qui scandait la barbe au vent : « que vois-tu, que vois-tu, que vois-tu venir ? D’un coup elle se rappela toutes les femmes qu’il avait traînées en justice pour « atteinte à l’intimité de la vie privée » quand elles s’étaient plaintes de recevoir des photos de Dick non sollicitées. Et avait fini à la rue sans emploi ni secours.

Morale :

Barbe bleue de nos jours

Peut dormir en paix

Plus besoin de tuer.

L’intimité de la vie privée est protégée

Alex et son frère seront engeolés

Et les ébats de Dick en ligne seront effacés

COMMENTAIRE :

L’usage du conte en matière de droit est ancien, depuis les frères Grimm jusqu’à Fr. Ost. Il permet dans un format relativement court de présenter une question d’actualité de manière imagée et affective tout en parlant à l’inconscient.

On peut remarquer que le conte du petit Poucet implique, du point de vue juridique, une mise en danger d’autrui et relève de l’assistance éducative. Le chaperon rouge supposerait de vérifier la date d’ouverture de la chasse (V. Les deux ouvrages de Fr. Ost, Si le droit m’était conté, Dalloz, 2020-2021).

20.- Création de concept juridique

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

 

DEFINITION :

Pour créer un concept oudropien, il convient tout d’abord de trouver un terme qui n’est pas encore un concept juridique. Il y a plusieurs méthodes : par le hasard des rencontres ou le tirage au sort dans un dictionnaire (exemple ricochet), voire le tirage au sort d’un mot au hasard sur une application spécialisée (tirage de mot aléatoire). Il importe ensuite de chercher dans un site de doctrine (Lextenso, Dalloz, LexisNexis, etc.) une centaine d’occurrences du terme et d’essayer de trouver suffisamment de régularités pour rédiger une définition.

APPLICATION :

La sobriété est-elle un concept ou un principe, un objectif ou une mesure ? Il s’agit d’une pratique visant à limiter une consommation ou une production à ce qui est juste nécessaire. On parle de sobriété énergétique, foncière, de la consommation des matières premières, de l’exposition aux ondes magnétiques éventuellement entrée dans le champ contractuel). Le concept juridique de sobriété devient même un “principe” en matière de radiofréquence (Le rapport de la mission conduite à la demande du Gouvernement par MM. Girard, Tourtelier et Le Bouler « Développement des usages mobiles et principe de sobriété », publié en décembre 2013 et disponible en ligne sur le site de la Documentation française). Ce principe peut apparaître pertinent en tant que déclinaison du principe de prévention ou de précaution. Cependant selon un auteur (E. Annamayer), il s’agit moins d’un principe que d’un objectif prenant la forme de mesures : « À notre sens, la conciliation recherchée entre les préoccupations économiques et les préoccupations sanitaires et environnementales est exercée avec des difficultés. D’abord, l’objectif de « sobriété » qui n’est pas inconnu dans la littérature juridique, peut être à l’origine de nombreuses interprétations possibles tant il manque de clarté, et d’autant qu’il n’est pas défini dans l’exposé des motifs de la proposition de loi ni dans le corps de la loi… Le choix de faire de la sobriété de l’exposition aux ondes électromagnétiques un objectif et non un principejuridique doit être souligné. Il contourne le risque d’un contentieux abondant dans lequel les requérants auraient pu être tentés de contester la légalité des mesures prises par les autorités publiques en contradiction avec un principe dont les contours sont mal définis »[6].

COMMENTAIRE :

La création de concept peut enrichir le vocabulaire juridique, permettre de percer à jour des termes à la mode (ex. trou dans la raquette, jauge, etc.), c’est-à-dire permettre d’avoir une approche critique d’un concept émergent servant en réalité à limiter les recours tout en permettant un développement technologique relativement risqué comme c’est le cas pour le concept de sobriété. Le « principe de sobriété » est un avatar du principe de précaution et de prévention qui peut servir, par son imprécision, à autoriser tous les projets risqués en évitant les recours sauf exception. Comme souvent, la légistique dit exactement le contraire de ce qu’elle fait puisque le principe de sobriété peut permettre tous les développements technologiques bien présentés en prenant des mesures sans en faire un principe liant le juge mais au contraire en générant une marge de manœuvre permettant au juge de limiter le contentieux.

La création de concept conduit ainsi à s’interroger sur le statut de termes émergents pour déterminer s’il s’agit de véritables principes, d’objectifs, de simples concepts voire un mot recouvrant de simples mesures qui participent d’un mouvement long de processualisation du droit (et qui dit processualisation dit évitement des valeurs au profit des « process » d’information et de délibération). Un dictionnaire juridique des concepts absents des lexiques juridiques peut alors être envisagé (avec les concepts de fantômes, de tapis, de poussière, de ricochet, de coïncidence, de bienveillance, etc.). Reste la difficulté des concepts employés pour définir d’autres concepts qui conduit à une régression à l’infini (voir la contrainte du concept de concept).

21.- Coronacrash

 

Par Nissim Elkaïm

 

DEFINITION :

 

Si l’on devait refaire le monde après la crise du coronavirus et un éventuel krach boursier, quel serait le projet juridique que l’on envisagerait ? C’est la contrainte du coronacrash.

APPLICATION :

 

Le coronavirus avait pris de court tout le monde. Personne, à part quelques illuminés adeptes de sciences fictions, n’avait imaginé un tel scénario. Il avait frappé brutalement. L’état d’urgence sanitaire avait était déclaré. La France, à l’instar du reste de la planète, était entrée dans un long confinement de près de deux mois. L’occasion pour chacun de méditer et de se plonger dans une ascèse intérieure. Des prises de consciences commençaient à émerger. La désindustrialisation de la France posait problème : impossible d’être autonome en matière de production de masques. Le démantèlement du service public était sans doute une erreur : pas assez de lit dans les hôpitaux publics et d’équipements de réanimation pour faire face au pic de l’épidémie. La mondialisation était de plus en plus remise en question : elle pouvait être le terrible vecteur d’un virus meurtrier. Les limites de l’économie contemporaine devenaient claires : par temps de pandémie le paradigme devait changer, ce n’était plus le profit mais la solidarité. Certaines questions juridiques se posaient avec force : comment légiférer par temps d’état d’urgence sanitaire, alors que Parlement et Sénat ne peuvent pas se réunir ? Le système des attestations de déplacement dérogatoire ne porte-t-il pas une atteinte disproportionnée aux droits et libertés fondamentales ? Quels critères pour les forces de l’ordre pour opérer des contrôles aléatoires ? Le test obligatoire est-il envisageable ? La mise en œuvre d’une application de géolocalisation des personnes malades est-elle souhaitable ? Etc. Ces prises de conscience suscitaient l’espoir d’un monde nouveau et meilleur au sortir du confinement.

Néanmoins, le jour nouveau n’a pas eu lieu, ou du moins il ne s’est pas levé comme cela avait été espéré. Au moment du déconfinement, lorsque la vie a repris son cours, la crise économique sévissait. Les importations de masques et de produits bon marchés se sont accélérées. Une partie du secteur hospitalier a été privatisée. Les consultations médicales à distance sont devenues la norme, et les consultations physiques l’exception. L’hospitalisation à domicile la règle, et celle en milieu hospitalier ou en clinique l’exception. La libre circulation des personnes et des biens a repris à un rythme effréné afin de tenter de relancer l’économie. Le chômage sévissant dans tout le pays, l’égoïsme du chacun pour soi a repris très vite le dessus. Dans le but de réaliser des économies, le travail dématérialisé à domicile s’est installé de façon pérenne. Parlementaires et sénateurs ne se sont plus réunis que de façon virtuelle. Les locaux de l’Assemblée nationale et du Sénat ont été vendus. Dans les écoles et les universités, il n’y eut plus que des cours « zoom » pour élèves et étudiants visionnant des écrans à leur domicile. Les locaux des écoles et des universités furent vendus. Plus question pour une grande partie des travailleurs de se rendre sur leur lieu de travail : la crise du coronavirus avait démontré que l’on pouvait travailler efficacement de chez soi. La population fut scindée en deux : les « malades » dont les déplacements furent surveillés et limités, et les « sains » pouvant circuler librement. Seul le pouvoir exécutif avait conservé ses locaux et ses anciennes traditions : les membres du gouvernement se rendaient encore tous les jours dans leurs ministères afin de pouvoir y travailler, et les conseils des ministres reprirent comme avant. Quant au monde de la justice, il fut profondément modifié. Plus question de plaider un dossier au palais de justice. La plaidoirie virtuelle devint obligatoire. Seule la mise en œuvre d’une procédure spéciale permettait de demander une plaidoirie physique. Mais elle fut soumise à quelques cas d’ouvertures très restreints dont la Cour de cassation veillait jalousement à une interprétation stricte. La publicité des débats était soumise à une autorisation spéciale : celle du juge du « zoom ». En effet, la fonction de ce nouveau magistrat était apparue comme une évidence. Il lui appartenait de régler toutes les questions afférentes au « zoom » : rôle, audiencement, accès aux débats, égalité des armes numériques, distribution des codes, atteintes à la vie privée … En première instance, les décisions étaient rendues par des robots judiciaires utilisant des algorithmes. Ce n’est qu’en appel et en cassation que le justiciable avait droit à un juge humain. Afin de préserver la neutralité de la justice, lesdits algorithmes devaient rester secrets, et défense fut faite aux différents éditeurs (LexisNexis, Dalloz, etc.) et aux universitaires de créer des bases de données de décisions judiciaires permettant de développer des algorithmes similaires à ceux des robots judiciaires de première instance. Une « zoom taxe » fut élaborée : elle était calculée au prorata du temps passé sur « zoom » par chaque administré et justiciable. Quant à ceux qui ne disposaient pas d’un équipement numérique, ils furent soumis à une « taxe d’inadéquation » pour financer le recours à une administration et à une justice fonctionnant « à l’ancienne ». Seule une poignée de résistants composés essentiellement d’universitaires, d’avocats, de fonctionnaires, d’étudiants, et de commerçants avait décidé de ne pas accepter cette nouvelle société. Ils se réunissaient physiquement et discrètement là où ils pouvaient, n’utilisaient pas d’ordinateur, juste du papier et des stylos. Leur force : dire non et rêver d’un autre modèle de société, de droit, et de justice. Mais ça, c’est une autre histoire…

COMMENTAIRE

 

Les périodes de crises mettent en exergue les faiblesses d’un système et font naître de nouveaux espoirs. Elles peuvent être l’occasion de poser les bases d’un monde nouveau. Mais, elles peuvent aussi être le prétexte de revenir à des modèles pré existants critiquables. Ainsi, et pour s’en tenir au droit, dans le scénario ci-dessus évoqué, le monde qui se construit après le coronavirus finit par amplifier la supériorité du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif qui est en germe dans la Vème République et sa pratique. Le rêve d’une justice numérique dématérialisée moins onéreuse et fondée pour partie sur des algorithmes devient une réalité. Cela pose des problèmes sérieux quant au type, et à la qualité de la justice que nous voulons, sans parler des questions liées à l’accès à cette dernière et à la protection des droits et libertés fondamentales. Ce n’est peut-être pour l’instant qu’un exercice imaginaire, mais mieux vaut le prendre au sérieux, pour tenter d’éviter qu’il ne devienne demain une réalité effrayante ne laissant d’autre choix que d’entrer en résistance !

D

22.- Dalton

Par Frédéric F. Martin et C. Wallerand

DEFINITION :

Cette contrainte consiste à mettre une loi scientifique sous forme de règle juridique. Ou exprimé de manière axiomatique : toute loi scientifique peut être formulée de manière juridique.

APPLICATION :

Premier exemple : la loi de Dalton.

« La pression au sein d’un mélange de gaz parfaits – ou idéaux – est égale à la somme des pressions partielles de ses constituants. »

DEVIENT :

« La liberté au sein d’un mélange de lois parfaites est égale à la somme des libertés partielles de ses constituants. »

OU BIEN

« L’égalité au sein d’un mélange de lois parfaites est égale à la somme des légalités partielles de ses constituants. »

OU BIEN ENCORE

« La fraternité au sein d’un mélange de lois parfaites est égale à la somme des fraternités partielles de ses constituants. »

Ce qui permet d’essayer plusieurs formulations pour adhérer au concept.

ENFIN :

« La contrainte au sein d’un mélange de libertés parfaites est égale à la somme des contraintes partielles de ses constituants. »

Second exemple : La deuxième loi de la thermodynamique.

« Toute transformation d’un système thermodynamique s’effectue avec augmentation de l’entropie globale incluant l’entropie du système et du milieu extérieur. »

DEVIENT :

« Toute transformation d’un système juridique s’effectue avec l’imprédictibilité incluant la désorganisation du système juridique et du milieu extérieur. »

Toute règle scientifique peut donc trouver son équivalent juridique.

Premier exemple : La loi de l’attraction universelle d’Isaac Newton pourrait être introduite dans le droit.

« Toute pomme perdant son attache avec son arbre doit nécessairement atterrir sur le sol sans dommage »

Second exemple : En acoustique, la progression des décibels (dB) correspond au rapport entre deux puissances sur une échelle logarithmique, l’une étant toujours, en théorie, une puissance de référence.

Soit le son D mesuré en décibel, et P la puissance (intensité ou pression selon les instruments de mesure), P0 étant la puissance de référence. Ainsi :

Cette particularité fait qu’ajouter deux sources sonores de même intensité revient à ajouter 3 dB (et non pas multiplier le nombre de décibels par deux). Et plus les deux sources sont d’intensité éloignée, plus la somme des deux se rapproche de la plus élevée. Il serait donc possible d’intégrer cette échelle au droit et aux législations concernant le bruit, notamment en droit du travail. La règle serait alors :

« Une augmentation de trois décibels est un doublement de l’activité sonore ». Il resterait donc à fixer la proportionnalité des nuisances au cas par cas.

COMMENTAIRE

Il est intéressant de noter que ces règles scientifiques sont également appelées « lois ». Mais alors que régissent-elles ? Il apparait que transposer une loi scientifique en langage juridique n’est pas chose très compliquée alors que faire rentrer un concept juridique dans une formulation scientifique l’est beaucoup plus. Quelle formulation serait-elle la plus à même de traduire le principe de liberté ? On se retrouve avec une part d’arbitraire et d’interprétation, à la fois de la règle scientifique et du concept juridique. L’inconvénient majeur des formulations scientifiques tient à leur rigueur. Les « lois » générales et incontestées qu’elles mettent en évidence laissent peu de place aux nuances – ou imprécisions ? – du droit. Une formulation aussi simple que l’attraction gravitationnelle de la pomme par le sol ou la pression au sein d’un gaz, comporte en droit le risque d’en dire trop ou pas assez.

L’exemple du logarithme peut soulever d’autres interrogations quant aux échelles de mesures. L’introduction du principe scientifique dans la loi pourrait conduire à faire correspondre un régime avec la réalité scientifique et à s’interroger pour savoir si le bruit est évalué correctement. L’exemple montre cette prise en compte pour l’estimation du niveau de bruit mais cela pourrait aller plus loin, comme pour le chiffrage du préjudice. Néanmoins, au vu de l’aspect d’une courbe logarithmique une telle approche serait sans intérêt en cas de très forte intensité sonore.

A ce titre, on peut même aller plus loin, et faire correspondre à la réalité scientifique le calcul des peines. Suivant la même règle de cumul d’intensité présentée en exemple, il serait possible d’imaginer une addition similaire pour le cumul des peines ou en cas de récidive d’infraction (comme c’est le cas aux États-Unis). Mais là encore, on fait face au paradoxe du logarithme. Pour chaque nouvelle récidive, ou plus gros cumul d’infractions, l’aggravation de la peine sera inversement proportionnelle, encore que cela puisse dépendre des temps et des lieux et que la récidive emporte, au contraire, une progression logarithmique de la peine. La perpétuité stricte demeurerait inenvisageable mais il serait possible de s’en rapprocher sans cesse.

Ces réflexions font écho à celles portant sur la jauge. Le but servi par la répression qui se veut dissuasif se retrouve desservi lorsque l’on tombe dans l’extrême ou dans l’absurde. Comme pour une courbe logarithmique, les effets ne sont plus simplement proportionnels non plus que vraiment progressifs, surtout lorsque la jauge est appréciée au doigt mouillé… (voir contrainte de la Jauge).

Les mathématiques peuvent se retrouver là où on ne les attend pas en Droit. Rousseau, selon Philonenko, leur donne une place lorsqu’il s’agit de démontrer la différence entre expression d’une volonté de tous et volonté générale. Bodin conclut ses Six livres de la République sur les principes mathématiques universels d’une justice harmonique. Le calcul arithmétique simple laisse place à une opération algébrique plus complexe, mettant en évidence le calcul de l’intégrale d’une courbe à l’aspect logarithmique dans le premier cas[7], la possibilité de mathématiser l’ordre juridique du monde dans le second.

23.- Définitions obliques

Par Viveca Mezey et Camille Porodou

DEFINITION :

La définition oblique est à l’origine une contrainte oulipienne[8] qui a été adaptée au droit. Le but est de définir un terme juridique en le mettant en relation avec un mot, juridique ou non, avec lequel ce terme présente des éléments communs. Le terme « loi » présente par exemple un élément commun avec locomotive, le « lo ». Le but est donc de définir la loi en mettant ce terme en relation avec le mot locomotive.

APPLICATION :

 

Loi : une norme émotive placée en tête du train avançant initialement à la vapeur, avec une certaine lenteur, et qui accélère de plus en plus de nos jours grâce au développement de la technologie, ralentie parfois par les grèves.

Parce que Lo(i)comotive.

Loi : une contrainte vécue avec joie sous l’autorité d’un sire souverain.

Parce que loi+sire = loisir

Vente : transfert de la propriété par le seul consentement de ceux qui contractent dans les airs.

Parce que vent(e)eux

COMMENTAIRE

La définition oblique est l’occasion de jouer avec des notions juridiques. Même si les définitions qui en résultent ne sont pas toujours précises, la contrainte permet de réfléchir sur ces notions et de s’amuser avec leur sens.

 

24.- Dévaluation

Par Jean-Baptiste Jacob (et un ajout d’E. Jeuland, exemple 4)

DEFINITION :

 

La contrainte de la dévaluation entend compléter la contrainte de la valeur[9]. Elle part de l’idée, précédemment évoquée, que toute valeur sur laquelle ouvre une évaluation s’exprime sur une échelle de degrés dont les deux extrémités traduisent sa logique polaire[10]. Cette idée autorise à penser que pour toute valeur positive, il existe une valeur négative qui s’y oppose, de la même façon, par exemple, que le mal s’oppose au bien, que le bonheur s’oppose au malheur, ou encore que le légal s’oppose à l’illégal.

On a pu déduire de ce constat, le fait – essentiel pour une théorie des valeurs – que tout jugement de valeur impliquant une évaluation suppose simultanément une dévaluation. Carl Schmitt écrivait ainsi, dans un opuscule intitulé La tyrannie de la valeur que « personne ne peut porter un jugement de valeur sans dévaloriser […], quiconque pose des valeurs s’est par là même démarqué de non-valeurs »[11]. Le théoricien allemand dénonçait ainsi le danger sous-jacent à toute pensée de la valeur, qui résidait selon lui dans la vigueur, au cœur de l’opération d’évaluation, de l’impératif : « autorisation d’éliminer les non-valeurs ». Dans ce schéma, toute valeur qui implique pourtant une « non-valeur » tend à nier cette « non-valeur » et à l’éliminer.

Il importe de vérifier ce constat en droit, à propos du jugement de légalité lato sensu. Celui-ci constitue en effet, dans sa forme la plus pure, un jugement de valeur oscillant entre un pôle positif (« légalité » / « constitutionnalité ») et un pôle négatif (« illégalité » / « inconstitutionnalité »). Il s’agit alors d’apprécier la façon dont le jugement de légalité s’exprime et comment se dessine précisément son rapport à la valeur et à la non-valeur. Dans la mise en œuvre de cet exercice, il peut être intéressant de tenir compte des différentes déclinaisons « institutionnelles » du jugement de légalité selon qu’il est le fait du constituant, du législateur ou du juge.

APPLICATION :

 

  1. Alinéa 6 et 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 :

– Al. 6 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ».

– Al. 7 : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent ».

La défense des intérêts professionnels constitue une valeur positive, reconnue comme telle et consacrée par l’ordre juridique français.

La défense des intérêts professionnels (valeur positive) vaut avant tout par opposition à la non-défense des intérêts professionnels (valeur négative). Elle est, en quelque sorte, meilleure, que la non-défense des intérêts professionnels. Elle vaut davantage. Cette valeur positive justifiait que le constituant français de 1946 l’inscrive dans la constitution.

  1. Article 26 loi n° 186 du 8 août 1974 relative à la radiodiffusion et à la télévision :

– « En cas de cessation concertée du travail, la continuité des éléments du service nécessaires à l’accomplissement des missions définies à l’article 1er doit être assurée par l’établissement public de diffusion et par les sociétés nationales de programme. Le président de chaque organisme désigne les catégories de personnel ou les agents qui doivent demeurer en fonction ».

L’encadrement du droit de grève dans les services publics, et notamment dans le service public de la radiodiffusion et de la télédiffusion se présente comme une exception ponctuelle, limitée, à la reconnaissance de la défense des intérêts professionnels par la grève (valeur positive). Au regard du cadre constitutionnel précédent (exemple 1), elle se présente comme une non-valeur, pourtant pleinement effective puisque dotée d’un rang légal.

De par sa seule légalité, cette « non-valeur » est alors susceptible de revêtir une certaine forme de positivité. La non-défense des intérêts professionnels, au cas particulier du service public, ne constitue pas simplement le manque ou le perte de la valeur « défense des intérêts professionnels » mais justement la volonté de ce manque. Par conséquent, il s’agit bien d’une « non-valeur » relative.

  1. Conseil constitutionnel, décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, Loi modifiant les dispositions de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail, cons. 1 et 2 :

– « Considérant que, notamment en ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle ; que ces limitations peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays »

– « Considérant que les dispositions contenues au paragraphe I de l’article 26 de la loi du 7 août 1974, tel qu’il est modifié par la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel, se bornent à réglementer les conditions dans lesquelles doit être déposé le préavis de grève ; que ce texte n’est contraire à aucune disposition de la Constitution ni à aucun principe de valeur constitutionnelle ».

Le juge constitutionnel refuse de considérer que cette « non-valeur », sur le plan logique, constitue également une « non-valeur » sur le plan juridique c’est-à-dire, une illégalité. Il faut peut-être y voir la conséquence du constat précédent, à savoir qu’il ne s’agit que d’une « non-valeur » relative. Le juge constitutionnel estime, au contraire, que le législateur a opéré une juste conciliation entre la valeur positive « défense des intérêts professionnels » et la valeur négative « la non-défense des intérêts professionnels par la grève ».

4.- Une valeur et une non-valeur oudropienne : le principe de bienveillance (dégagée avec des pincettes dans la contrainte de l’invention de principe) connait-il des exceptions légales de malveillance ? Il ne le semble pas car sans doute le principe de bienveillance reste purement moral. Mais le principe de sobriété appliqué notamment à l’énergie qui est davantage attesté en droit (voir la contrainte de la création de concept juridique) connait-il une exception légale d’excès ? Tout excès de pouvoir ou de vitesse paraît condamné par le droit.

COMMENTAIRE

Est-il vrai que toute proposition de valeur suppose une non-valeur ? Pas exactement. Ce constat se vérifie uniquement sur le plan qualitatif de la valeur et, de façon partielle. L’opposition entre les pôles de la valeur est une opposition qualitative qui implique une rupture franche, matérielle, entre, par exemple, la valeur (positive) « défense des intérêts professionnels » et la valeur (négative) « non-défense des intérêts professionnels », de la même façon que l’on constate une rupture franche, une différence de sensation entre d’autres couples de contraires comme le bonheur et le malheur, la joie et la tristesse, le bien et le mal.

L’ordre juridique permet ainsi la reconnaissance de valeurs antithétiques c’est-à-dire qu’il autorise la reconnaissance « simultanée » d’une valeur et de sa non-valeur. Dans ces conditions, la tyrannie des valeurs est à relativiser. Elle se fondait sur la crainte de la négation de la « non-valeur ». Force est de constater, pourtant, que l’ordre juridique français reconnaît des « non-valeurs » auxquelles il confère le rang de droit positif.

La valeur (positive) de légalité intègre bien souvent, en son sein, la valeur (négative) de l’illégalité afin de la neutraliser. L’ordre juridique permet la défense des intérêts professionnels par la grève sauf dans les cas où il l’interdit expressément par la loi. Toutefois, cette intégration ne constitue pas une éviction, bien au contraire. Dans l’ordre juridique, la non-valeur ne constitue pas simplement le manque ou la perte de la valeur mais justement la volonté de ce manque[12]. Il s’agit bien alors, en tout état de cause, d’une « non-valeur » relative. Cette relativité de la « non-valeur » explique alors qu’elle puisse revêtir, en dépit de sa nature de « non-valeur » une forme de positivité.

On constate ainsi que l’ordre juridique, qui trouve sa raison d’être dans la valeur positive de légalité attribuée aux objets qui le composent, intègre son pendant, la valeur négative de l’illégalité. Rien d’étonnant à cela, puisque cette prise en compte constitue le moteur du « devoir-être » juridique. En effet, si le droit doit être, c’est toujours parce qu’il vaut mieux qu’il en soit ainsi. Cette considération suppose du législateur qu’il ait envisagé l’hypothèse où la proposition juridique n’est pas pour apprécier celle dans laquelle la proposition juridique est.

On note que le jugement de valeur rendu par le juge diffère totalement du jugement de valeur du législateur. Le juge n’a pas vocation à définir les deux pôles de la valeur et à en privilégier l’un au détriment de l’autre. Au contraire, doit-il toujours s’attacher à positionner un objet c’est-à-dire un acte, une règle ou un comportement sur l’échelle continue qui s’étend entre les deux pôles de la valeur positive (la légalité) et de la valeur négative (l’illégalité). De la sorte, le juge n’opère pas sur un mode qualitatif, à la différence du législateur qui détermine la valeur, la non-valeur et choisit éventuellement d’intégrer celle-ci à celle-là, mais opère, au contraire, sur un mode bien plus quantitatif. Il appartient au juge de déterminer, la quantité de valeur que l’objet dont il est saisi peut recevoir. L’objet sera toujours plus ou moins légal, plus ou moins illégal. Dans notre exemple, la « non-défense » des intérêts professionnels par la grève sera plutôt légale donc chargée d’une valeur plutôt positive si elle permet la continuité du service public.

Le jugement de valeur du législateur opère sur le mode qualitatif de la valeur et lui permet de supposer des contraires qu’il mobilise, qu’ils s’excluent l’un l’autre, sauf à ce que le législateur en décide autrement. C’est l’idée qu’une règle de droit vaut seule, indépendamment de toute autre règle contradictoire sauf mention expresse et contraire. En somme, le jugement de valeur du juge opère davantage sur le mode quantitatif de la valeur qui lui permet d’apprécier si chaque objet exprime une forme de croissance ou de diminution par rapport à la valeur de légalité. Cette contrainte permet d’approfondir les contraintes de l’invention de principe et de concept juridique fondé sur des valeurs en recherchant leur non-valeur (bienveillance/malveillance ; sobriété/excès).

25.- Dérogation

Par Nissim Elkaim

 

DEFINITION :

 

La contrainte de la dérogation consiste à poser une première norme, puis une première dérogation à cette norme, puis une dérogation à la dérogation, et ainsi de suite.

 

APPLICATION :

 

Commençons par : « il est interdit de circuler dans la ville de Paris sans masque »,

« sauf motif impérieux » ;

« sauf motif médical et sportif » ;

« sauf dans le cas de conduite d’un véhicule, étant précisé que le masque est facultatif dans un véhicule fermé. Sauf véhicule de transport collectif et professionnel car dans les entreprises le port du masque dans les lieux fermés est imposé. Sauf si le conducteur porte des lunettes car la buée serait alors dangereuse » ;

« sauf pour fumer une cigarette, boire ou manger » ;

« sauf éventuellement pour embrasser son partenaire ».

COMMENTAIRE

 

La multiplication des dérogations peut vider la norme de sa substance. Cela fait penser aux contrats d’assurance qui souvent posent un principe d’indemnisation pour aussitôt dresser une liste de dérogations qui vident le principe d’indemnisation de sa substance.

La multiplication des dérogations rend aussi la norme plus difficilement lisible. Les dérogations peuvent être distributives : chacune déroge à la norme séparément. Ainsi, le motif impérieux permet de contourner l’interdiction ; il en va de même du motif médical ou sportif par exemple. Autre possibilité, à l’intérieur d’une même dérogation, il peut y avoir une dérogation à la dérogation, qui elle-même connaît une dérogation, etc. Ce cas est illustré par l’exemple de la dérogation afférente à la conduite d’un véhicule. Cette possibilité est d’ailleurs plus « fidèle » à la contrainte initiale. Des questions de qualification peuvent se poser : que faut-il entendre par : « motif impérieux », « véhicule », « transport collectif et professionnel », ou bien encore « lieu fermé » ? Ces questions se sont d’ailleurs posées dans d’autres branches du droit que celle de l’obligation du port du masque par temps de crise sanitaire. Autre question : la hiérarchie dans la liste des dérogations reflète-elle une hiérarchie des valeurs, le cas échéant le motif impérieux serait plus important que la cigarette, elle-même plus importante que la nourriture etc. ! Toutes ces questions pourraient paraître ubuesques et purement imaginaires. Pourtant, il suffit de prendre un Code général des impôts, pour constater que la réalité dépasse souvent la fiction, on est loin de la limpidité du Code civil de 1804. Tout se passe comme si quelque chose s’était déréglé : des lois trop nombreuses, écrites trop vite, avec une volonté politique de trouver de trop nombreux compromis, etc. Au-delà, c’est la question du sens qui se pose aussi bien au niveau collectif qu’individuel.

Pour autant, le concept de dérogation reste important. Dans une démocratie, il n’y a pas de norme absolue. On peut certes penser au droit de propriété que le Code civil a tendance à définir en des termes absolus, mais aussitôt la théorie de l’abus de droit vient tempérer ce rare absolu. Ainsi, la dérogation, est consubstantielle de la démocratie et de la relativité. Dans une démocratie, le principe est la liberté, et la dérogation la limitation de cette liberté qui doit être justifiée et encadrée. C’est le principe de légalité du droit pénal. Notre exemple est trompeur. La norme posée est une interdiction. Plus précisément c’est une contravention. Dès lors, la tentation est de multiplier les dérogations afin d’accroitre le champ de la liberté. Signe des temps de la pandémie, c’est l’interdiction qui est érigée en principe et la liberté en dérogation. Les périodes de crise sont souvent révélatrices des forces et des faiblesses d’une société. Même si Carl Schmitt reste un auteur très polémique, il convient de ne pas oublier que bien souvent « est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle ». Dans ce cadre, les pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution de 1958, le recours à la loi de 1955 sur l’état d’urgence lors de la révolte des banlieues en 2005 ou bien après les attentats terroristes de 2015, et plus récemment la loi de 2020 sur l’état d’urgence sanitaire, où l’exécutif est à l’initiative et à la manœuvre – certes de façon temporaire et encadrée – sont autant de cas qui suscitent la question. La vigilance sur la protection de la démocratie reste plus que jamais de mise dans une période contemporaine où quelque chose semble s’être déréglé dans notre société dont le dérèglement législatif (et climatique ?) ne serait que le reflet.

Remarque complémentaire : la dérogation à la dérogation par J. Bodin (Les six Livres de la République, 10e éd., Paris, Gabriel Cartier, 1593, rééd. Paris, Arthème Fayard, 1986, livre I, chap. 8, p. 191) : « Aussi voyons-nous qu’en tous edicts et ordonnances on y adjouste ceste clause : Nonobstant tous edicts et ordonnances, ausquelles nous avons derogé, et derogeons par ces presentes, et à la derogatoire des derogatoires – clause qui a toujours été adjoustée ès loix anciennes, soit que la loy fust publiée du mesme Prince, ou de son predecesseur”.

26.- Dessiner le droit

Par Alicia Mâzouz et Camille Porodou

DEFINITION :

Proposer une représentation picturale pour illustrer une notion, un concept, une disposition juridique, une jurisprudence… ou quand le droit devient image.

APPLICATION :

Illustration pour la hiérarchie des normes :

L’escargot des normes, une œuvre aux inspirations diverses

 

 

 

 

Illustration de la hiérarchie des normes par des étudiantes de première année

 


 

 

 

COMMENTAIRE

Il y a quelques années, dans le cadre des séances de l’Oudropo,, nous avions eu l’occasion avec mes collègues Lisa Carayon et Julie Matiussi, de discuter de la limite de la représentation des normes selon la célèbre (mais bien souvent déformée) pyramide de Kelsen. Elles m’expliquaient alors que, finalement, il était peut-être préférable de représenter cette articulation entre les normes sous forme d’escargot. Quelques temps plus tard, après avoir échangé avec l’illustratrice Cécile Huang (qui n’est pas juriste), j’assistais grâce à sa plume à la naissance de l’escargot des normes, présent dans le précédent ouvrage de Camille Porodou (éd. IRJS 2017). Riche de cette expérience, je décidais l’an passé de lancer le défi à mes étudiants et étudiantes en leur demandant, après leur avoir proposé ce visuel de l’escargot, de représenter la hiérarchie des normes selon la forme de leur choix. Peu probante, l’expérience ne me permettait de recueillir que trois contributions néanmoins pertinentes. Lancée à distance, avec une nouvelle promotion, la créativité s’est davantage déployée en 2020[13]. Bien entendu, les dessins sont parfois discutables, l’articulation prête à analyse, mais justement, voilà précisément le mérite de cet exercice. Il permet d’identifier rapidement, grâce à quelques traits de crayons, les incompréhensions ou au contraire l’assimilation des logiques et des mécanismes. La contrainte de la représentation graphique ou picturale est donc un outil pédagogique puissant, qui permet de mobiliser la créativité et l’imaginaire du juriste tout en s’assurant de la bonne maîtrise et compréhension des concepts à représenter.

27.- Dictionnaire automatique.

Par Camille Porodou

DEFINITION :

Cette contrainte consiste à utiliser les suggestions du dictionnaire automatique des téléphones portables pour créer du droit.

APPLICATION :

L’article 515-14 CC « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité »

DEVIENT (selon les téléphones et donc selon les mots habituels utilisés par chaque usager) :

« Les autres sont des étrangers doux de sécurité »

« Les ânes sont désormais sensés »

« Les animaux sont soumis au régime des liens »

« Mes animes so I don’t être vivacious double down sentence. Some reserved details moi questions mes protect, like animals sa soumission au regard de la bible »

« Les autres sont des étrangers vifs doués de sécurité. Sous réserve des loisirs qui les protègent, les autres sont soumis au regard des bisous (ou des bingos) ».

Remarque : le correcteur automatique propose pour « Oudropien » :  foudroie ou poudroie, cela a conduit à créer le concept juridique de poudre et de foudre (voir site Oudropo.com).

COMMENTAIRE

Chaque téléphone se paramétrant sur la personnalité de son utilisateur, les propositions de mots alternatifs sont variables. On en vient donc à des normes « sur mesure » de celui qui l’invoque ou la lit.  On peut dès lors imaginer des codes sur mesure en fonction de la personnalité de chacun et de ses risques de transgression comme il existe des publicités ciblées. On pourrait alors parler de code ciblé.

28.- Double contrainte.

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

En psychologie, la double contrainte consiste à contraindre quelqu’un à faire deux choses contradictoires pour le rendre fou (concept forgé par Bateson). En Oudropie, la double contrainte consiste à faire subir à un texte de loi deux contraintes sur deux parties distinctes.

APPLICATION :

L’article 343 du Code civil : « L’adoption peut être demandée par deux époux non séparés de corps, mariés depuis plus de deux ans ou âgés l’un et l’autre de plus de vingt-huit ans ».

DEVIENT :

« L’abrogation (antonyme d’adoption) ne peut être demandée par deux célibataires non liés par l’esprit, mariés depuis moins de deux ans et âgés l’un ou le même de plus de 82 ans (82 est 28 à l’envers) ».

Première contrainte : celle des antonymes pratiqués sur la première partie de l’article 343. Deuxième contrainte : celle des inversions dans la seconde partie.

COMMENTAIRE

Cela peut conduire à rendre le texte fou et le citoyen chèvre.

29.- Doublon

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

Enlever les mots qui font doublon dans un texte juridique.

APPLICATION :

Appliquée à un article du code minier :

« Un arrêté du ministre chargé des mines pris sur l’avis conforme du Conseil général des mines et, s’il s’agit de substances utiles à l’énergie atomique, le Comité de l’énergie atomique entendu, peut autoriser l’exploitant d’une carrière à tirer librement parti des substances connexes ou voisines du gîte exploité énumérées à l’article 2 ci-dessus, dans la limite des tonnages qui proviennent de l’abattage de la masse minérale exploitée sous la qualification de carrière ou des tonnages dont l’extraction est reconnue être la conséquence indispensable de cet abattage ».
DEVIENT :

« Un arrêté du ministre chargé des mines pris sur l’avis conforme du Conseil général et, s’il s’agit de substances utiles à l’énergie atomique, le Comité entendu, peut autoriser l’exploitant d’une carrière à tirer librement parti du gîte exploité énumérées à l’article 2 ci-dessus, dans la limite des tonnages qui proviennent de l’abattage de la masse minérale sous la qualification de carrière dont l’extraction est reconnue être la conséquence indispensable ».

COMMENTAIRE

Cette contrainte rend le texte beaucoup plus digeste et lisible, ceci dit elle offre une compétence au Conseil général qu’il n’avait pas jusque-là puisqu’elle revenait au Conseil général des mines.

·  E

30.- Emoji

Par Nathalie Dion

DEFINITION :

 

Cette contrainte consiste à écrire une norme juridique en emojis et retrouver la règle derrière une série d’emojis.

 

APPLICATION :

… … …

.

Proposition d’une norme idéale : Humains, Animaux, Végétaux, Robots (et Fantômes !) vivent pacifiquement sur la planète Terre le jour comme la nuit.

Autres :

:         Il est interdit de faire sonner la cloche !

:                Applaudissez !

:                 Criez (ou parlez fort) !

: Souriez !

: il est possible de fumer deux cigarettes !

: il est interdit de fumer !

COMMENTAIRE

 

Les Incas le faisaient déjà. En Emoji, « Faute » donne fauteuil d’où la figure d’un handicapé dans le rébus qui doit réparer le dommage.  Cet exercice est très ancien et fait penser au miroir du droit Saxenspiegel, livre d’image juridique, où l’on redessinait dans les marges pour expliquer aux destinataires les règles de droit. On parle de visual dans la législatique. La doctrine peut se visualiser. Par des schémas on redessine la loi : la loi en bande dessinée. Le canton de Genève a expliqué l’accès aux documents officiels en BD. La Convention sur les droits de l’enfant doit être transformée visuellement, de telle sorte que les personnes ayant un handicap cognitif la comprennent :  comment leur expliquer les règles de droit, une différence entre norme imagée et norme écrite, est-ce que cela renforce la norme ?  En suisse l’écriture d’un texte public se fait par les citoyens.

Les emojis réalisent une régulation universelle sur les couleurs de peau ou les familles différentes (ex. famille recomposée). Grammar, organisme d’autorégulation a, à Zurich, son siège européen ; le président est un chef de Google, un normatif, cela concerne tous les Gafam. Des émoticones sont refusées, des mouvements séparatistes décident souverainement de nouvaux emojis, c’est la lex emotica.

 

 

31.- Émotion et règle

Par Nissim Elkaïm

 

 

 

DEFINITION :

 

Cette contrainte consiste à écrire ou réécrire une règle ou un jugement en lui donnant un contenu orienté ou émotionnel. Ceci peut se faire, par exemple, par l’ajout d’adverbes ou d’adjectifs pour traduire des émotions.

APPLICATION :

 

Le texte originaire de l’attestation de déplacement

« Attestation de déplacement dérogatoire

Je soussigné, certifie que mon déplacement est lié au motif suivant autorisé par l’article 1er du décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 :

  • Déplacements entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, lorsqu’ils sont indispensables à l’exercice d’activités ne pouvant être organisées sous forme de télétravail (sur justificatif permanent) ou déplacements professionnels ne pouvant être différés ;
  • Déplacements pour effectuer des achats de première nécessité dans des établissements autorisés (liste sur gouvernement.fr) ;
  • Déplacements pour motifs de santé ;
  • Déplacements pour motifs familiaux impérieux, pour l’assistance aux personnes vulnérables ou la garde d’enfants ;
  • Déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie ».

DEVIENT :

« Attestation très importante de déplacement dérogatoire

Je soussigné, certifie que mon déplacement est vraiment lié au motif suivant dument autorisé par l’article 1er du décret exceptionnel d’urgence du 16 mars 2020 portant stricte réglementation des déplacements limités dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 :

  • Brefs déplacements entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, lorsqu’ils sont absolument indispensables à l’exercice d’activités ne pouvant être organisées sous forme de télétravail vertueux et sain (sur justificatif permanent) ou déplacements professionnels ne pouvant en aucun cas être différés ;
  • Déplacements pour effectuer des achats de toute première nécessité dans des établissements autorisés ou présumés autorisés (liste sur gouvernement.fr) ;
  • Déplacements pour motifs impérieux de santé ;
  • Déplacements pour motifs familiaux jugés impérieux, pour l’assistance aux personnes trèsvulnérables ou la garde de tout petits enfants ;
  • Déplacements brefs, à grande proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle indispensable des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et sociale, et aux besoins variés des animaux de compagnie agréable».

COMMENTAIRE

La corrélation entre le droit et les émotions est complexe. Elle est l’objet de courants renouvelés de recherche interdisciplinaires. Aux tenants d’un droit qui se veut neutre et objectif, on peut opposer ceux qui prennent en compte la dimension des émotions dans un droit qui n’est pas que commandement ou obligation, mais établit des liens entre les individus dans une perspective que l’on pourrait qualifier de relationniste.

Les règles afférentes au coronavirus peuvent fournir une bonne illustration de la contrainte « émotion ». À titre liminaire, il convient de souligner que le contexte pandémique est par lui-même chargé d’émotion. Les enjeux sont tout simplement : la vie, la maladie, ou la mort. Nul besoin donc d’ajouter des adjectifs, des adverbes, ou des périphrases pour susciter une vive émotion, qui existe de facto de par le contexte ou la matière dont traite la règle de droit. Il n’en demeure pas moins que les autorités peuvent surjouer l’émotion d’anxiété, afin de garantir une meilleure application de la règle. On note d’ailleurs dans la rédaction du texte original la présence de plusieurs adjectifs. Dans un tel cas, les émotions sont instrumentalisées. Il est fréquent que le sentiment de peur soit instrumentalisé par le pouvoir politique, y compris en dehors des situations de crise.

Le texte original, ainsi que le texte modifié, attirent l’attention sur la notion de distance. Les déplacements doivent être indispensables, et limités dans l’espace et dans le temps. C’est bien entendu une restriction à la liberté d’aller et venir qui doit être mise en balance avec la nécessité de la protection de la santé du public. Cela pousse également à réfléchir sur la notion de distance au sens propre, qui influe sur les émotions : plus la proximité physique est grande, plus les émotions ont des chances d’être intenses, et en période d’épidémie plus les risques de contagion sont élevés. Paradoxalement, accroitre la distance entre individus, c’est réduire la potentialité de l’intensité de l’émotion, mais aussi réduire les risques de contamination. Autre piste de réflexion : la notion de promiscuité dans les grandes villes et dans les transports. La distance de confort ou de sécurité y est rarement respectée. Pour autant, cela n’empêche pas l’indifférence à autrui et l’absence d’émotion : c’est un autre paradoxe.

Le texte modifié illustre la présentation d’un monde bi polaire et sans nuance : d’un côté il y a ce qui est sain et protecteur de la santé publique, de l’autre ce qui est dangereux pour la santé publique et qui ne doit être réalisé qu’à titre d’exception, si on ne peut pas faire autrement. Les deux textes sont vecteurs d’une échelle de valeur. Seules certaines activités jugées primordiales peuvent se voir accorder des dérogations limitées : le travail, l’alimentation, la santé, l’assistance aux personnes vulnérables, le sport individuel, et les besoins des animaux de compagnie !

L’émotion n’est pas qu’une affaire de mots, elle peut aussi tenir aux codes de couleur et aux associations : les mots écrits en rouge dans le texte modifié attirent l’attention mais peuvent aussi susciter la crainte. Au-delà, que dire d’un monde où les forces de l’ordre sont tout à la fois chargées d’investiguer, de contrôler, de sanctionner le cas échéant par le biais d’amendes, les motifs invoqués par des administrés (qui se fabriquent des preuves à eux-mêmes), et dont l’efficacité de l’action est la garante de la santé du plus grand nombre mais aussi la menace qui pèse à terme sur nos libertés. Émotion quand tu nous tiens…

32.- Émotion du juge

Par Nathalie Dion

DEFINITION :

On peut définir l’émotion (peur, colère, joie, tristesse, etc.) comme un « état affectif intense, caractérisé par des troubles divers (pâleur, accélération du pouls, etc.) » (Dictionnaire Le Robert illustré, v° Émotion). Cette intensité ponctuelle distingue l’émotion du sentiment qui s’apparente davantage à un : « état affectif complexe assez stable et durable » (Dictionnaire le Robert illustré, v° Sentiment). Durant ses études à l’Université, le juge a appris qu’il devait juger « à froid », se tenir à distance de ses émotions. La contrainte consiste à insérer la prise en compte des émotions par le juge dans un texte juridique.

APPLICATION :

L’article 12 du Code de procédure civile, « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ».

DEVIENT :

« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il prête attention aux émotions que soulève le litige chez les parties et aux siennes ».

Par ailleurs, lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge doit préciser dans sa décision qu’il tient compte des sentiments exprimés par l’enfant dans le cadre de l’audition. L’article 373-2-11 du C. civ., « Lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération : 1° La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ;
2° Les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l’article 388-1  ; 3° L’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre ».

DEVIENT :

« Lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération :1° La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ; 2° Les sentiments et émotions exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l’article 388-1 ; 2 bis Les sentiments et émotions qu’il ressent lors de l’audition ».

 

L’article 213 CC : « Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir ».

DEVIENT :

« Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation et à la joie des enfants et préparent leur avenir ».

Ou

« Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à une éducation bienveillante / joyeuse des enfants et préparent leur avenir ».

COMMENTAIRE

Le juge doit rester lucide sur son « environnement émotionnel » (interne et externe). Il lui appartient dans le même temps de comprendre les émotions des victimes, de leurs familles, celles des auteurs des infractions, et d’être en contact avec les siennes propres. Le juge, comme tout professionnel du droit, n’est pas transparent à lui-même.

En pratique, il est peu probable que le juge prenne en considération les émotions de l’enfant et les siennes propres mais les esprits évoluent et l’on enseigne la prise en compte des émotions maintenant à l’ENM.

33.- Enfant

Par Nathalie Dion et Emmanuel Jeuland

DEFINITION :

La contrainte entend expliquer le droit à des enfants de CP ou de répondre à une question de droit d’un enfant de 6 ans.

APPLICATION :

La personne absente est-elle morte ? Tant qu’elle ne revient pas, on peut faire comme si elle était morte. La réponse serait « cela dépend, c’est peut-être une entité humaine dont on ne connait pas l’état.On va faire comme si elle était morte »

COMMENTAIRE

Cette contrainte peut entrainer une cascade de pourquoi pour expliquer une règle. L’enfant voit le juge dans les comics américains : le juge décide tout, donne une image du bien et du mal et sanctionne le méchant. Il s’agit d’expliquer le droit en se privant de beaucoup de concepts, tels que la distinction entre droit objectif et droit subjectif, ce qui amène à sortir de nos représentations. Il existe d’ailleurs un ouvrage sur les droits des enfants expliqués aux enfants. Les enfants entendent parler du droit sans savoir ce qu’est le droit (délégué de classe, règlement intérieur, le « tu n’as pas le droit » ex. de traverser au feu rouge) mais le droit n’y est pas nommé comme tel. Cette contrainte doit être intégrée dans une démarche oudropienne qui implique de devoir se libérer des catégories juridiques habituelles. Cela suppose de présenter les grandes notions du droit sous forme audio et visuelle (pictogramme). Les étudiants de première année, par leur questionnement, poussent d’ailleurs les enseignants à expliquer le pourquoi du droit.

 

 

 

 

34.- Ennui

Par Camille Porodou

DEFINITION :

La contrainte de l’ennui (inspirée par le premier chapitre du bel ouvrage de Xavier Lagarde, Le métier de juriste, IRJS éd. 2021) consiste à transformer une « norme » ou tout autre élément juridique non ennuyeux en un texte ennuyeux.

APPLICATION :

L’article 1240 CC « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »

DEVIENT :

« Un dommage produit en tout ou partie, de manière délibérément fautive, par un être humain à l’encontre d’un autre individu humain ou assimilé ou à l’encontre de tout ou partie de ses actifs ou produits d’actif donne lieu à une obligation légale de réparer le préjudice constaté par le juge compétent en tenant compte de tous les éléments et circonstances pertinentes du dossier ».

COMMENTAIRE

Le droit est une discipline suffisamment ennuyeuse en général pour ne pas en rajouter ; toutefois cet ennui peut être dépassé par la créativité oudropienne.

35.- Ephémère

Par Clarisse Wallerand

Définition

Cette contrainte consiste à élaborer un ensemble de règles juridiques ayant vocation à n’exister que pour une durée limitée. Celles-ci, à l’instar de mesures prises dans l’urgence (ou non) pour répondre à une crise, peuvent porter atteinte à des principes fondamentaux et viser le corps humain.

Application :

On peut imaginer un hiver extrêmement froid pour élaborer le droit éphémère qui serait créé pour y faire face et qui poserait des restrictions importantes aux droits fondamentaux dans des arrêtés :

« Le port de vêtements chauds de label […] est obligatoire. Les personnes doivent de préférence sortir à plusieurs et se serrer les uns aux autres autant que possible. »

On peut ainsi imaginer toutes les dispositions et recommandations éphémères qui s’y ajouteraient : des recommandations concernant la nourriture recommandée pour se réchauffer (fondue, raclette), des obligations quant à un nombre minimum de personnes au mètre carré dans un espace clos, à envisager possiblement avec des problématiques énergétiques également.

Commentaire

C’est une contrainte qui s’inspire de la situation de pandémie de Covid-19 et des conséquences qu’elle a eues sur la multiplication des normes, notamment des normes restrictives de liberté.

Suivant ce fonctionnement, le droit éphémère serait aussi en constante mouvance. Les arrêtés s’enchaîneraient de manière imprévisible, sans possibilité pour les personnes d’anticiper à quoi ils seront soumis du jour au lendemain.

Il est intéressant de noter que cette contrainte est indissociable d’un contexte. Il est difficile d’arriver à créer du droit éphémère sans concevoir au préalable un scénario, aussi absurde soit-il, qui pourrait le justifier. De plus, c’est la situation de crise qui va appeler à une réponse où le droit portera atteinte aux libertés et touchera au corps humain, sans que l’on puisse vraiment affirmer que cela le rend « justifié ».

Le surplus de normes que l’on pourrait associer à leur caractère éphémère rend leur application d’autant plus arbitraire, puisque leur contrôle n’en est que plus complexe (et souvent à contretemps), comme une sorte de courbe inversement proportionnelle.

36.- Étymologie

Par Pierre-Yves Verkindt et Frédéric F. Martin

DEFINITION :

L’étymologie comme science a pour objet la recherche de l’origine des mots en retraçant leur évolution. Rechercher l’étymologie d’un mot consiste donc à en établir la filiation.  Elle doit être distinguée de la définition qu’elle vient compléter. Elle permet en effet d’en retracer la généalogie linguistique. Ce voyage dans l’histoire du mot est par ailleurs suggestif car il engendre dans l’esprit de celui qui entend ou lit le mot, des représentations ou des images associées.  Autrement dit, l’étymologie, au-delà de sa dimension scientifique (la reconstitution de l’histoire du mot ou son traçage) sollicite l’imagination. Dans la contrainte étymologie ce second aspect de l’étymologie supplante le premier.

Cette contrainte consiste à partir d’un mot à lui trouver une origine qu’on l’on sait fausse mais en utilisant une méthode qui a toujours les apparences de la rationalité. La contrainte étymologie imite – on pourrait presque dire « singe » – le travail étymologique. Néanmoins, l’étymologie bien que construite et fausse (parce qu’elle ne correspond pas à la généalogie du mot ou parce qu’elle suggère des images qui induisent en erreur sur le sens du mot lui-même) enrichit le sens de ce mot

 

APPLICATION :

 

Application 1 à partir du mot « connaissance »

Connaissance : nom fem., sens 1 Fait de connaître et disposer d’un certain nombre de savoirs et d’information ;- sens 2 Personne avec laquelle on est en relation.

Étymologie : le mot « Connaissance » résulte d’une contraction qui s’installe dans la langue française à partir du préfixe « con » ou « co » et du mot « naissance ». Le premier exprimant l’adjonction ou l’ajout (du latim cum). Connaître c’est donc « naître avec » (comme l’on parle à l’autre bout de la vie de comourants). On  retrouve aussi le préfixe dans le conatus, c’est-à-dire l’effort, chez Spinoza.

 

Application 2 à partir de l’expression « Droit des gens »

Droit des gens : loc nom., sens 1 dans son acception contemporaine, le « droit des gens » est une autre façon de nommer le droit international (public). Il rassemble les règles relatives aux relations entre les États ;- sens 2 Ensemble des règles s’appliquant à tout être humain quel que soit l’État auquel il appartient.

Étymologie : la locution trouve son origine dans l’association de Droit (ensemble des règles contraignantes régissant les relations des hommes en société) et du substantif « gens », qui qualifie un ensemble de personnes en nombre indéterminé mais pris collectivement. On relèvera que le mot « gens » n’a pas de singulier. Il n’est pas non plus le pluriel du mot féminin « gent » qui, contrairement au mot « gens » qui évoque le collectif par addition, vise le collectif par fusion (la « gent ailée » ou la « gent trotte-menu » de La Fontaine par ex La chat et un vieux rat , Fables III, 18 «La Gent trotte-menu s’en vient chercher sa perte » ). L’étymologie nous conduit donc à voir dans le « droit des gens », le droit du Peuple.

 

COMMENTAIRE

 

Cette contrainte conduit à des étymologies imaginaires mais porteuses de sens. Celles-ci procèdent de deux démarches différentes. La première consiste à opérer une cassure dans le mot en isolant un faux préfixe (con), la seconde à isoler dans une expression ou locution nominale un de ses composants. Ce faisant, on brise ce que la proximité des termes au sein de la locution donnait à voir et on retrouve donc une grande liberté dans la définition du vocable ainsi isolé.

a.- L’étymologie imaginée à partir du mot « Co-naissance » est inexacte tout comme la référence au con(n)atus spinoziste. Et pourtant, à la manière de Lacan, le mot dit quelque chose de l’acte de connaître parce que la connaissance est aussi une « naissance » au sens de première étape de la pensée. L’idée sous-jacente serait aussi que l’accès à la connaissance n’est possible qu’à plusieurs (le « co » de connaissance). En d’autres termes, le collectif est une donnée inhérente à la connaissance.

Le « conatus » (ou « appétit » ) correspond à l’idée que toute chose ou être tend à persévérer dans ce qu’elle est et donc à chercher à accroître sa puissance. Or, il n’y a de connaissance que s’il y a appétit (ou désir) de connaissance.

On découvre alors, grâce à (ou à cause de …) la fausse étymologie, que le mot connaissance a quelque chose à voir avec le travail et  avec l’effort  persévérant. Cette fausse étymologie fait émerger des idées qui conduisent à approfondir le sens du mot concerné.

b.- L’étymologie ici invoquée de « droit des gens » est de la même manière imaginée. Elle fait fi de l’origine latine de l’expression et du jus gentium du droit romain dont le périmètre diffère cependant selon que le classement proposé des règles de droit s’opère en deux catégories ( jus civile / jus gentium) ou en trois catégories (jus naturale/jus gentium/jus civile). Dans le premier cas, le jus gentium est le droit de tous les peuples (il recouvre alors le droit naturel) et le jus civile est le droit propre à chaque État. Dans le second cas (Digeste et Institutes), le jus naturale est le droit que la nature enseigne à tous les animaux dont les hommes, le jus gentium est celui applicable aux hommes et commun à tous les peuples et le jus civile est propre à chaque peuple. Au sein même de cette division tripartite, les frontières sont parfois fluctuantes ; pour Paul par exemple, le jus gentium n’est pas une composante du droit naturel, il est simplement le droit commun à tous les peuples (sur ces distinctions, R. Monier, Manuel élémentaire de droit romain, Domat Montchrestien, 5ème éd.  1945, n° 4).

En traitant l’expression « droit des gens » comme la juxtaposition de deux mots « droit + gens » et non comme la traduction de jus gentium (qui est une par opposition à jus naturale et/ ou jus civile), l’étymologie rapportée plus haut est purement imaginaire. Elle met pourtant en lumière ce qui fait l’essence du droit international contemporain concentrée dans les principes universalisables des déclarations des droits ainsi que le rôle qu’il a joué et joue encore dans la décolonisation et le droit des Peuples à disposer d’eux-mêmes. Là où l’expression « droit international public » attire nécessairement vers les rapports entre les États, l’expression « droit des gens » travaillée à partir d’une étymologie imaginaire déplace le regard sur les humains et les peuples qu’ils forment.

c.- En outre, l’étymologie est une méthode éprouvée du droit à défaut d’être toujours rigoureuse. Il en va ainsi des inversions étymologiques d’Ulpien (« Nomen iuris… a iustitia appelatum », D. 1.1.1.1) ou de la façon dont, quelques siècles plus tard, Isidore de Séville consacre la fausse étymologie livrée par saint Augustin (« Reges a regendo vocati », Etymologiae, IX, 3, 4 ; « Reges a recte agendo vocati sunt », Sententiae, III, 48, 7)[14]. À défaut d’explication logique, l’étymologie fournit parfois des traductions imagées. L’emblématique en fournit nombre d’exemples, la figuration mêlant alors étymologie imaginaire et interprétation littérale. Des siècles durant, Moïse fut ainsi paré de cornes par suite d’un mélange de traduction libre, de métaphores supposées, d’étymologie approximative et d’erreurs. Derrière l’étymologie se profilent la paronomase chère à Rabelais, les spéculations à la Jean-Pierre Brisset[15], voire l’antanaclase. Pour un juriste lancé à la poursuite des mots, le chemin le plus droit n’est pas forcément le plus court et le sens propre ne le reste jamais très longtemps.

37.- Évaluation

Par Jean-Baptiste Jacob (et un ajout d’Emmanuel Jeuland)

DEFINITION :

 

Si l’on s’accorde sur cette idée sommaire que « le propre de l’évaluation c’est de déterminer la valeur d’une chose »[16] alors, la contrainte de l’évaluation peut trouver une première déclinaison dans la contrainte de la valeur.

L’acte d’évaluation s’articule autour du principe de hiérarchie, principe fondamental de la logique axiologique[17], logique de degrés[18] qui suppose toujours, au moyen d’un acte de dépassement, la distinction entre l’inférieur et le supérieur[19]. Comme l’écrit Polin, « l’évaluation est une hiérarchie en acte, elle prend la forme d’un choix entre deux termes »[20]. La valeur, qu’elle produit, n’est alors « jamais inventée seule, l’invention réside dans la préférence, le choix créateur des termes mis en balance »[21]. Cette caractéristique de la logique hiérarchique que trahit l’acte d’évaluation, suppose alors de la valeur, son produit, qu’on ne la pense que par opposition à une autre.

Elle ouvre alors sur une autre caractéristique de la logique axiologique : la logique de degrés. Cette logique de degrés trouve à se réaliser dans la logique polaire de la valeur[22]. Toute valeur s’inscrit dans une alternative entre un pôle positif et un pôle négatif. Et, pour une valeur positive, il existe bien souvent, une valeur négative qui lui fait contrepoids.

Il s’agit d’apprécier les rapports qu’entretiennent la valeur et le droit, plus précisément la valeur et la règle de droit. Pour y parvenir, l’on propose de chercher les jugements de valeur sous-tendant une règle juridique afin de les mettre en évidence. Faute de méthodologie consensuelle, il sera fait appel, ici, à l’intuition du participant – peut-être, d’ailleurs, la seule option valable dans l’identification d’une proposition de valeurs[23]. En postulant la rationalité de ces jugements de valeurs, il s’agira également d’apprécier les hypothétiques justifications de ces propositions.

APPLICATION :

1.- Aux termes de l’article 27 de la Constitution de la Ve République « Tout mandat impératif est nul ».

Le mandat impératif possède une valeur négative.

Le mandat impératif est (objectivement) mauvais.

Le mandat impératif est (objectivement) mauvais par rapport au mandat représentatif.

Le mandat impératif est (objectivement) mauvais par rapport au mandat représentatif pour… assurer un bon fonctionnement de l’Assemblée nationale et apaiser le débat parlementaire.

Est-il encore objectivement mauvais ?

La règle comportant le jugement de valeur

DEVIENT :

« Tout mandat impératif étant objectivement moins bon que le mandat représentatif est nul ».

2.- Aux termes de l’article 66 de la Constitution de la Ve République :

« Nul ne peut être arbitrairement détenu ».

La détention arbitraire possède une valeur négative.

La détention arbitraire est (objectivement) mauvaise.

La détention arbitraire est (objectivement) mauvaise par rapport à la détention justifiée.

La détention arbitraire est (objectivement) mauvaise par rapport à la détention justifiée pour…obtenir la paix sociale et permettre l’accomplissement de l’individu. Est-elle encore objectivement mauvaise ?

La règle comportant le jugement de valeur DEVIENT :

« Nul ne peut être détenu de manière non justifiée ».

COMMENTAIRE

Est-il possible d’identifier au sein des règles juridiques des jugements de valeur ? Oui, à condition de se référer, faute de mieux, à une méthode de recherche intuitive, les règles juridiques traduisent, en toute logique, les préférences de leurs auteurs.

Du point de vue de leur justification, en revanche, on note qu’elles possèdent une certaine prétention à l’objectivité. Le jugement de valeur de leur auteur, qui participe pourtant de leur essence, doit être nié pour que ces règles parviennent à l’existence juridique. La règle de droit revendique alors une certaine « prescriptivité » objective. En revanche, introduire le jugement de valeur sous-jacent à une règle de droit peut conduire à des règles longues dont l’interprétation est trop restrictive.

La logique bipolaire de la valeur suppose que pour une valeur négative, il existe une valeur positive et inversement. Cette opposition permet de structurer la proposition de valeur, en fixant un point de comparaison permettant ainsi l’acte d’évaluation et la construction de la proposition. Dans notre exemple, dire que le mandat impératif est mauvais signifie simplement que le mandat impératif est moins bien que le mandat représentatif notamment. À nouveau, les raisons sont nombreuses, le mandat impératif peut être considéré, par exemple, comme nuisible à l’exercice de la fonction représentative.

Toutefois, la mise en évidence des raisons possibles sous-tendant la proposition, ne remet-elle pas en cause, justement, la prétention à l’objectivité de ces règles juridiques ; celles-ci ne valant plus objectivement, mais relativement à quelque chose d’autre.

 

38.- Exclusion inclusive (ou écriture exclusive)

Par Frédéric F. Martin

DEFINITION :

L’écriture exclusive est le pendant inverse, démocratique et oudropien de l’écriture inclusive. Elle vise à supprimer du droit les distinctions de sexe ou de genre qui introduisent des discriminations entre les citoyens, fragilisent le lien social et maintiennent en droit de dangereux ferments de séparatisme.

APPLICATION :

1.- La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes

DEVIENT :

La Loi n° 2014-873 pour l’égalité réel entre les citoyens.

Article 1

L’État et les collectivités territoriales, ainsi que leurs établissements publics, mettent en œuvre une politique pour l’égalité entre les femmes et les hommes selon une approche intégrée. Ils veillent à l’évaluation de l’ensemble de leurs actions.
La politique pour l’égalité entre les femmes et les hommes comporte notamment :
1° Des actions de prévention et de protection permettant de lutter contre les violences faites aux femmes et les atteintes à leur dignité ;
2° Des actions visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel ;
3° Des actions destinées à prévenir et à lutter contre les stéréotypes sexistes ;
4° Des actions visant à assurer aux femmes la maîtrise de leur sexualité, notamment par l’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse ;
5° Des actions de lutte contre la précarité des femmes ;
6° Des actions visant à garantir l’égalité professionnelle et salariale et la mixité dans les métiers ;
7° Des actions tendant à favoriser une meilleure articulation des temps de vie et un partage équilibré des responsabilités parentales ;
8° Des actions visant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ;
9° Des actions visant à garantir l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes et leur égal accès à la création et à la production culturelle et artistique, ainsi qu’à la diffusion des œuvres ;
10° Des actions visant à porter à la connaissance du public les recherches françaises et internationales sur la construction sociale des rôles sexués.

Article 1 révisé

L’État et les collectivités territoriales, ainsi que leurs établissements publics, mettent en œuvre une politique pour l’égalité entre les citoyens selon une approche intégrée. Ils veillent à l’évaluation de l’ensemble de leurs actions.
La politique pour l’égalité entre les citoyens comporte notamment :
1° Des actions de prévention et de protection permettant de lutter contre les violences faites aux citoyens et les atteintes à leur dignité ;
2° Des actions visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel ;
3° Des actions destinées à prévenir et à lutter contre les stéréotypes ;
4° Des actions visant à assurer aux citoyens la maîtrise de leur sexualité, notamment par l’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse ;
5° Des actions de lutte contre la précarité des citoyens ;
6° Des actions visant à garantir l’égalité professionnel et salarial et la mixité dans les métiers ;
7° Des actions tendant à favoriser une meilleure articulation des temps de vie et un partage équilibré des responsabilités parentales ;
8° Des actions visant à favoriser l’égal accès des citoyens aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ;
9° Des actions visant à garantir l’égalité de traitement entre les citoyens et leur égal accès à la création et à la production culturelle et artistique, ainsi qu’à la diffusion des œuvres ;
10° Des actions visant à porter à la connaissance du public les recherches françaises et internationales sur la construction sociale des rôles sexués.

2.- L’amendement n°AC41 de l’assemblée nationale du 18 mai 2018 ainsi rédigé

« Les actions de promotion de la mixité dans les entreprises, de sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes sexistes et pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes »

DEVIENT :

« Les actions de promotion de la mixité dans les entreprises, de sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes sexistes et pour l’égalité professionnel »

COMMENTAIRE :

Le présent exemple montre bien que la suppression de la distinction homme/femme renforce l’égalité. Les difficultés sont cependant nombreuses.

L’exposé des motifs de la loi proposée pourrait s’appuyer sur Cl. Lévi-Strauss et G. Dumézil qui soulignent que « c’est l’usage qui conduit naturellement aux changements de la langue et non la volonté de la soumettre à des évolutions sociétales, voire à une idéologie », et concluent que « l’écriture soi‑disant inclusive est en réalité profondément exclusive ».

C’est à ce titre que nous pouvons affirmer sans barguigner que, de manière réciproque, l’écriture exclusive est en réalité profondément inclusive. Pour ce faire, il importe donc de supprimer du droit toute référence à des différences de genre ou de sexe qui introduirait un régime différencié entre les citoyens.

Dans la mesure du possible, le législateur s’efforcera d’utiliser le plus souvent possible des termes génériques et de supprimer les graphies féminines qui sont autant de ferments de dissolution du lien social. Afin de renforcer l’inclusion par l’exclusion (et non l’inverse), il sera proposé de ne plus accorder les adjectifs et participes passés au féminin dès lors qu’il désigne un régime juridique s’appliquant à tous les citoyens.

Afin de conserver au langage son évolution naturelle et de lutter contre sa soumission à des idéologies, il sera proposé soit de supprimer l’Académie française, soit de lui assigner pour seul fonction de prouver que les nouveaux usages introduits dans le langage sont suffisamment établis pour qu’il ne soit mémoire du contraire.

39.- Expérimentation

Par Viveca Mezey et Camille Porodou

 

DEFINITION :

 

La contrainte de l’expérimentation peut consister à imaginer un cadre expérimental sans encore le réaliser. On peut ainsi imaginer de nouvelles institutions, de nouvelles lois ou des modifications importantes de celles qui existent.

 

APPLICATION :

 

Afin de doter la France des moyens nécessaires pour mieux lutter contre les épidémies et pandémies dans l’avenir, la création d’une juridiction spécialisée est expérimentée.

 

Tribunal démocratique de la santé innovante pour une France nouvelle : une société plus saine et dynamique

Organisation du Tribunal

 

  • Les audiences débutent avec un moment de méditation de pleine conscience.

  • Un tapis roulant est fourni aux juges pour permettre l’exercice d’une activité physique pendant les audiences.

  • Les avocats ont une barre de traction à leur disposition.

  • Le parquet est remplacé par un coach sportif et/ou un conseiller en développement personnel.

  • Un jus détox est offert à tout participant.

Compétence du Tribunal

 

Les infractions suivantes sont jugées par le Tribunal :

La prévention

 

  • Consommer plus de 5 grammes de matière grasse saturée par jour (sauf les fromages de région pour soutenir une production locale authentique et vivante) ;

  • Douter de la performance de l’innovation dans le domaine de la santé ;

  • Douter de l’efficacité des mesures prises dans le cadre de la lutte contre toute maladie ;

  • Toute pensée négative susceptible de nuire à la lutte contre toute maladie ;

  • La consommation d’un produit dont le nutriscore est inférieur à B sans l’autorisation préalable du préfet ;

La guérison

 

  • Avoir plus de 38° ;

  • Refuser de commander les médicaments suivant les propositions personnalisées d’Amazon ; et

  • Mourir d’une maladie.

 

COMMENTAIRE :

 

L’expérimentation est une contrainte assez libre et permet de s’interroger sur les limites de ce qu’est une contrainte. Elle permet également d’aller plus loin. Une fois le cadre prévu, il est possible de prévoir une application concrète. On peut par exemple imaginer la première audience du Tribunal démocratique de la sante innovante et même faire une mise en scène. La seule limite est l’imagination.

 

F.

40.- Fables de droit

Par Frédéric F. Martin et Alicia Mâzouz

DEFINITION :

Il s’agit de transformer une fable non juridique en fable qualifiée juridiquement.

APPLICATION :

La fable Le corbeau et le renard devient :

Maître Corbeau, sur un arbre perché,

Maître X, sur un arbre perché,
    Tenait en son bec un fromage.     Tenait en son bec un produit fermenté ou non, affiné ou non, obtenu à partir de lait, crème, matière grasse d’origine laitière ou de babeurre.
Maître Renard, par l’odeur alléché, Maître Renard, par l’odeur alléché,
    Lui tint à peu près ce langage :     Lui tint à peu près ce langage :
Et bonjour, Monsieur du Corbeau, Et bonjour, Monsieur du Corbeau,
    Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !     Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
    Sans mentir, si votre ramage     Sincèrement, si votre chant
    Se rapporte à votre plumage,     Se rapporte à votre apparence,
     Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.      Vous êtes le mieux réanimé des hôtes de ces bois.
À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie, À ces mots le Corbeau se laisse séduire,
    Et pour montrer sa belle voix,     Et pour montrer ses talents d’auteur-interprète,
   Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.    Il ouvre un large bec, laisse tomber son aliment.
   Le Renard s’en saisit, et dit : Mon bon Monsieur,    Le Renard s’en saisit, et dit : Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur Apprenez que tout flatteur
     Vit aux dépens de celui qui l’écoute.      Jouit d’une rente offerte par celui dont il a vicié le consentement
   Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.    Cet enseignement vaut bien une contrepartie lactée.
    Le Corbeau honteux et confus     Le Corbeau honteux et confus
   Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.    Prêta serment, mais un peu tard, qu’il vérifierait que son consentement demeure éclairé.

La fable de la cigale et la fourmi devient :

La cigale ayant lézardé,

Tout l’été,

Se trouva fort dépourvue

Quand l’allocation chômage disparue

Que de pauvres petits revenus

RSA ou CMU

Elle alla crier famine,

Chez la rentière sa voisine

La priant de contribuer par l’impôt

Pour favoriser son dépôt

Jusqu’à la retraite prochaine.

Je vous paierai, lui dit-elle

De mon corps, foi d’animal

Corvées et pénibilité.

La rentière n’est pas prêteuse,

C’est là son moindre défaut

Que faisiez-vous au temps du plein emploi

Dit-elle à cette emprunteuse

Nuit et jour à tout venant

Je rédigeais ma thèse, ne vous déplaise

Vous rédigiez ? J’en suis fort aise

Et bien cotisez maintenant

COMMENTAIRE :

Les contes de Grimm, deux disciples de Savigny, ont été écrits dans le contexte de l’école historique du droit allemand et du romantisme afin de partir à la recherche de la racine de l’esprit allemand.

41.- Fantôme

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

Il s’agit de transformer les adjectifs, substantifs et verbes d’une règle de droit existante avec le mot fantôme le plus proche dans l’ordre alphabétique des mots fantômes du CNRTL. En effet sur le CNRTL, il se trouve une liste de mots qui n’existent pas mais qui sont apparus au moins une fois dans des écrits en français à la suite, la plupart du temps, d’une erreur (voirhttp://www.atilf.fr/MotsFantomes/ puis dans le menu sur site taper « recherche simple »). Il existe des règles fantômes quand elles ont été annulées mais qu’elles ont encore un effet (par exemple : l’article 12 alinéa 3 Code de procédure civile). Il existe aussi un concept oudropien de fantôme (v. anthologie 2017).

APPLICATION :

L’article 1240 CC « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

DEVIENT :

« Tout faisneur quelconque de l’hormission, qui candit à autrui un dorfait, oprime celui par la fausserie duquel il est aroiné à le reponer ».

COMMENTAIRE :

Tout faisneur (celui qui ensevelit) quelconque de l’hormission (pèlerinage), qui candit (courir avec impétuosité) à autrui un dorfait, oprime (presser) celui par la fausserie (une arnaque) duquel il est aroiné (préparé) à le reponer (remonter un bateau). Le mot dorfait vient d’une mauvaise lecture par Godefray du 12° arrêt d’amour de Martial d’Auvergne (15° siècle). En première instance de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la défenderesse avait gagné car elle prétendait que le demandeur s’était fait des idées et qu’elle ne s’était pas engagée vis-à-vis de lui, mais en appel l’appelant a pu produire un petit objet, le fameux Dorfait, offert par la défenderesse. L’amant prétendait qu’il y a avait eu des serments éternels mais elle affirme : « et pour défense ladite défenderesse disait que de raison naturelle féminine nulle dame n’est tenue d’aimer si la personne qui la requiert ne lui plait, agrée ou qu’autrement le fait ferait trop à contemner tous les biens d’amours, qui viennent de plaisirs et joie. Or ce présupposé disait que cet amant se fiait trop en ses pensées et folles imaginations ». Voici un extrait du CNRTL sur le mot fantôme Dorfait : Godefroy, « L’éminent lexicographe propose alors dubitativement d’interpréter dorfait comme un substantif pouvant désigner un mouchoir que l’amant, d’après le contexte, porterait pour l’amour de sa belle sous sa chemise, au contact de la peau. Et le malheur veut que ce dorfait fantomatique soit passé dans le FEW 21, 521b, Concept : mouchoir, alors que Gay dans son Glossaire archéologique du Moyen Âge et de la Renaissance (s.v. cure-dents), paru en 1887, donnait déjà la bonne leçon composée de mots courants un petit cœur d’or faict à larmes, en somme un cœur en or décoré de perles en forme de larme, symbole de l’amour et de la fidélité ».

42.- Féminisation

 

Par Gaële Gidrol-Mistral et Alicia Mâzouz

 

 

 

DEFINITION :

Il convient de féminiser une norme, comme on a féminisé la Covid 19 afin de savoir si elle est plus inclusive, plus acceptable ou plus dangereuse.

 

 

APPLICATION :

 

L’article 552 CC français :

« La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ;

Le propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations et constructions qu’il juge à propos, sauf les exceptions établies au titre « Des servitudes ou services fonciers ».

Il peut faire au-dessous toutes les constructions et fouilles qu’il jugera à propos, et tirer de ces fouilles tous les produits qu’elles peuvent fournir, sauf les modifications résultant des lois et règlements relatifs aux mines, et des lois et règlements de police ».

DEVIENT :

« La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.

  La propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations et constructions qu’elle juge à propos, sauf les exceptions établies au titre  » Des servitudes ou services fonciers « .

Elle peut faire au-dessous toutes les constructions et fouilles qu’elle jugera à propos, et tirer de ces fouilles tous les produits qu’elles peuvent fournir, sauf les modifications résultant des lois et règlements relatifs aux mines, et des lois et règlements de police ».

L’article 1583 du Code civil français sur la vente : « Elle est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé »

DEVIENT :

« Elle est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteuse à l’égard de la vendeuse, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé ».

 

L’article 1 du Code civil du Québec : « Tout être humain possède la personnalité juridique »

DEVIENT :

« Toute entité humaine possède la personnalité juridique ».

Ce changement entraîne un élargissement de la catégorie juridique à des entités humaines et les dote de la personnalité juridique : embryons congelés, cadavres, fantômes (entités errantes), gamètes, cellules (cancer ?)

L’article 385 C.c.Q « Sous réserve de l’article 386, l’époux de bonne foi a droit aux donations qui lui ont été consenties en considération du mariage »

DEVIENT :

 « Sous réserve de l’article 386, l’épouse de bonne foi a droit aux donations qui lui ont été consenties en considération du mariage ».

L’article 386 C.c.Q. : « La nullité du mariage rend nulles les donations entre vifs consenties à l’époux de mauvaise foi en considération du mariage ».

DEVIENT :

« La nullité du mariage rend nulles les donations entre vives consenties à l’épouse de mauvaise foi en considération du mariage ».

Pour éviter la discrimination issue de cette rédaction qui semble associer la mauvaise foi au sexe féminin « non neutre », peut-être pourrait-on inventer un mot neutre et écrire épouxse (contraction de époux et épouse)

 

 

COMMENTAIRE :

 

Le premier constat qui s’est imposé à nous lorsque nous avons souhaité trouver un texte à féminiser, c’est qu’un grand nombre de notions, de concepts, de mécanismes… présents dans le code civil sont féminins : la propriété, la personne, l’obligation, la responsabilité, la famille, la filiation, la nationalité, la servitude, l’indivision, la sûreté, l’hypothèque, la fiducie, la vente, la preuve… Les choses sont un peu différentes lorsqu’il est question des liens entre les membres d’un couple puisqu’il est alors question d’un mariage et d’un divorce, d’un Pacs ou d’un concubinage : étrangement toutes les formes d’unions sont masculines. On peut également constater que l’avoir (et peut être ainsi le pouvoir) est marqué par la présence du masculin. Notons que la propriété est un mot féminin, alors que le bien est masculin, même si la catégorie générale qui l’accueille est féminine : la chose englobe le bien envisagé comme droit patrimonial, et la chose, objet non encore soumis au pouvoir du propriétaire. Le patrimoine, miroir économique de la personne, est d’ailleurs masculin. Pourrait-on y voir une distinction entre l’être qui ressort du domaine sensible et donc représenté par un concept féminin (la personne) et l’avoir du domaine économique représenté par un concept masculin (le patrimoine) ?

À partir de ce premier constat, nous nous sommes attachées à trouver des dispositions pour lesquelles une féminisation des termes serait possible. Ainsi, dans la relation entre le propriétaire et le vendeur ou entre les époux. La lecture des textes modifiés est sans appel : la féminisation du terme propriétaire ou vendeur ou époux conduit, non pas à un effet d’inclusion, mais à un effet d’exclusion. En effet si la règle d’un masculin fédérateur, qui inclurait tous les genres, permet d’appliquer la disposition relative à la propriété, à la vente ou aux unions civiles à toutes les personnes quelques soit leur genre, féminin, masculin ou neutre, tel n’est plus le cas dès lors que le féminin seul est utilisé pour désigner « la propriétaire » ou « la vendeuse » ou « l’épouse ». Seule une partie des personnes s’identifiant au sexe féminin est alors visée par cette nouvelle rédaction du texte. Bien entendu, on comprend ainsi les enjeux et les difficultés posées par l’adoption d’une écriture féminisée. En marquant la langue par la place légitime des femmes, il ne faut pas discriminer une autre partie de la population. L’inclusion des femmes devient une forme d’exclusion. Il faut donc aborder la question de l’inclusion par un prisme plus fédérateur (double désignation – le et la – ou chercher une neutralité – épouxse ; iele ; possesseur.e). Ajouter à tous les textes qui ne comportent que le masculin, comme les textes ci-dessus rappelés, une forme féminine est sans doute déjà une autre contrainte… (voire écriture exclusive).

Il se peut aussi que la féminisation du droit laisse quelque peu dans l’ombre les discriminations matérielles entre riches et pauvres. Il conviendrait peut-être alors de noter avec une majuscule la présence du pauvre et avec une minuscule l’intervention d’un riche. S’il s’agit d’un transgenre pauvre, on parlerait de Yelle, mais de yelle s’il est riche. Par exemple : « le Propriétaire de la barque de pêcheur est prié de ne pas s’amarrer dans le bassin des propriétaires de yatch.  Il, Elle ou Yelle peut aussi laisser sa barque sur la plage, tandis qu’il, elle ou yelle ne doit pas faire la fête au-delà de trois heures du matin sur son yacht privé ».

 

43.- Forme brève

Par Frédéric F. Martin

DEFINITION :

Cette contrainte vise à créer du droit sous une forme brève, adage, tweet ou autre.

APPLICATION :

Le black bloc ayant cassé

Tout l’été,

Se trouva fort dépourvu

Quand la BAC fut venue.

Variante

La police ayant gazé

Tout l’été

Se trouva fort dépourvu

Quand les masques furent venus.

Selon la formule commune rapportée par Loysel, Institutes coutumières, liv. V, tit. iii, § xvi, n° 726, signifiant qu’il n’y a d’autre prescription que centenaire contre le roi :

Qui a mangé [al. plumé] l’oie du roi, cent ans après en rend la plume.

L’article 111-3 Code pénal « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement » n’est que la forme développée de l’adage : Nullum crimen, nulla poena sine lege[24].

De même que l’article 1240 du Code civil (« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. ») peut aussi se dire :

Qui porte dommage, porte réparation.

Ou :

Qui dommage répare.

Quant au tweet, il n’est d’autant moins potentiel qu’il semble tendre à devenir, notamment en période de pandémie, un vecteur de publication de décisions ministérielles, pas toujours suivies de texte officiel mais pour autant susceptibles d’effets par l’interprétation qui pourra en être donnée, que ce soit par des agents de l’administration ou des personnes privées.

COMMENTAIRE :

La forme brève n’a pas de forme propre. Elle peut être un proverbe, un brocard, un adage, une sentence, une morale, une fable. Ordinaire, elle ne relève ni du droit ni de son contraire et s’oulipise ou s’oudropise presque naturellement. Bref, l’énoncé est ramené aux relations simples qui se tissent entre un nombre réduit de substantifs et de valeurs, comme en un procès. S’y dessine un motif exemplaire, sentencieux ou narratif, dont on peut inférer une prescription morale ou juridique. Ainsi « Justice numérique, justice inique », traduit le risque de rendre inhumaine une justice numérisée. La construction fonctionne comme un mème (voire la contrainte du mème juridique) puisqu’il existe aussi : Juge unique, juge inique ou encore Justice delayed, justice denied. On pourrait dès lors imaginer, par exemple, Justice émotive, justice sans motif, etc.

44.- Formulaire

Par Frédéric F. Martin.

DEFINITION :

La contrainte consiste à trouver une façon de convertir un dispositif juridique complexe en un formulaire simple.

APPLICATION :

Formulaire d’enquête administrative (dit formulaire Darmanin, suite aux déclarations du Ministre de l’Intérieur expliquant qu’un croche-patte effectué par un policier ne faisait que répondre au fait qu’un de ses collègues avait été poussé – à tout le moins).

Le Ministre de l’Intérieur, agissant en qualité de subrogé de l’IGPN, constate qu’il lui a été rapporté que des actes de violences auraient été commis par l’agent……………….

L’agent X intervenait-il dans le cadre de ses fonctions ?

oui ☐       non ☐

Les coups portés étaient-ils justifiés par la défense de soi-même ou d’autrui ?

oui ☐       non ☐

La personne ayant subi lesdits actes de violence a-t-elle porté plainte ?

oui ☐       non ☐

La personne ayant subi lesdits actes de violence a-t-elle apporté la preuve du caractère manifestement illégal des actes reprochés ?

oui ☐       non ☐

L’enquête ci-dessus fait-elle apparaître la nécessité d’ouvrir une procédure de sanction disciplinaire ?

oui ☐       non ☐

Par le Ministre de l’Intérieur, agissant en qualité de subrogé de l’IGPN, Gérald Darmanin

COMMENTAIRE :

 

Il convient de partir d’un texte de loi précis (ou pas). Quant à la qualité de « subrogé » du ministre, le choix terminologique est délibéré.

L’intérêt principal du formulaire consiste dans la simplification juridique qu’il offre. Il renforce la clarté des énoncés juridiques, réduits les frais qui résultent des obscurités du droit et coupe court aux vaines querelles factuelles. Il sera ainsi suggéré, dans un souci de rationalisation et dans la mesure où certaines exigences peuvent être formulées au présent[25], d’évaluer le caractère proportionné ou non de certaines mesures par une simple case à cocher.

45.- Fragment

Par Viveca Mezey, Nathalie Dion et Dorothée Simmoneau

DEFINITION :

Issu du latin fragmentum (éclat, fragment, débris) et du verbe frango(ere) (briser, rompre, fracasser, mettre en pièces) (v. Dictionnaire F. Gaffiot), le terme « fragment » peut s’entendre d’un point de vue formel ou relationnel. Dans une approche formelle, le fragment est le petit élément d’un ensemble. Le mot s’entend aussi d’une partie comme une citation, un extrait, le passage d’une œuvre (fragment d’un texte, d’un discours) (v. Dictionnaire Le Robert).
Dans une approche relationnelle, le fragment renvoie à la connaissance, au monde. D’un mystérieux fragment d’os ou de papyrus on peut déduire toute une anatomie ou une civilisation.

APPLICATION :

L’article L. 225-35 du Code de commerce : « Le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre. Sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux assemblées d’actionnaires et dans la limite de l’objet social, il se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent. Dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du conseil d’administration qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve. Le conseil d’administration procède aux contrôles et vérifications qu’il juge opportuns. Le président ou le directeur général de la société est tenu de communiquer à chaque administrateur tous les documents et informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Les cautions, avals et garanties donnés par des sociétés autres que celles exploitant des établissements bancaires ou financiers font l’objet d’une autorisation du conseil dans les conditions déterminées par décret en Conseil d’État. Ce décret détermine également les conditions dans lesquelles le dépassement de cette autorisation peut être opposé aux tiers ».

DEVIENT :

« Le conseil, orientations, de la société veille à leur mise. Des pouvoirs attribués aux assemblées, la limite de toute question, la bonne marche de la société règle les affaires. Les tiers, la société est engagée, conseil d’administration, le tiers savait cet objet, l’ignorer, des circonstances, des statuts suffise. D’administration vérifications opportuns. Le président, la société, communiquer à chaque administrateur nécessaire à l’accomplissement. Les avals donnés, sociétés d’une autorisation, du conseil déterminé en Conseil. Détermine les conditions ; le dépassement tiers ».

 

L’article L227-3 (initial) du Code de commerce « La décision de transformation en société par actions simplifiée est prise à l’unanimité des associés »

DEVIENT :

« La décision de transformation est prise ».

OU « La décision est prise ».

 

L’article L227-5 (initial) du Code de commerce : « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée »

DEVIENT :

« Les statuts fixent les conditions dans la société ».

 

L’article L227-16 du Code de commerce « Dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions ».

DEVIENT :

« Les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu »

COMMENTAIRE :

Le Vocabulaire juridique Capitant est composé d’entrées qui sont des fragments du droit et qui peuvent établir entre eux des relations aléatoires ou nécessaires. Ces fragments ne constituent pas le droit mais ils en en donnent des fragments d’explication.
Le droit serait-il le fragment d’un vaste appareillage normatif (normes managériales, de gestion, techniques…) composant notre société, une société elle-même multiple et socialement fragmentée ?

A partir d’articles du Code de commerce relatifs à la société par actions simplifiée et volontairement fragmentés, il est possible de reconstruire une certaine cohérence. Ces fragments évoquent une société carcérale, disciplinaire (théorisée par Foucault), une forme d’esclavage.

Le droit européen est très fragmenté car il doit s’emboîter avec droit national, c’est une mosaïque, il y a un peu de droit international comme un enduit.

La fameuse codification à droit constant (ex. code de la propriété intellectuelle) a opéré à la fois une conservation des textes antérieurs et des opérations de modification, suppression et ajout. Elle a éliminé des fragments, des petits bouts. Ce n’est pas neutre du point de vue de la connaissance de la norme. On fabrique un discours qui couvre les opérations en disant c’est du droit constant alors même qu’il y a de véritables changements.· 

 

 

 

G

 

46.- La norme gravide

Jean-Baptiste Jacob

DEFINITION :

 

Dans le sillage du positivisme juridique, la pensée juridique moderne s’est majoritairement accordée pour voir dans le système juridique un système structurel[26] ou dynamique de production de normes. Suivant cette hypothèse, la création de normes s’effectue « par un processus qui, remontant d’une norme inférieure à une norme supérieure, arrive nécessairement à la norme fondamentale »[27]. Cette théorie se résout pour l’essentiel en une théorie de la gradation des normes autrement appelée théorie de la formation du droit par degrés.

Cette hypothèse est au fondement de l’œuvre kelsenienne et aboutit au célèbre schéma de l’organisation pyramidale du système juridique. Ce qui caractérise un tel système, explique Kelsen, « c’est le fait que la norme fondamentale présupposée ne contient rien d’autre que l’institution d’un fait créateur de norme c’est-à-dire, une règle qui détermine comment doivent être créées les normes générales de l’ordre qui repose sur cette norme fondamentale » [28]. En somme, un système normatif est dynamique dès qu’il contient une norme qui prévoit les conditions procédurales de création d’une autre norme qui lui est immédiatement inférieure. Pour l’auteur autrichien ce mécanisme constitue l’archétype du mécanisme de la production normative dans un système juridique.

D’après ce modèle, le processus d’engendrement normatif est bien indirect et non-déductif. Une norme n’est jamais engendrée directement par une autre norme, mais bien, indirectement, à travers les conditions procédurales d’élaboration de la norme secondaire posées par la norme primaire. Cette obéissance suffit à fonder sa validité juridique c’est-à-dire son appartenance à un système normatif juridique. La validité juridique est alors essentiellement formelle. Elle renvoie simplement l’existence d’une norme au respect des conditions procédurales de son élaboration, à sa forme (constitutionnelle, législative, réglementaire).

Entendu de la sorte, le système normatif juridique s’oppose ouvertement au système normatif moral. Le système normatif moral se caractérise, selon Kelsen, par la gravidité des normes qui le composent.  En effet, Kelsen écrivait, dans la première édition de la Théorie pure du droit, que la plupart « des normes d’une morale quelconque sont déjà contenues dans une norme fondamentale à la manière dont le particulier est contenu dans le général »[29]. Autrement dit, « les normes du droit naturel et celles de la morale sont déduites d’une norme fondamentale qui, en raison de son contenu, est censée apparaître de façon immédiatement évidente »[30].

Dans ce schéma, la validité d’une norme tient avant tout à son contenu et à la valeur de celui-ci. La question de la validité normative devient ainsi une question de valeur. Pour schématiser, telle norme vaudra à raison de ce que son contenu est bon, de ce qu’il est important, de ce qu’il est approprié pour réaliser le contenu de la norme qui lui est immédiatement supérieure. La norme gravide trouve ainsi le critère de sa validité dans la seule force de son contenu, plus précisément dans sa capacité à constituer le point de départ d’un processus déductif d’engendrement direct d’une autre norme qui lui est matériellement ajustée et qui entend la réaliser.

APPLICATION :

Appliqué au système normatif moral, cet engendrement particulier des normes mis en évidence par Kelsen suppose que le contenu du système normatif se déduise intégralement du contenu de quelques normes premières considérées comme fondamentales. Tel serait par exemple le cas de normes interdisant le mensonge ou la trahison, et dont on peut légitimement considérer qu’elles permettent de réaliser une norme plus générale de fidélité. Tel serait encore le cas si l’on parvient à déduire directement, d’une norme spécifique « on doit aimer son prochain », tout un ensemble d’autres normes qui y répondent et permettent de réaliser cet impératif, comme par exemple, « on ne doit infliger aucun mal à son prochain », « on doit assister son prochain ». Ici, le contenu de la norme supérieure irrigue le contenu des normes inférieures et contribue à le conditionner. En effet, dans l’exemple précédent, les normes d’assistance ou de bienveillance, répondent directement, chacune à leur façon, à une norme d’amour qu’elles permettent de réaliser.

COMMENTAIRE :

Il s’agit de produire, en respectant les canons du juge constitutionnel, une norme statique susceptible de s’imposer dans un avenir proche – et confiné.

H.

47.- Haïku juridique

Par Pierre-Yves Verkindt

DEFINITION :

Il s’agit d’appliquer la contrainte du haïku à une règle de droit. Cela consiste à écrire un Haïku libre de 5, 7, 5 syllabes avec une référence à la nature ou à la saison.

APPLICATION :

L’article 1240 du Code civil « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »

DEVIENT :

1.- « Tout fait quelconque

Causé par l’être d’été

Sera réparé »

2.- « Répare à temps

Tout tord fautivement

Que tu causes »

3.- « Quelque faute faite à autrui

chaque jour impose

de réparer celle-ci ».

4.- « Qui en hiver blesse

Un orange sycomore

Au printemps répare »

5.- « Cyclone causé

par un homme à autrui

 doit le réparer »

COMMENTAIRE :

Le Talmud sur la responsabilité ne prévoit pas de règle abstraite mais des situations typiques (la blessure d’un animal, etc.), c’est ce que fait toute casuistique en étendant par analogie un cas à de nouveaux cas. Le haïku juridique recontextualise une règle. La première application situe l’article 1240 pendant l’été. La seconde application en faisant référence au temps intègre la majoration des intérêts légaux. C’est aussi une forme de commandement biblique qui crée une intimité entre le législateur et le destinataire de la norme. La troisième application insiste sur l’exigence de réparation journalière et fait donc référence à l’astreinte. Le quatrième haïku vise le procès environnemental, sachant qu’un avocat a plaidé au nom des séquoias.  Dans la dernière application, il paraît paradoxal qu’un cyclone soit causé par l’homme. Toutefois, il est désormais avéré que les activités humaines contribuent au changement climatique.

Le fait de tout homme

Tempêtant son semblable

 Impose un abri

C’est une approche de la responsabilité par la prévention.

Si tu es fautif

Le dommage que tu causes

Tu répareras

Version moderne ou parler en mode maître Yoda (tous les verbes à la fin comme contrainte sur le modèle de la langue allemande).

Un vent froid dense

Sont emportés les feuilles

 Jardinier œuvre !

On pourrait aussi faire le travail inverse partir du haïku pour retrouver la règle.

Répare à temps

Tout tord fautivement

Que tu causes

Il y a une référence à la saison et au temps.

On peut inverser la contrainte en faisait 7, 5, 7 : 1ère proposition :

Quoique fasse l’un à l’autre

Homme toujours est tenu

Chaque jour à réparer

Peut-on prononcer le e muet d’homme pour faire 7 pieds ? La règle est la diérèse : on peut prononcer la terreu, car en latin terra (idem lion li-on car leone en latin) ; la synérèse est le figure inverse. On utilise donc une règle de grammaire exprimée en grec impliquant une solution latine pour résoudre un problème d’haïku juridique et japonais. Lier vient de ligare donc on peut dire li-er.

2° proposition.

Quelque faute faite à autrui

Chaque jour impose

De réparer celle-ci.

Insiste sur une réparation par jour et donc peut-être sous astreinte.

Jeter une boule

Par son froid peut vous glacer

Le feu compense

« Tout fait » peut être n’importe quoi, l’homme et la faute sont ainsi éjectés. Il s’agit ici d’une boule de neige mais on peut aussi y lire une boule de glace plus appétissante.

Qui en hiver blesse

Un ami cher de l’enfance

Au printemps répare

Ou bien

Qui en hiver blesse

Un orange sycomore

Au printemps répare

Ce haïku vise le procès environnemental, un avocat a ainsi plaidé au nom des séquoias.

Un bruit de tondeuse

Dans l’herbe trois chrysanthèmes

Le bon juge replante

Pour les Japonais, le chrysanthème est plutôt associé à la joie par ailleurs le juge est bon, c’est le juge comme jardinier. Le mauvais juge serait celui qui arrache les mauvaises herbes sans rien faire repousser, sa sanction serait stérile.

Cyclone causé

Par un homme à autrui

Doit le réparer

Cela paraît paradoxal qu’un cyclone soit causé par un homme mais c’est maintenant possible puisque le changement climatique est attribué à l’homme.

48.- Horrible

Par Camille Porodou

DEFINITION :

La contrainte consiste à trouver un texte qui n’est pas susceptible d’interprétation.

APPLICATION :

L’article L. 4411-1 du Code du Travail « Mise sur le marché des substances dangereuses. Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité au travail, la fabrication, la mise en vente, la vente, l’importation, la cession à quelque titre que ce soit ainsi que l’utilisation des substances et mélanges dangereux pour les travailleurs peuvent être limitées, réglementées ou interdites » est si précis qu’il ne paraît pas susceptible d’interprétation.

COMMENTAIRE :

Ces limitations, réglementations ou interdictions peuvent être établies même lorsque l’utilisation de ces substances et mélanges est réalisée par l’employeur lui-même ou par des travailleurs indépendants. Les notions de substance, mélange, dangereuse, peuvent néanmoins donner lieu à interprétation. Il s’agit d’un article réglementaire qui opère par renvoi : terme de travailleur, pas travailleur salarié, notion de dose efficace (vocabulaire médical) ou d’extrémités (coude main). L’interprétation est fermée car elle porte sur des normes techniques.

I.

49.- Idée reçue

Frédéric Martin et Emmanuel Jeuland

DEFINITION :

La méthode s’inspire – librement – du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert. Les échos et renvois dont les textes juridiques sont truffés ne doivent pas être pris pour des évidences. Il suffit de faire valser les mots pour que les pensées s’évadent. La science juridique est pleine de mythes.

 

APPLICATION :

 

Liberté. – a) La liberté de chacun s’arrête là où commence la loi (voir « loi »). – b) La liberté de chacun commence là où s’arrête la loi (voir « loi »).

 

Autres exemples d’idées reçues :

« Il faut craindre le gouvernement des juges » (c’est pourquoi d’ailleurs la justice n’est qu’une autorité)

DEVIENT :

« La justice doit craindre le gouvernement ».

« Les juges ne sont que la bouche de la loi » (mais la loi est ici la loi naturelle si bien que les juges ont toutes les marges de manœuvre)

DEVIENT :

 « La bouche des juges est la loi positive ».

Autre idée reçue : « La justice est engorgée donc il faut privilégier les modes alternatifs de règlement des conflits » : alors que les statistiques judiciaires ne le démontrent pas en moyenne au plan national depuis 1991 sauf pour quelques tribunaux ou cours.

DEVIENT

« Les modes alternatifs de règlement des conflits ne servent à rien puisque la justice n’est pas engorgée ».

COMMENTAIRE :

 

Pointer du doigt les idées reçues ou mythologies juridiques, c’est déjà les remettre en cause ; c’est aussi s’apercevoir que les dénégations des idées reçues ont beaucoup de mal à faire leur chemin. Curieusement, l’idée reçue se retourne souvent en vérité. On peut aussi constater que les idées reçues ont la vie dure : chaque jour on entend les étudiants affirmer que la justice est encombrée, que l’on frôle le gouvernement des études alors même paradoxalement que tout le monde s’accorde à dire que le juge n’est que la bouche de la loi. On note aussi une tendance à chercher des sources plus ou moins fiables pour fonder une doctrine voire une discipline. Ainsi, on parle aujourd’hui du mythe de l’arrêt Blanco, l’arrêt qui a fondé l’autonomie du droit administratif sur la notion de service public plus de vingt ans après son édiction (l’arrêt en son temps était passé inaperçu).

50.- Intersection.

Par Camille Porodou

DEFINITION :

La contrainte consiste à croiser deux textes en conservant une partie commune qui se trouve à leur intersection.

APPLICATION :

1.- Intersection des déclarations des droits de l’homme et de la femme (d’Olympe de Gouge) en leur milieu (l’article 10).

L’article 10 DDHC « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi » + l’article 10 de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales ; la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit également avoir celui de monter à la tribune, pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi »

DEVIENNENT :

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme et l’homme à femme ont le droit de monter sur l’échafaud ; elles doivent avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi ».

L’intersection des deux premiers textes avec l’article 10 de la déclaration des droits de l’animal « L’éducation et l’instruction publique doivent conduire l’homme, dès son enfance, à observer, à comprendre, et à respecter les animaux ».

DEVIENNENT :

« L’éducation et l’instruction publique doivent conduire l’homme-femme-animal, dès son enfance, à observer, à comprendre, et à respecter les autres animaux. Les femmes, les hommes et l’animal ont le droit de monter sur l’échafaud ; ils doivent avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi ».

Une intersection complémentaire peut être faite (un vrai exemple d’intersectionnalité) avec la déclaration des droits de l’enfant qui prévoit en son article 10 « L’enfant doit être protégé contre les pratiques qui peuvent pousser à la discrimination raciale, à la discrimination religieuse ou à toute autre forme de discrimination. Il doit être élevé dans un esprit de compréhension, de tolérance, d’amitié entre les peuples, de paix et de fraternité universelle, et dans le sentiment qu’il lui appartient de consacrer son énergie et ses talents au service de ses semblables ».

DEVIENT :

Article 10 de la déclaration universelle de tous les droits :

« L’éducation et l’instruction publique doivent conduire l’homme-femme-animal, dès son enfance, à observer, à comprendre, et à respecter les autres animaux. Il doit être élevé dans un esprit de compréhension, de tolérance, d’amitié entre les espèces, de paix et de fraternité universelle, et dans le sentiment qu’il lui appartient de consacrer son énergie et ses talents au service de ses dissemblables ».

Le code de l’hôtel franco-suisse pourrait également être le résultat d’une intersection. Dans le Jura, un hôtel a été construit entre le temps de la rédaction d’un traité et sa ratification. On ne sait pas quel code est applicable. L’idée est de rapprocher des phrases qui se ressemblent sémantiquement pour en forger une nouvelle par un programme informatique ou manuellement. Exemple concernant la propriété de l’hôtel : L’article 641 du Code civil suisse « Le propriétaire d’une chose a le droit d’en disposer librement, dans les limites de la loi » et l’article 544 Code civil français « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements »

DEVIENNENT :

Article 4 (seul chiffre commun à 641 et 544) du code franco-suisse : « Le propriét de la chose en dispose sauf loi ».

Ont été retenues les mots communs aux deux textes ; mais « sauf » a été ajouté car il était dans l’esprit commun aux deux textes concernant l’exception, « dispose » a été mis à la place de « disposer » pour avoir un verbe conjugué commun. Le propriétaire de l’hôtel franco-suisse a maintenant un titre de propriété en bonne et due forme.

COMMENTAIRE :

Est-ce que le troisième texte que l’on obtient par intersection est encore juridique ?  Une intersection est-ce un espace entre, une passerelle ou un interstice ? L’être suprême de la DDHC est-il à l’intersection des déclarations ou forme-t-il un tiers texte ? Est-ce un carrefour ou une patte d’oie, un X ou un Y (on sait que le XY est dysfonctionnel en génétique). Il y a un droit à être entre les deux genres, biologiquement il existe 8 sexes, 5 en Inde. Selon la nouvelle loi bioéthique de 2021 il n’est pas obligatoire d’apposer le sexe à l’état civil à la naissance, mais le délai est rapide. L’intersection ne devrait pas être seulement en plan mais en volume. Comment réaliser l’intersection entre deux textes, sélectionner au hasard ou chercher des thèmes communs ? Dans l’intersection ci-dessus, Olympe de Gouge colle pour faire un troisième texte, l’extraction d’alexandrins dans la jurisprudence de la Cour de cassation est aussi une forme d’intersection.

Le code de l’hôtel franco-suisse est trans espèce, il resterait encore à faire le code de l’hôtel du mont Porodou. La démarche est très péréquienne, on peut parler de « Code, mode d’emploi ». On peut encore imaginer de mêler les livres de droit des biens de Belgique et du Québec. Une nouvelle contrainte peut enfin être envisagée : faire une intersection entre un texte juridique et un texte littéraire tel qu’une pièce de théâtre.

51.- Intuition

Par Nathalie Dion

 

DEFINITION :

L’intuition peut être définie (négativement) comme une « forme de connaissance immédiate qui ne recourt pas au raisonnement (comprendre par intuition) » (Dictionnaire Le Robert illustré, v° Intuition). De grands choix, de grandes recherches, de grandes découvertes se sont réalisées grâce à l’intuition. Lors de périodes de repos, de rêves, de promenades « créatives », il semblerait que le cerveau reste « attentif » (dans une sorte d’état modifié de conscience) et…que jaillisse parfois une solution (ou une reformulation plus claire d’un problème donné). Albert Einstein a souligné l’importance de l’intuition : « Le mental intuitif est un don sacré, et le mental rationnel un serviteur fidèle. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et a oublié le don » (source internet). La fulgurance intuitive s’imposerait ainsi comme une évidence, donnant accès à « plus grand que soi ».

 

APPLICATION :

Selon l’article 4 du C. civ., si la loi est muette (absente), obscure, insuffisante, le juge doit en combler les lacunes, en éclaircir le sens, et statuer ; sinon il se rend coupable d’un “déni de justice” (ce qui équivaut à une reconnaissance implicite du pouvoir du juge de créer le droit lorsque cela est nécessaire à la solution du litige…).

L’article 4 C. civ.  « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice »

DEVIENT (en supprimant les mots « silence et insuffisance de la loi » en raison de la densification et de l’accélération des textes de lois à l’époque contemporaine) :

 « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité, ou de l’insuffisance de la loi ou de la complexification du droit, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. Afin de trancher le litige, il lui est possible de compléter le raisonnement juridique par le recours à l’intuition ».

COMMENTAIRE :

Aujourd’hui, la complexification du droit est devenue telle que, dans la plupart des affaires, des arguments sérieux peuvent être et sont effectivement présentés par les deux parties. Comment le juge agit-il en pratique dans ce cas de figure ? Lorsqu’il hésite sur la solution, le recours à l’intuition l’aiderait-il à affiner, à ajuster son application, son interprétation du droit ?  Par exemple, il peut parcourir un nombre important de textes et d’ouvrages juridiques en se livrant à une sorte d’évaluation intuitive de l’information, en « sentant » et en sélectionnant celle qui lui paraît la plus adéquate, pertinente, ou la plus en « résonance » avec le problème juridique considéré.  Puis, ce travail de lecture mûrit, sédimente, et le juge (ou le chercheur) effectue une synthèse mentale qui le mène vers une solution. Serait-il alors judicieux d’autoriser formellement le juge à allier connaissance « intuitive » et raisonnement juridique, le perceptif (l’intelligence perceptive) et le spéculatif (l’intelligence spéculative). ?

52.- Introuvable. 

Par Alicia Mâzouz et Camille Porodou

DEFINITION :

Donner un résultat d’oudropo,, sans dire la contrainte qui est à son origine, la contrainte consiste à retrouver la contrainte initiale qui peut mais pas nécessairement être une contrainte se trouvant déjà répertoriée sur le site Oudropo.com.

APPLICATION :

L’article 16-7 du Code civil « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle »
DEVIENT :

« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est possiblement nulle »

Autre exemple « les hitis tuent les titis » ?

COMMENTAIRE :

La contrainte du premier exemple est l’ajout d’un adverbe, cela change totalement le sens de la phrase ; cela montre que l’adverbe est le lieu de la réserve d’interprétation du juge

Quelle est la contrainte ayant donné : « les hitis tuent les titis » ? C’est la double contrainte de l’assonance et du changement de toutes les voyelles par une autre à partir d’un adage de droit fiscal : « les hauts taux tuent les totaux ». On passe d’un adage technique de droit fiscal à l’évocation d’un massacre Rwandais. La contrainte dramatise ici la règle initiale et en fait aussi une description plus qu’une prescription. Elle la dédramatise dans le même temps par l’évocation du dessin animé Titi et Gros Minet.

53.- Inventaire.

Par Viveca Mezey et Camille Porodou

DEFINITION :

L’inventaire vient de la liste des contraintes oulipiennes[31] et consiste à relever et présenter sous forme de liste un certain type de mots (adverbes, substantifs, verbes, adjectifs, etc.) dans un texte juridique, comme une loi, un décret, un traité international ou bien un article de doctrine.

APPLICATION :

L’article 640 du Code civil « Les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué. Le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement. Le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur »

DEVIENT :

– Substantifs : Fonds, eaux, main, homme, propriétaire, digue, écoulement, propriétaire, servitude, fonds.

– Adjectifs : Inférieurs, assujettis, élevés, inférieur, supérieur, inférieurs

– Verbes : Recevoir, découlent, contribué, peut, élever, empêche, peut, faire, aggrave

L’article 214-5 I du Code monétaire et financier « I. – Un OPCVM peut comporter un ou plusieurs compartiments si ses statuts ou son règlement le prévoient. Chaque compartiment donne lieu à l’émission d’une catégorie de parts ou d’actions représentative des actifs de l’OPCVM qui lui sont attribués. Par dérogation à l’article 2285 du code civil et sauf stipulation contraire des documents constitutifs de l’OPCVM, les actifs d’un compartiment déterminé ne répondent que des dettes, engagements et obligations et ne bénéficient que des créances qui concernent ce compartiment. L’Autorité des marchés financiers définit les conditions dans lesquelles la constitution de chaque compartiment est soumise à son agrément, ainsi que les conditions dans lesquelles est déterminée, en fonction de la valeur nette des actifs attribués au compartiment correspondant, la valeur liquidative de chaque catégorie de parts ou d’actions. »

DEVIENT :

– Substantifs : OPCMV, compartiments, statuts, règlement, compartiment, émission, catégorie, parts, actions, actifs, OPCVM, dérogation, stipulation, documents, OPCVM, actifs, compartiment, dettes, engagements, obligations, créances, compartiment, conditions, constitution, compartiment, agrément, conditions, valeur, actifs, compartiment, valeur, catégorie, parts, actions.

– Adjectifs : Représentative, attribués, constitutifs, déterminé, soumise, nette, liquidative.

– Verbes : peut, comporter, prévoient, donne, répondent, concernent, définit, est, est.

L’article mystère :

– Substantifs : fait, homme, autrui, dommage, faute.

COMMENTAIRE :

 

Même si l’évolution du style juridique – du Code civil de 1804 aux directives européennes – est visible sans aucune contrainte, l’inventaire permet de mettre en lumière le phénomène d’abstraction. La juxtaposition entre les substantifs de l’article 640 du Code civil, inchangé depuis 1804, et l’article L. 214-5, I du Code monétaire parle d’elle-même.

La liste de substantifs de l’article L. 214-5 I du Code monétaire et financier souligne un langage assez administratif et technique, très riche en termes juridiques.

Avec des articles connus, il peut être amusant de lister seulement un groupe de mots sans dévoiler le texte dans son ensemble pour vérifier si l’article demeure identifiable. L’article mystère ci-dessus en est une illustration : seulement les substantifs sont reproduits, mais l’article demeure identifiable pour la plupart de juristes (ancien article 1382 du Code civil, actuellement article 1240 du même code).

 

54.- Inversion des mots

Par Gaële Gidrol-Mistral et Camille Porodou

DEFINITION :

La contrainte consiste à inverser des mots dans un texte juridique.

APPLICATION :

L’article 915 du Code civil du Québec (CcQ) « Les biens appartiennent aux personnes ou à l’État, ou font, en certains cas, l’objet d’une affectation ».

DEVIENT :

 « Les personnes appartiennent à l’État, ou font, en certains cas, l’objet d’une affectation ».

L’article 947 CcQ « La propriété est le droit de jouir librement et complètement d’un bien sous réserve de la loi »

DEVIENT :

 « La loi est le droit de jouir librement et complètement d’un bien sous réserve de la propriété ».

COMMENTAIRE :

L’inversion des mots change le prisme de la règle.

Dans l’article 915, article novateur du droit civil québécois, qui dévoile deux modes de relations aux biens, la propriété privée ou l’affectation, l’inversion des mots « biens » et « personnes » a un effet déformant. La nouvelle rédaction ne pointe pas les personnes privées ou publiques mais une collectivité de personnes prise, non plus comme des titulaires de droits subjectifs, dont la propriété est le parangon, mais comme un tout indivisible formant une universalité de personnes. Par ailleurs le rôle de ces personnes placés sous le dominium de l’État ou affectées à une fonction sociale prend une coloration beaucoup plus objective.

L’écriture inversée de l’article 947, qui marquait un recul de l’absoluité de la propriété (le terme absolu du code civil du Bas-Canada ayant disparu) et mettait l’accent sur la fonction sociale de la propriété et les limites que la loi peut lui imposer, renverse également la perspective. La propriété n’est plus vue comme une condition de la liberté individuelle mais comme une limite de la liberté individuelle ; j’ai le droit de jouir librement de mes biens sauf si cette jouissance contrevient à la propriété des autres ; ma liberté est donc conditionnée par mon devoir, celui de respecter la propriété des autres.

La réécriture inversée de ces textes met en avant un modèle différent de celui du droit subjectif dans lequel ce ne sont plus les droits mais les devoirs des personnes, soumis à l’État, à une fin particulière et à la propriété, qui priment et impriment une fonction sociale aux biens et aux personnes. On se rapproche des thèses de Duguit…

 

J.

55.- Jauge

Par Camille Porodou

DEFINITION :

Cette contrainte consiste à créer et définir le concept juridique de « jauge ». L’étymologie, selon le dictionnaire historique de la langue française (A. Rey), vient du francique et vieux saxon galga verge ou perche pour mesurer, en suédois galié cintre, gallows, potence, galons. Le terme donne lieu à une métonymie puisqu’il exprime à la fois l’outil et l’unité de mesure.

APPLICATION :

Dans le dictionnaire Capitant : la jauge signifie tonnage d’un navire (jauge brute : capacité totale moins emplacements ; jauge nette : capacité utile au logement des passagers et marchandises). Le terme a été repris pendant la pandémie de la Covid-19 pour les espaces publics et collectifs (église, théâtre, université). La jauge est aussi l’espace vital exigé pour les salariés, on l’utilise pour le volume de radiation ionisante.

COMMENTAIRE :

Dans la partie réglementaire du Code du travail, se trouvent des normes techniques (ex. un article définit la poussière comme ce qui est inférieur à x microns). Cette partie du code concernant l’hygiène et la sécurité venait des ingénieurs. Le non-respect de la jauge ne donne pas lieu à sanction dans ce code, toutefois si l’employé tombe malade sans avoir bénéficié de l’espace imposé, l’employeur est responsable. Dans le monde du bâtiment tout est normé (ex. échafaudage). La norme technique se mue en norme juridique quand le non-respect de la première a provoqué un dommage. Dans la partie réglementaire du code du travail on trouve aussi des normes sur la hauteur des portes et la largeur des couloirs, le tout faisant partie d’une sorte de droit de l’ingénieur (fiche métier). Au départ, il s’agissait de normes techniques ou médicales puis, par dérogation, elles sont devenues davantage juridiques. Ainsi, en cas de contentieux sur l’exposition à la Covid on prendra en compte la notion de charge virale, i.e le nombre de virus à l’intérieur d’un cm3 d’air pour obtenir la reconnaissance de maladie professionnelle (pour les soignants notamment). Il n’existe pas de juridicité initiale mais celle-ci apparaît en prévention, en réparation ou en sanction. La jauge est l’espace vital exigé pour les salariés, on l’utilise pour le volume de radiation ionisante.

En Suisse, la jauge s’applique même dans le domicile privé.  Il y a aussi une jauge de bruit, puisqu’est interdite la musique qui s’entend de l’extérieur.  On observe ainsi un déplacement de la jauge vers l’espace privé.

Au Royaume-Uni, des interdictions très fortes concernaient l’espace privé (pas plus de 6 personnes à domicile) pendant la pandémie ; en Ecosse les invitations étaient interdites.

Dans la période de Covid-19 l’expressivité de la couleur a été employée par le gouvernement. La nouvelle carte des contaminations s’est ainsi décalée vers le rouge. De cramoisie, la couleur est devenue écarlate sachant qu’il s’agit de la couleur rouge la plus intense. D’où vient l’idée que le rouge est la couleur de l’interdit ? C’est une couleur politique qui symbolise la révolte. Il faudrait peut-être créer une jauge pour la loi, un tonnage de la loi.


K

56.- Kafka une norme dont on ne sort jamais

Par Frédéric Martin

DEFINITION :

Selon cette contrainte, un élément d’un texte juridique est rendu absurde par le reste de la phrase.

APPLICATION :

De nombreuses phrases du Procès de Kafka peuvent être tenues pour recélant une forme d’absurdité : « Tu vois, Willem, il avoue qu’il ne connaît pas la loi tout en prétendant qu’il n’est pas coupable. »[32]Par extension, dans Le Procès : Vous êtes condamné à ne pas savoir pourquoi vous êtes condamné.

En Flandre, on trouve une flopée de règles communales (les « GAS » pour Gemeentelijke Administratieve Sancties) qui paraissent ridicules. C’est le cas de la ville de Leuven qui sanctionne ses musiciens de rue s’ils jouent faux. Il y est aussi interdit par le règlement communal de secouer un arbre ou de faire plusieurs fois un même circuit avec un groupe de 10 cyclistes. En France, Brésil, Italie, Espagne, plusieurs villes ont été conduites à interdire de décéder sur leur territoire, faute de place dans les cimetières.

COMMENTAIRE :

Il existe en Common Law une Doctrine of absurdity. Le juge peut s’écarter d’un texte clair si son application à un cas donné pourrait entrainer des conséquences absurdes[33]. R. Cabrillac écrit par ailleurs : « Le même article 19 [de l’arrêté du 25 mai 2016 « fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat » (ouf !)] n’évoque pas les mentions pouvant être accordées au doctorant, qui permettent utilement d’échelonner la qualité des thèses. Aussi, beaucoup de jury de soutenance, encouragés par leurs Écoles doctorales, incorporent dans leur rapport une formule du style, « au vu de la qualité du travail présenté, si des mentions pouvaient être encore accordées, le jury aurait décidé à l’unanimité d’attribuer à la thèse présentée la mention très honorable avec les félicitations du jury ! Quel collègue n’a pas dû justifier cette formule ubuesque aux membres de la famille de l’impétrant venus assister à la soutenance, éberlués par ce byzantinisme » [34].

Les dispositions interdisant de se tuer dans une commune ne sont pas sans faire écho à la prohibition du suicide, longtemps sanctionnée d’une peine de mort symbolique.

Il est particulièrement délicat de caractériser l’absurdité d’une norme juridique. Elle est souvent confondue avec l’injustice, l’inefficacité ou le caractère obsolète d’une règle. En outre et comme l’indique la doctrine anglo-saxonne, l’absurdité procède souvent de conséquences absurdes d’une interprétation littérale d’un énoncé. Il n’en demeure pas moins qu’une règle, aussi absurde soit-elle, demeure valide. L’absurdité peut venir d’un texte mal rédigé ; elle peut aussi surgir d’une interprétation trop littérale… ou pas assez.

57.- Kelsen

Par Nissim Elkaim

DEFINITION :

 

La contrainte Kelsen consiste à imaginer la Grundnorm (la norme fondamentale supposée qui permet de déterminer si la norme immédiatement inférieure, en particulier une norme constitutionnelle, est valide).

 

APPLICATION :

 

Bertrand, car nous l’appellerons ici Bertrand, était arrivé à ce moment de la quarantaine – qui d’ailleurs a tendance à se déplacer maintenant plutôt vers la cinquantaine –  marqué par la crise et la remise en question. Bertrand avait passé une bonne partie de sa carrière académique à s’interroger sur les fondements. Des réponses, il en avait trouvé quelques-unes, mais il demeurait insatisfait. Il décida alors d’aller péleriner sur la tombe du célèbre juriste Hans Kelsen, en quête du fondement de tous les fondements : la Grundnorm. Pour agrémenter sa démarche il décida de jeûner plusieurs jours. Le premier jour de son pèlerinage il croisa Hubert, un collègue de promotion qu’il n’avait pas revu depuis des années, et qui était là par simple curiosité. Le second jour, il rencontra Justine, photographe, qui s’était mise en tête de faire un album photo sur les tombes des juristes célèbres. Le troisième jour, Hans Kelsen lui apparut en rêve et lui dit : « il n’y a pas de Grundnorm, interprète ceci comme tu voudras ! ». Bertrand devint très mal à l’aise et inconfortable. Cette révélation remettait en cause toute la première partie de sa vie. Il décida alors de changer de vie, et à la quête du fondement absolu, il substitua la devise carpe diem. Ce faisant, Hubert lui proposa de créer une société civile immobilière. Bertrand accepta et l’entreprise prospéra. Justine était belle, Bertrand lui fit la cour et ils se marièrent. Ce mariage fut heureux. Avec ce pèlerinage, Bertrand était devenu un autre homme : il était parti en quête du fondement absolu et était maintenant sur le chemin de la prospérité matérielle et du bonheur conjugal. Ses voisins ne manquèrent pas de le remarquer. Ils lui demandèrent quel était donc son secret. Il répondit qu’il n’y en avait pas, et que la quête du fondement premier était vaine. Ses voisins ne comptèrent pas s’arrêter là : ils le séquestrèrent et le soumirent à la question, pour reprendre un terme médiéval. Pendant trente jours, la réponse de Bertrand fut la même, et ses voisins redoublèrent de violences, persuadés que c’était là un bien grand secret que celui qui permet de résister ainsi à la souffrance physique. Heureusement, le GIGN arriva enfin pour libérer Bertrand qui, de nature robuste, finit par bien se rétablir.

 

COMMENTAIRE :

 

Les juristes, les philosophes, et peut-être tout homme, s’interrogent sur la question des fondements. De fil en aiguille, et à force de raisonnement récursif, la question du fondement premier finit par se poser plus ou moins rapidement. On peut l’appeler avec Kelsen Grundnorm, peu importe car cela n’est peut-être pas le plus important. Cette quête est une forme de quête d’absolu. Si on aborde la question de façon rationnelle, il semble que cela mène à une impasse logique et philosophique. Si en revanche, on formule la question de façon imaginaire, en utilisant la parabole, alors cela ouvre peut-être d’autres perspectives. Cela revient à questionner la puissance respective de la logique et de l’imagination, ainsi que la puissance du mythe et de son rôle dans la fondation de toute société.

À l’échelle individuelle, la prise de conscience par Bertrand de la vanité de sa quête d’absolu, lui permet finalement de devenir humain, et de s’engager sur un chemin plus concret ancré dans le présent et marqué par un certain nombre de succès. Certes, Bertrand abandonne ce faisant un certain nombre d’illusions, mais il a désormais conscience de sa propre finitude. Cela peut déranger ou interpeller fortement ses voisins fanatiques, qui eux préfèrent continuer à vivre dans l’illusion, l’absolu, ou le fantasme de secrets cachés, refusant par là-même d’accepter ce secret qu’il n’y a peut-être pas de secret…

L.

58.- Lipogramme

Par Gaële Gidrol-Mistral et Frédéric Martin

DEFINITION :

Cette contrainte consiste à proscrire une lettre dans un texte juridique et de le transformer afin de lui donner le même sens.

APPLICATION :

L’article 898.1 C.c.Q. « Les animaux ne sont pas des biens. Ils sont des êtres doués de sensibilité et ils ont des impératifs biologiques » sans la lettre B

 

DEVIENT :

« Les animaux ne sont pas des choses. Ils sont des êtres doués de sensations/sentiments/émotions et ils ont des impératifs organiques/vitaux ».

COMMENTAIRE :

Il est intéressant de noter que cette nouvelle rédaction est conforme à la version anglaise qui évoque « things » et non « property » à l’alinéa 1. Elle rétablit ainsi l’uniformité des traductions, l’alinéa 1 traduisant « biens » par « things » et l’alinéa 2 par « property ».

L’article réécrit met en avant une définition négative (ce ne sont pas des choses) puis une définition positive (ils sont des êtres doués de sensibilité). Mais le droit civil ne sait pas ce que sont des êtres doués de sensibilité (ou de sensitivité).

La substitution du mot « chose » au mot « bien » semble exclure les animaux de la sphère des objets de droits. En effet, si un bien est une chose appropriée ou appropriable, une chose au sens large peut ne pas être un bien. Ainsi les res communes ne sont pas des biens au sens techniques du terme de choses soumises au droit de propriété, mais des choses non appropriables. Dès lors, dire que l’animal n’est pas une chose le sort de la catégorie des objets de droits. Or, les catégories du droit civil étant binaires, la summa divisio choses/personnes impose que soit l’on est vu comme une chose, soit l’on est vu comme une personne. Pourtant, la catégorie juridique des personnes est la catégorie principale. Ainsi, ne sont des personnes que les entités juridiques qui remplissent certains critères. A défaut, tout ce qui n’entre pas dans la catégorie des personnes est une chose (catégorie résiduelle qui attire tout ce qui ne rentre pas dans la catégorie principale). L’article 898.1 réécrit envoie les animaux dans les limbes du droit puisque ce n’est pas parce que l’entité animée n’est pas une chose qu’elle devient une personne juridique.

Cette réécriture permet de s’interroger sur l’existence de droits sans sujet et de soulever la question de la possibilité pour des personnes, seules actrices du droit civil, de détenir, non plus des droits subjectifs, mais des pouvoirs qui leur permettent d’agir dans l’intérêt d’autrui ou dans un intérêt extérieur à leur propre intérêt. Ainsi, l’on pourrait agir pour les animaux par le mécanisme des pouvoirs juridiques. Cette forme d’objectivation du droit est certes le reflet d’une fonctionnalisation du droit mais elle met en avant l’idée de la fonction sociale des personnes responsables d’agir dans un intérêt extérieur à leur intérêt individuel. Enfin, la notion d’entité sensitive et les impératifs organiques permettent peut-être d’élargir le champ d’application de l’article aux robots. Philip K. Dick se demandait si les androïdes rêvaient de moutons électroniques. Dans l’article 898.1, les animaux rêvent sûrement d’humains juridiques sensibles…

59.- Lobby

     Par Alicia Mâzouz et Camille Porodou

     DEFINITION :

    Cette contrainte consiste à écrire une loi sous la pression d’un lobby (pharmaceutique ou de chasseurs, par exemples).

APPLICATION :

L’article 515-14 Code civil : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».

DEVIENT (Sous la pression du lobby des chasseurs) :

« Sous réserve de l’état des connaissances, les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité qui doivent être éliminés avec bienveillance ».

COMMENTAIRE :

L’article réécrit du point de vue du chasseur intègre une exception fondée sur l’état des connaissances et un principe peu juridique de bienveillance. Beaucoup de lois sont déjà rédigées sous la pression de lobbys qui écrivent la ratio legis, que ce soit le lobby des juristes, le lobby de la mode, le lobby des industriels de caméra ou le lobby du cinéma. La question est de savoir si la position du lobby transparaît dans les textes.

60.- LSD

Par A-L. Sterin

DEFINITION :

Il s’agit d’une adaptation au droit de la contrainte oulipienne LSD (littérature sémo-définitionelle) de Marcel Bénabou : on part d’une phrase que l’on reformule en remplaçant chaque terme de celle-ci, par un terme à peu près synonyme ou par sa définition ; on répète ce processus plusieurs fois, jusqu’à arriver à une tout autre phrase… qui n’a évidemment rien à voir. L’enjeu est d’arriver à une phrase cible qu’on se donne comme but, à partir d’une phrase source.

APPLICATION :

 Passer grâce à la contrainte LSD de la norme :

 « le masque ne sert à rien sauf exception » à

« le masque ne favorise aucunement sauf dérogation  » à

« le masque n’appuie nullement sauf dérogation » à

« le masque plaide pour le moins du monde sauf dérogation » à

« le masque défend au minimum ce qui est arrangé (étymologie de monde) sauf dérogation » à

« le masque garantit au bas mot les règles sauf dérogation »

« le masque légalisé nécessairement sauf dérogation »

 « le masque est obligatoire sauf dérogation ».

COMMENTAIRE :

Il y a un effet de psalmodie. On peut tweeter ce texte en en faisant un fil. Sans antonyme, on arrive pourtant à la proposition inverse.


M.

61.- Mâchonnage

Par Valérie-Laure Benabou

 

DEFINITION :

Il s’agit de « mâchonner » un mot juridique. Un mot est proposé par un oudropien et la personne suivante (autour de la table par ex.) sans réfléchir doit en avancer un autre.

APPLICATION :

1.- Tocqueville DEVIENT Québec démonstration de rue vision ville vilain moche poche pochothèque jeu pétanque cochon animal être humain humanité journal nanala mandala inde épice curcuma mâle malaise falaise foutaise foutoir bazar souk Maroc Algérie pays riquiqui kg thèse perdue retrouvée redonner tomber parti section division succession précédent ferme nature confiture insecte citronnelle élévation bulletin tintinnabulé, lévitation papalement socialement ridiculement  élément mentir tyran tirant d’eau tirbouchon bouchon de liège Liège Bruxelles chocolat suisse fondu papal garde suisse couleur local global localement agriculture durable rable du lapin pince sangria rire à gorge déployée ployée sous la contrainte

Autre mot : démocratie (Cette fois, chacun part du même mot). Démocratie DEVIENT démo des mots cratie cicra dé si crade des mots si crades crades les mots si des mots démodés Sidérant rance rentrer dans les rangs Démosthène démonstration démodés déjudiciarisée judiciaire jubilatoire démocratie dédédé désapprendre la démocratie, Oclocratie gilet jaune oclo toilette pouvoir des toilettes la fange de la foule de certaines paroles libérées ici, oh oh oh admiratif dans le pouvoir de l’oclo, le pouvoir close, Choderlos de Laclos cratire, la démocratie à l’heure, Poutine Tontine communautaire cratie Démocratie momo cracra cramé démocrate sissisisi mobiliers des mots modernes demandés démocratriser démoprocrastination Démocratie Police des mots durs et négatifs cratos cratère explosif par terre éther air mer mère cratère contient du vin l’ivresse de la foule est un problème de la démocratie

Enfin à partir du mot prédictif (dans l’expression justice prédictive) :

Prédictif prédicat prédit catéchisme le prédictif est tondu est presque dit  prédiction prédictif distillation fictif prédiction addictif près de typhen préditiphénomène le prédictif dictée prédisposé ; prédateur actif ; prédicateur, prédicacteur pré-dicton cactus prédicateur hâtif, mais sans cheveu, prédictunc ex tunc predict nunc ce qui se traduit par « prédire le alors maintenant »  Réunion devant, Icter panoptique, predicter dictum, pictogramme, prédictif, pignoratif, pré-diquer post justice, edicter que, post diquer.

COMMENTAIRE :

Dans cette situation de risque le mot « transpire », par exemple la démocratie débouche sur l’ivresse de la foule, prédictif aboutit à post justice.

62.- Mème juridique

Par Hélène Thomas et Gaël Mistral-Gidrol

Cette contrainte consiste à détourner une vidéo ou une image représentant un événement passé pour en faire un satyre et devient viral, vient de mimesis. Elle permet un apprentissage cognitif par l’imitation.

Oudro(m’aime pas de) po(t)

Oudropost

Où dropent les potes ? Rue Valette

Legally Blonde, Legally Oudropo (la vengeance d’une Blonde)

Oudropo,, diffuseur de droit potentiel depuis 2014

Oudropot : diffuseur de droit potentiel

Ourdou pote est une langue turcophone

Oudropo what else?

Oudroslogans

  • La seule règle est qu’il n’y a pas de règle.
  • Choisissez le droit avec contraintes
  • Sous les contraintes, les normes
  • Soyez Réalistes, Demandez la contrainte
  • Vivez sans temps et Oudropez sans entrave
  • How far would you go for an Oudropo,, ?

Gif (l’acronyme de Graphics Interchange Format, littéralement « format d’échange d’images ») est un format d’image numérique, à mi-chemin entre une image fixe et une courte vidéo. Inventé en 1987, ce format permet de stocker plusieurs images dans un fichier, à partir duquel on peut créer des brèves animations repassées en boucle. Le terme « Gif » peut être prononcé « jif » ou « guif » (comme dans « gitan » ou « guitare »). Les auteurs du dictionnaire d’Oxford University Press précisent que les développeurs qui ont conçu ce format utilisaient la prononciation « jif », mais qu’aujourd’hui les deux formes sont acceptées).

Est-ce qu’il existe des mèmes juridiques ?

Oudropo doux repos

La quine la grille de loto dans le sud-ouest, quine vient de 5

Oudropoème
A jeu lent, règles qui dropent

pas de dope dans mon pot

Verte quine puis doux repos.

Quand Oulipo p®mène, oudropo,, mène

63.- Métonymie

Par Camille Porodou

DEFINITION :

     Il s’agit de faire dériver un concept juridique par un lien logique entre le terme exprimé et le terme qu’il remplace. Il existe plusieurs sortes de métonymie : la métaphore, l’ellipse et la synecdote.

    APPLICATION :

     Par exemples, l’action comme agir est devenue un droit d’agir ; le contrat de procédure est utilisé pour un accord entre les parties et le juge alors que juridiquement il ne s’agit pas d’un contrat. La propriété est utilisée pour le droit de propriété comme pouvoir ou objet. Par ailleurs lorsqu’un avocat dit qu’il revêt la robe, il devient avocat.

Le préambule de la Constitution de 1958 indiquant que « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 »

DEVIENT :

« Le Français proclame solennellement son attachement aux Droits à et aux principes tels qu’ils ont été définis par la Déclaration, confirmée et complétée par le Préambule, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte ».

Ou

« La France proclame fermement solennellement son attachement aux Droits à et aux principes et à ses garantis tels qu’ils ont été définis par la Déclaration, confirmée et complétée par le Préambule, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte et le conseil constitutionnel aussi ».

COMMENTAIRE :

Le mot propriété renvoie à quelque chose de congruent alors que l’emploi du mot robe implique un contexte.  Dans la métaphore, il y a une rupture liée à l’imaginaire : la force et le lion. La métonymie de la propriété serait plutôt une synecdote. La coexistence de sens différent ne fait-elle pas la respiration du droit ? On se loge dans les interstices des normes quand on interprète.

64.- Modèle

Par Jean-Baptiste Jacob

DEFINITION :

 

La règle de droit trouve le critère de sa normativité, qui est en même temps l’un des critères de son concept, dans sa capacité à servir de référence pour la direction publique des conduites[35]. La règle de droit est ainsi normative car elle sert de référence à la mesure du comportement de l’individu – principalement dans le cadre de ses relations intersubjectives. Elle suppose une certaine conformité entre le comportement qu’on lui rapporte et les prescriptions qu’elle édicte.

Les travaux du Professeur Amselek[36] ont mis en lumière l’existence de deux grandes variétés d’étalons de référence ou de modèles.     Tantôt, l’étalon est concret et donne directement la mesure des choses qui lui sont rapportées c’est-à-dire qu’il incarne lui-même ce à quoi ces choses doivent être conformes[37]. C’est le cas, par exemple, en littérature, s’agissant des épreuves d’un article ou d’un ouvrage qui servent en quelque sorte de prototype à la publication en série de cet article ou de cet ouvrage. Tantôt l’étalon est abstrait et donne indirectement la mesure des choses qu’on lui rapporte et auxquelles il sert de référence[38]. C’est le cas des jauges[39] qui constituent des mesures abstraites permettant de servir indirectement de référence. Dans le premier cas, le rapport de conformité s’entend d’un rapport de reproduction à l’identique, dans le second cas, le rapport de conformité, s’entend d’un rapport d’adéquation, de compatibilité.

Il s’agit d’apprécier de quelle façon la règle de droit donne la mesure des objets. L’exercice vise ainsi à trouver des textes susceptibles d’incarner tantôt un étalon concret, tantôt un étalon abstrait.

APPLICATION :

  1. 3. III du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire : « Les rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public autres que ceux mentionnés au II mettant en présence de manière simultanée plus de six personnes sont interdits ».

La règle autorise théoriquement toute activité susceptible de mobiliser un nombre d’individus allant de 1 à 6 et interdit théoriquement tout évènement susceptible de mobiliser un nombre d’individus allant de 7 à ∞.

  1. 3. V du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire : « Aucun événement réunissant plus de 5 000 personnes ne peut se dérouler sur le territoire de la République ».

La règle autorise théoriquement tout évènement susceptible de mobiliser un nombre d’individus allant de 1 à 5000 et interdit théoriquement tout évènement susceptible de mobiliser un nombre d’individus allant de 5001 à ∞.

  1. 1 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire : « Afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d’hygiène définies en annexe 1 au présent décret et de distanciation sociale, incluant la distanciation physique d’au moins un mètre entre deux personnes, dites barrières, définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance ».

A la différence des deux règles précédemment rappelées, celle-ci apparaît encore plus directive du comportement de l’individu. L’annexe 1 à laquelle il est renvoyé fait la liste des comportements à adopter tels que « se laver régulièrement les mains à l’eau et au savon (dont l’accès doit être facilité avec mise à disposition de serviettes à usage unique) » ou encore « éviter de se toucher le visage, en particulier le nez, la bouche et les yeux ».

 

COMMENTAIRE :

 

Les règles de droit se présentent avant tout comme des étalons de référence abstraits. Ce qu’illustrent les exemples 1 et 2. Dans ces conditions, les règles de droit donnent bel et bien la « possibilité de l’avoir lieu »[40] des comportements humains. Les exemples 1 et 2 constituent ainsi des référentiels permettant d’indiquer les marges ou les degrés de possibilités pour l’action de l’individu qu’ouvre la règle de droit.

En instituant une jauge, ou une référence, la règle de droit prétend à la complétude puisqu’elle permet de réduire les cas qui lui sont rapportés à deux grands ensembles d’hypothèses susceptibles de relever de deux traitements juridiques différents.

On assiste néanmoins au développement d’un nouveau type de règle juridique, les étalons concrets. L’exemple 3 l’illustre qui s’attache à la détermination du savoir-être de l’individu. La règle vise à prescrire un certain comportement particulier de l’individu valable en tout lieu et en toute circonstance. Toutefois, le degré de précision de la règle nuit à sa pleine efficacité. Comment garantir la bonne observation de la règle prescrivant « d’éviter de se toucher le visage » lors d’une rencontre sportive par exemple ? Dans cet exemple, la règle ne fournit plus le référentiel permettant de donner « la possibilité de l’avoir lieu » des comportements humains mais fournit un modèle de comportement auquel l’individu doit directement conformer le sien. Elle n’indique plus « la possibilité » de cet avoir lieu mais au contraire le prescrit directement. Ce faisant, elle rend d’autant plus probable son non-respect.

À mesure que la règle de droit est plus précise, et qu’elle englobe le « micro-comportement » de l’individu, elle subvertit sa propre fonction. En effet, en favorisant proportionnellement son non-respect – puisqu’il n’est pas possible de régir l’ensemble des comportements « physiques » de millions d’individus – elle se voue à une nouvelle fonction, la fonction de promotion des comportements[41]. La règle de droit n’est alors plus véritablement obligatoire mais apparaît bien plus contraignante – et d’une contrainte d’un genre nouveau, souple, élastique, ductile.


· N.

65.- Nombre

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

Souvent dans les textes juridiques, des éléments viennent par deux. Pour sortir de cette logique binaire qui est une contrainte formelle, il peut être intéressant d’enlever un de ses éléments ou d’en ajouter un.

APPLICATION :

L’article 6-1 CEDH « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

DEVIENT :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

COMMENTAIRE :

Le résultat est plutôt plat, ce qui montre que l’usage de deux termes voisins renforce et précise le texte.

66.- Non conceptuel

Par Alicia Mâzouz et Nissim Elkaïm

DEFINITION :

La contrainte consiste à écrire un texte contraignant sans concept juridique. On peut parler de la contrainte non conceptuelle.

APPLICATION :

L’art. L. 341-10 al. 1 du Code monétaire et financier « Sans préjudice des règles particulières applicables au démarchage de certains produits, ne peuvent pas faire l’objet de démarchage : 1° Les produits dont le risque maximum n’est pas connu au moment de la souscription ou pour lesquels le risque de perte est supérieur au montant de l’apport financier initial. […] ».

DEVIENT :

« Aux innocents. Méfiez-vous de fourbes, venant chez vous en vendant des rêves, de l’or et du miel. Ces êtres outrecuidants sont priés de s’abstenir de vous importuner – chez vous, par téléphone, par papotage, par mail ou autrement -, dans l’intention d’ergoter, de vous proposer un investissement, une aventure financière, sans préciser le montant exact que vous risquez d’y engloutir. Pareillement, méfiez-vous des imposteurs ayant l’outrage de prendre tout votre argent, – votre seule fortune -, de le perdre et puis d’oser vous demander de payer encore plus. [N’oublions pas que certaines aventures spécifiques, particulièrement malheureuses, ne devront jamais vous être proposées.] [Cette dernière partie reflète la première phrase « Sans préjudice des règles particulières applicables au démarchage de certains produits » ».

 

Autre exemple de texte contraignant sans concept juridique : «Il s’agit de l’histoire d’un maître-nageur anonyme à la piscine de Sartrouville préoccupé par l’impossibilité récurrente d’en faire appliquer le règlement à ses usagers. Ledit maître-nageur anonyme partit méditer pendant 8 jours en haut du plongeoir de dix mètres. À l’issue de sa méditation, il eût la révélation tant attendue : supprimé les règlements truffés de concepts juridiques, et que personne n’applique ! Place désormais à une poésie tant aimée et retrouvée :

Si tu viens à la piscine sans ton bonnet

Les cheveux des autres usagers tu devras coiffer

Si tu rentres dans le bassin sans par le pédiluve être passé

Les pieds des autres usagers tu devras masser

Si un short à la place du maillot demandé tu as amené

En tenue d’Adam tu devras te baigner

Si des soucis la journée t’a amené

Malgré tout le sourire tu devras garder

Cette poésie par devers toi tu placeras

Afin de la méditer au lever et au coucher

Et par-dessus tout, dans la joie tu l’appliqueras.

Armé de son poème, le maître-nageur redescendit de son plongeoir, et prêcha afin que son poème fût appliqué. Contre toute attente, ainsi fût fait. Une communauté solidaire était née, dont la devise était : « le droit dans la joie ». Au-delà du territoire de la piscine se propagea cette nouvelle foi ».

 

COMMENTAIRE :

L’article L. 341-10 a été écrit dans le contexte historique de la loi du 8 août 1935 après la crise de 29, il était devenu nécessaire d’interdire des démarcheurs qui se présentaient au domicile notamment avec des titres étrangers en France (ex. emprunt russe). Il s’agit donc d’un texte qui vise à lutter contre les valeurs véreuses.

Concernant l’application du maître-nageur, il s’agit de faire une casuistique à la romaine sous forme de poésie et sous forme Si … alors.

67.- Nul

Par Romain Rousselot et Gaële Gidrol-Mistral

DÉFINITION

La contrainte consiste à créer une norme à partir de « nul », soit en inventant, soit en récrivant une norme, réelle ou fictive.

APPLICATION :

1.- La première loi de la robotique d’Isaac Asimov, issues de Cercle vicieux (1942), trad. P. Billon, in Les Robots, 1967 : « Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, en restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger »

DEVIENT :

 « Nul ne peut porter atteinte à un être vivant ou non dans l’univers ni, en restant passif, permettre que celui-ci soit exposé au danger. »

2.- En droit civil québécois, le législateur recourt au terme « nul » pour désigner « aucune personne ». L’article 10 C.c.Q. « Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité.  Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé »

DEVIENT (en mêlant le sens en France et au Québec de « nul ») :

« Nul est inviolable et a droit à son intégrité.

Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé ».

COMMENTAIRE :

Le problème fondamental de l’usage de « nul » est de savoir à qui cela renvoie. Cette locution est en effet un pronom indéfini que l’on utilise en remplacement d’un substantif. « Nul » est alors le plus souvent synonyme de « personne ».

Le terme « nul », tout comme les termes « personne » et « rien », est en réalité ambivalent en ce qu’il désigne à la fois une absence et une présence. Il signifie, d’une part, qu’il n’existe pas d’acteur pouvant faire quelque chose et, d’autre part, implicitement, il désigne certains acteurs.

De la même manière « personne » peut désigner un sujet précis, ou l’absence de ce sujet. Le cyclope Polyphème, dans l’Odyssée, en fit la désagréable expérience.

L’usage de « nul » repose en réalité sur une compréhension implicite des sujets désignés.

De manière générale, dans les textes juridiques, « nul » désigne l’être humain. Mais les exemples étudiés montrent qu’il est parfaitement possible d’étendre la signification de « nul » au-delà de l’être humain. « Nul » a alors une dimension très englobante.

 « Nul » pose la question de la définition du sujet de droit. En théorie, derrière l’ambiguïté de « nul », on peut étendre une règle à l’infini et intégrer les personnes morales et les animaux.

La première application ci-dessus en est l’illustration puisque les dispositions originelles des lois d’Asimov ne visaient que les robots. Or, leur réécriture protège tout être dont la personne humaine.

L’usage de « nul » soulève enfin des questions de traduction juridique. Ainsi, dans le code civil suisse, l’article 3 dispose que « Nul ne peut invoquer sa bonne foi […] ». Par contraste, la version allemande de cette disposition est « Wer bei der Aufmerksamkeit […] ». Or, le terme Wer à un sens beaucoup plus restreint que « nul » et sa traduction littérale serait davantage « celui qui ».

Dans la seconde application, l’expression « nul » a deux sens opposés. En effet, « nul » marque en général un principe impératif qui ne supporte aucune exception, il peut aussi exprimer l’absence de sujet. Si bien que dans la réécriture de l’article 10 CCQ, les deux nul s’annulent.

 « Nul ne peut » semble plus fort que « personne ne peut ». La désincarnation du terme « nul », qui ne réfère à personne (ou pas personne), soulève la question de son champ d’application. Peut-il s’appliquer à d’autres entités animées ou inanimées que les êtres humains de chair et de sang ou garde-t-il un sens technique ? Qui se cache derrière ce « nul » ? Est-ce « nul être humain » (ce qui exclut les personnes morales), « nul acteur juridique » (ce qui inclut les personnes juridiques, humaines et non humaines), « nul sujet de droit » (ce qui exclut les hybrides tels les animaux ou les robots) ou encore « nulle entité animée (ce qui inclut les robots, les animaux et même les éléments de la nature)? Le « nul » de l’article 10 inclut-il les personnes morales, les sujets de droits non personnifiés, les sujets hybrides tels les robots, les animaux, les fleuves et même les sujets passés ou futurs (morts, embryons) ?

O

68.- Olympe de Gouge

Par Nathalie Dion

DEFINITION :

Il s’agit de réécrire une déclaration de droit avec la contrainte Olympe de Gouges consistant à accroître les droits des êtres qui ont été oubliés par un ajout. Il convient de noter qu’Olympe de Gouge est une oudropienne par anticipation qui a complété la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en faveur des femmes avant d’être guillotinée.

 

 

 

APPLICATION :

 

Déclaration Universelle des Droits des Êtres Vivants (Humains, Animaux, Végétaux, Robots) de 2050 Préambule : « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la Planète – ou famille planétaire – (Humains, Animaux, Végétaux, Robots) et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde, Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits des Êtres Vivants ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience planétaire et que l’avènement d’un monde où les Humains, les Animaux, les Végétaux et les robots seront libres de s’exprimer et de rester en vie, libérés de la terreur, de la misère et de la destruction, a été proclamé comme la plus haute aspiration de la Planète, Considérant qu’il est essentiel que les droits des Êtres Vivants soient protégés par un régime de droit, Considérant qu’il est essentiel d’encourager le développement des relations amicales entre les Êtres Vivants, Considérant que les Êtres Vivants proclament leur foi dans leurs droits fondamentaux, dans leur dignité et leur valeur commune, dans l’égalité de leurs droits et qu’ils se déclarent résolus à instaurer de meilleures conditions de vie commune dans une liberté – et une conscience – plus grandes, Considérant que les États-Membres se sont engagés à assurer, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies, le respect universel et effectif des droits et des libertés fondamentales des Êtres Vivants, Considérant qu’une conception commune de ces droits et libertés est de la plus haute importance pour remplir pleinement cet engagement,

L’Assemblée générale Proclame la présente

Déclaration Universelle Des Droits des Êtres Vivants

Comme l’idéal commun à atteindre par toutes les nations afin que Tous les Êtres Vivants, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement, l’éducation, l’écoute et la bienveillance, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, tant parmi les Êtres Vivants des États-Membres eux-mêmes que parmi ceux des territoires placés sous leur juridiction.……

Art.  3 : Tous les Êtres Vivants ont droit à la vie, à la liberté, à la sûreté de leur personne et au respect. Le droit à la sûreté de la personne s’entend d’une interdiction de porter atteinte de façon individuelle ou massive, dégradante ou barbare à un Être Vivant, sauf si celui-ci expose un autre Être Vivant à un danger. Le droit au respect s’entend d’une écoute bienveillante éventuellement suivie d’actes positifs. On entend par acte positif la prise en compte des besoins fondamentaux d’affection, de dialogue, de compréhension, de reconnaissance et de sécurité.

COMMENTAIRE :

Cette contrainte procède d’une démarche englobante qui peut s’avérer visionnaire comme l’a été en son temps Olympe de Gouge. Cependant, se pose la question des contours du vivant : est-ce qu’un robot, un virus voire les espèces minérales pourraient être visés par cette déclaration ?

69.- Oudropo,,

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

La contrainte consiste à jouer avec le terme d’Oudropo,, pour créer du droit ou bien à définir ce qu’est l’Oudropo,,.

APPLICATION :

L’Oudropo,, est un moment de discussion au cours duquel l’on essaie de mobiliser un aspect du droit pour en comprendre les contours, afin de multiplier les points de vue. C’est un endroit où l’on mâchonne du droit, des mots sans chercher un sens définitif, un moment de liberté. C’est un espace horizontal, jubilatoire, créatif, imaginatif, libérateur dans lequel on ouvre des fenêtres. C’est un moment de respiration nécessaire alors précisément que les juristes s’en accordent assez peu. La perspective scientifique est inversée, on ne pose rien on découvre beaucoup, il n’y a pas de règle au début ou à la fin du raisonnement.

COMMENTAIRE :

En réalité, l’Oudropo,, est évolutif et ne peut être enfermé dans une définition. C’est un atelier de co-création du droit en devenir.

70.- Oukiballe

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

Il s’agit d’un mélange de chi qong, d’oudropo,, et de handball (mais aucune balle n’est nécessaire, l’oukiballe se pratique avec une balle imaginaire). Le point de départ est le choix d’un concept juridique émergent ou problématique comportant trois ou quatre consonnes.  On peut mobiliser un mot juridique ou potentiellement juridique dans l’air du temps (ex. Covid, urgence), de 3 consonnes (4 consonnes est l’idéal mais il convient d’être progressif et de commencer par 3). On peut aussi employer le nom d’un auteur (éventuellement pour se libérer de son autorité). Il est préférable de se placer en position de méditation debout (épaule et coude relâchées) en imaginant un ballon entre ses bras qui ne cesse de se gonfler et que l’on comprime de manière continue (soit les bras se rejoignent sans se toucher sous le nombril ou se situent au niveau du torse ou des hanches). L’exercice consiste à faire permuter les trois consonnes choisies avec les voyelles o,a,e,i,ou, en changeant de position au changement de voyelle de premier rang (dans covodo, la voyelle de premier rang suit le C). Chacun peut noter dans sa tête les mots qui peuvent faire sens en droit et les commentaires éventuels. Il s’agit d’expérimenter la rencontre entre le travail méditatif, corporel et celui des mots.

APPLICATION :

    Covid

DEVIENT :

covodo, covoda, covodé, covodi, covodou, covado, covada, covadé, covadi (Quo Vadix), covadou, covedo, coveda, covédé, covédi, covédou (doux ? d’où ?), covido, covida, covidé (vidé ?), covidou, covoudo, covouda, couvoudé, covoudou (vaudou ?) Cavodo, cavoda, cavodé, cavodi, cavodou etc.

Drone devient notamment darone, adorné, round, radon (tel une arme nucléaire).

COMMENTAIRE :

Au-delà de l’anagramme, cet exercice permet d’explorer toutes les facettes d’un terme juridique émergent et d’impliquer le corps dans la recherche de droit potentiel. L’oukiballe est devenu un mouvement sectaire composé de « un » membre (Camille Porodou a démissionné).


·  P.

 

71.- Paronomie

Par Gaële Gidrol-Mistral

DEFINITION :

Il s’agit de composer du droit à partir de mots juridiques, par approximation et par jeu de mot : « synallagmatique » devient : « s’il inhala la matrix » (procédé de J-P. Brisset).

APPLICATION :

L’effet déclaratif

DEVIENT :

 Les faits décoratifs

Personnalité

DEVIENT :

Personne alitée

Emphytéote

DEVIENT :

Amphi t’es hot (jeu de mots québécois !)

COMMENTAIRE :

Il s’agit d’une contrainte très libre qui fonctionne par association de mots, proche du langage des oiseaux. Elle a au minimum pour mérite de nous faire accéder à un autre regard, voire peut-être de désacraliser certains termes juridiques hermétiques comme « synallagmatique » ou « emphytéotique ».

72.- Pictogramme

Par Alicia Mâzouz

DEFINITION :

La contrainte consiste à expliciter la norme portée par un symbole.

APPLICATION :

Pictogramme 1

On peut adopter plusieurs interprétations possibles :
Interdit aux chiens ?

Interdit aux chiens noirs ?

Applicable exclusivement aux teckels ? ou au furet, ou encore un basset ou un cochon

Pictogramme 2 photographié dans la ville de Tianjin (15 millions d’habitants, à une heure de Beijing).

A gauche, en chinois, il est écrit qu’il faudrait que la compagnie  qui entend déverser un produit à cet endroit laisse son nom et son numéro. L’ensemble est signé par le bureau communal chargé de l’environnement. Il faut préciser qu’un lac artificiel se trouve à  200 mètres et qu’il existe un risque que le produit se déverse dans le lac.

Pictogramme 3

Typique de Montréal, celui-ci ne peut se comprendre que si l’on a la clef d’interprétation suivante : le panneau le plus haut est le plus général et l’emporte sur les autres. Le panneau indique que l’on ne peut pas s’arrêter devant (il y a une flèche). Le panneau du milieu signifie que l’on peut s’arrêter un peu devant ou derrière pendant une courte période à titre d’exception. Enfin le panneau du bas précise que, à titre d’exception et pour une portion de la rue, il est possible de stationner sauf derrière le panneau pendant les horaires indiqués.

Pictogramme 4

Photographié en Islande, il interdit tout jet de pièce quelle que soit la monnaie. Si l’on fait une interprétation a contrario, les billets seraient autorisés.

Pictogramme 5

Celui-ci a été photographié à l’Université de Montréal. Sur le panneau du haut, le mot toilette (par ailleurs au singulier contrairement au mot utilisé en France !) semble réserver le lieu aux personnes en situation de handicap quel que soit leur genre. En revanche, le panneau du bas mentionne une norme contraire ou opposée : cette toilette est accessible à tout le monde quel que soit son genre.

COMMENTAIRE :

Pictogramme 1 : les animaux sauvages sont-ils concernés ? Le symbole générique du chien n’est-il pas le     berger allemand ? Ou le berger australien ? Pourquoi le chien est-il le symbole de l’animal domestiqué ? Le « mal dessiner » conduit à s’interroger sur la clarté du droit. A partir de quand peut-on dire qu’une norme est « mal écrite » ou « mal dessinée » ?

Le pictogramme 4 se trouve sur le site géothermique de Geysir en Islande (le terme geyser vient d’ailleurs de ce lieu). Un autre panneau présent sur le site indique que le métal des pièces abîme l’environnement. Cette interdiction vise à contrer la pratique de jet de pièces dans un plan d’eau, réalisée à des fins religieuses ou de superstition. Ainsi, l’environnement exceptionnel de ce site naturel ne doit pas être perturbé par des interventions humaines.

Le pictogramme 5 nous invite à nous demander si l’explication d’un panneau ne suscite pas plus de difficulté que son absence.

73.- Pitch.

Par Hélène Thomas et Valérie-Laure Benabou

DEFINITION :

La contrainte a pour objet la figure de la justice dans une série (ex Game of Thrones) exprimée dans un texte ne dépassant pas la longueur d’un pitch sur Allociné.

APPLICATION :

Justin et Justine sont deux jumeaux nés de leur mère Ray qui a accouché sous x après que le père l’ait quittée. À la naissance, ils pesaient exactement le même poids au milligramme près et mesuraient la même taille au millimètre près. Tandis que Ray part à Sion, un savant fou conçoit de les couper en deux et de les ajouter si bien que chacun est l’exacte moitié de l’autre. Puis ils furent immédiatement séparés. Depuis chacun cherche à se reconstituer.

COMMENTAIRE :

L’application ci-dessus est le pitch d’une série imaginaire. L’exercice pourrait aussi être fait pour une série existante.

Comme les personnages de cette série, le doctorant cherche sa moitié, l’unité perdue. On peut aussi considérer qu’une moitié de la thèse cherche l’autre moitié pour pouvoir former un plan en deux parties. De même, Platon dans le Banquet évoque le mythe de l’homme double qui explique que chacun recherche son autre moitié une fois séparé. Ce pitch faisant référence à une figure de la justice peut aussi être vu comme une sorte de critique de toute la série.

74.- Poème juridique dans le métro

Par Alicia Mâzouz et Camille Porodou

DEFINITION :

 

La contrainte est la suivante : le temps d’un court trajet de transport en métro, en tram ou en bus, il convient de rédiger un poème juridique, de préférence sans manquer sa station. Toutefois, si à l’instar de l’expérience que j’ai moi-même vécue, happée par sa réflexion, l’on oublie de descendre, alors il est possible de réaliser la deuxième partie de cette contrainte, passer du poème à la norme.

APPLICATION :

Le poème juridique : matin nuage

« Alors que les relations contractuelles se s’étaient déroulées sans nuage

La poussière des rails altéra la douceur du voyage.

Mais dans le silence blanc d’un matin quotidien,

Indifférents aux particules, les passagers parcourent du bout des mains,

Des écrans infinis dessinant sur la toile étoilée des milliers de données.

Libérés des entrailles de Paris,

C’est un nuage trop bas qui cueillit les passants lassés de toutes ces ombres.

Faut-il un pamphlet ou une loi,

pour nous délivrer de ces nuages-là ? »

 

Du poème à la norme : la sanction des nuages

« Tous les nuages assombrissant les relations contractuelles et extracontractuelles devront nécessairement faire l’objet d’une interdiction de circulation par l’autorité habilitée ».

COMMENTAIRE :

La langue juridique est bien entendue caractérisée par une rigueur et une précision nécessaires dans le choix des mots. D’aucuns considèrent alors que ces caractéristiques ne pourraient pas la rendre compatible avec la poésie. Sans doute le texte de loi poursuit-il avant tout un objectif de clarté mais ceci nous semble conciliable avec l’esthétique de la langue, la quête d’une certaine sonorité, d’un rythme.

Bien entendu, l’exemple proposé n’est pas juridiquement convaincant, non pas tant en raison de la forme retenue que de la ratio legis : interdire les nuages, voilà bien une fiction juridique ambitieuse. Mais les juristes ne se plaisent-ils pas à inventer et réinventer le réel redessinant les contours des réalités humaines ?

 

75.- Points de suspension

Par Nathalie Dion et Clarisse Wallerand

Définition

La contrainte consiste à de réécrire un texte de loi en y insérant des points de suspension.

Application :

L’alinéa 1 de l’article 534 du Code civil dispose :

« Les mots « meubles meublants » ne comprennent que les meubles destinés à l’usage et à l’ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature ».

DEVIENT :

« Les mots « meubles meublants » ne comprennent que les meubles destinés à l’usage et à l’ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges ».

Le placement de à la fin de cet alinéa laisse entendre que la liste d’objets correspondant à cette définition est encore longue. Il permet également de substituer les termes utilisés par le Code civil dans l’alinéa « […] et autres objets de cette nature ».

L’alinéa 1 de l’article 9 du Code civil « Chacun a droit au respect de sa vie privée »

DEVIENT :

« Chacun a droit au respect de sa vie privée ».

Commentaire :

Le premier exemple montre que l’ajout des points de suspension n’est pas neutre. Il sous-entend que les lecteurs sauront quels autres types de meubles pourraient être inclus dans cette énumération.

L’insertion de   dans le second exemple après « Chacun » souligne que, comme toute personne, les personnes publiques (exemples : les artistes, les célébrités…) ont droit au respect de leur vie privée sur le fondement de l’article 9 du Code civil.

L’insertion de après « vie privée » sert à montrer que le champ de celle-ci est vaste : domicile, intimité, droit à l’image, etc.

Plus généralement, les points de suspension peuvent avoir de multiples significations. Ils indiquent notamment qu’une phrase (une situation) est laissée inachevée, un prolongement inexprimé de la pensée, une hésitation ou détachent un terme pour le mettre en valeur (M. Grévisse, Le bon usage). Chacun se souvient du célèbre « J’Accuse… ! »  de l’article rédigé par Émile Zola au cours de l’affaire Dreyfus.

Ainsi, les points de suspension peuvent donc apporter un certain nombre de nuances à une phrase. Par l’application de cette contrainte au Droit, on observe qu’il est possible de faire dire davantage de choses à la disposition à laquelle on les ajoute. Toutefois, en légistique on déconseille les points de suspension qui génère de l’incertitude.

76.- Perverbe

Par Dorothée Simonneau et Nathalie Dion

DEFINITION :

L’objet de cette contrainte inspirée de celle de l’OULIPO « perverbe » entend « associer deux ou plusieurs morceaux de proverbes ou locutions latines juridiques » ou, pour aller plus loin, créer un proverbe « perverti », constitué par l’association du début d’un premier proverbe source et de la fin d’un deuxième.

APPLICATION :

  1. « L’utilité du droit n’est pas une subtilité inutile » est le résultat du croisement entre « apices juris non sunt jura » et de « utile per inutile vitiatur » autrement dit « les subtilités du droit ne sont pas le droit » et « l’utile n’est pas vicié par l’inutile ».
  2. « En mariage trompe qui peu » et « une fois n’est pas coutume » devient « En mariage trompe qui peu, une fois ».
  3. « Jura novit curia » et « Da mihi factum, dabo tibi jus ». DEVIENT :

« Facta novit curia » (la cour connaît le fait) ou

« jura novit factum » (le fait connaît le droit) ou bien

 da mihi ius, dabo tibi curia (donne-moi le droit je te donnerais le tribunal).

  1. « Nul ne peut se faire justice soi-même » et « Les conventions des particuliers ne peuvent pas déroger au droit public »  deviennent « Nul ne peut déroger au droit public ».
  2. « Qui ne dit mot consent » et « Nul n’est censé ignorer la loi » devient « Qui ne dit mot n’est pas censé ignorer la loi ».
  3. « La peine est injuste si elle est inutile, ou si elle est trop sévère » et « Le doute profite à l’accusé » devient « La peine est injuste si elle profite à l’accusé ».

COMMENTAIRE :

 

Les résultats donnent une impression d’étrange familiarité. La connaissance du latin se perdant, on ne retient plus que le début des adages et l’on peut très bien ajouter le bout d’un autre adage sans que beaucoup ne s’en aperçoivent. Il faut dire que le latin, qui n’impose pas de place aux mots, se prête particulièrement aux inversions et déplacements. Les adages en latin, qui donnent l’impression d’être plus vrais qu’en français alors qu’ils ne datent parfois que du 19° siècle, peuvent ainsi ouvrir de nouveaux horizons.

Les adages en anglais peuvent subir le même sort :

justice delayed, justice denied + Think global, act local = think glocal, justice denied (commentaire : il semblerait que penser exclusivement globalement empêche toute justice)

ou bien

 justice delayed, act local (commentaire : si la justice n’est pas rendue à temps, il convient d’agir localement).

77.- Préverbe

Par Dorothée Simonneau et Nathalie Dion

DEFINITION :

La contrainte consiste à modifier le préfixe d’un terme juridique pour créer un nouveau concept juridique. Le préfixe est un élément qui se place à l’initiale d’un mot et qui en modifie le sens.

 

APPLICATION :

 

Le préfixe Dé vient de « dis » qui (en latin) marque l’éloignement et la séparation. Donc, en droit : déjudiciariser signifie l’évitement de l’intervention du juge. La déjudiciarisation est l’effet inverse de la judiciarisation (propension à privilégier le recours aux tribunaux).

Les juridictions doivent simplifier l’expression « ester en justice » trop archaïque. Décliner avec des préfixes, cela donne :  pester en justice, délester ou lester en justice, rester en justice.

 

COMMENTAIRE :

 

Pester en justice serait assez parlant pour les justiciables mais traduit une sorte d’inefficacité. On se satisfait de pester, mais on n’attend pas que justice soit faite. On est donc délesté de la justice. Il vaudrait mieux « rester » en justice avec le risque de devenir un quérulent processuel qui ne sait plus comment « sortir » de la justice.

78.- Principe (invention de)

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

Inventer un nouveau principe juridique à partir d’une liste de valeurs.

APPLICATION :

La bienveillance dont on nous rebat les oreilles dans la presse, est un principe en matière d’éthique médicale. Il est nommé principe de bienveillance par des sociologues (Dubet). Il a même été cité comme principe par un maître des requêtes au Conseil d’État (Bretonneau RFDA 2016, 740 affaire Gonzalès). Il semble que la bienveillance fasse partie de l’obligation de réserve du juge qui est classée parmi les principes directeurs du procès (article de P. Julien dans les mélanges Sortais). Il semble que la bienveillance soit attendue comme engagement spécial par tout contractant, par tout juge, par toute administration. On a bien là les linéaments d’un principe juridique (2000 occurrences sur la bienveillance rien que sur la base Dalloz), mais il apparaît souvent comme un anti principe, une façon discrétionnaire de ne pas respecter les principes à la lettre (le terme de bienveillance n’est pas dans le vocabulaire Cornu).

Par ailleurs, il est prévisible que va se développer un principe d’instantanéité dans les échanges électroniques (voir la jurisprudence de la Cour de cassation sur la communication simultanée des pièces avec les conclusions d’appel, pas si simultanée d’ailleurs puisqu’il faut respecter le principe du contradictoire) alors même qu’elle n’est jamais dans les listes de valeurs disponible sur Internet. Un principe voisin mais distinct qui pourrait de développer est un principe de spontanéité (de la communication des pièces, de la dénonciation calomnieuse, de la gestion d’affaire, de la saisie attribution, de débats parlementaires, des témoignages, de l’aveu, du oui au mariage, etc.). C’est un principe qui implique d’agir volontairement et rapidement garantissant ainsi une certaine sincérité et véracité. Une recherche approfondie permettrait de savoir s’il s’agit d’un principe ou d’un concept juridique.

Listes de valeurs (à partir d’une compilation de listes de valeurs disponibles sur Internet) : Conformité, Confort, Congruence, Connaissance, Conscience, Continuité, contribution, Contrôle, Conviction, Convivialité, Coopération, Cordialité, courage, Courtoisie, Créativité, Crédibilité, Croissance, Curiosité, Découverte, Démesure, dépassement de soi, Désir, Détente, détermination, Devoir, Dévotion, Dextérité, Dignité, Diligence, Direction, Discipline, Discrétion, Disponibilité, Diversité, Divertissement, Dominance, Donner, Douceur, Dynamisme, Éclat, Économie, Éducation, Efficacité, Élégance, Empathie, Encouragement, Endurance, énergie, engagement, Enjouement, Enseignement, enthousiasme, Entraînement, Épargne, Équilibre, Espoir, Éthique, Être le meilleur, Euphorie, Exactitude, Excellence, Excitation, expérience, Exploration, Expressivité, Extase, Extravagance, Extraversion, Exubérance, Facilité, Faire une différence, Famille, Fascination, Férocité, Fiabilité, Fidélité, Fierté, Finesse, flexibilité, focus, Foi, force, Force de persuasion, Fraîcheur, Franchise, Frugalité, Gaieté, Galanterie, Générosité, Gentillesse, Gloire, gratitude, Habileté, Harmonie, Honnêteté, Honneur, Hospitalité, Humilité, Humour, Hygiène, imagination, Impact, Impartialité, Importance, Indépendance, Individualité, Infiltration, Ingéniosité, inspiration, Intégrité, Intellect, intelligence, Intensité, Intimité, Intrépidité, Introspection, Introversion, Intuition, Intuitivité, Investisseur, Inviolabilité, Joie, Jouissance, Justice, L’autonomie, L’environnementalisme, L’indépendance financière, leadership, Légèreté, Liberté, Lien, Logique, Longévité, Lucidité, Maîtrise, Maîtrise de soi, Majesté, Mariage, Maturité, Minutie, Modestie, motivation, Mystère, Nature, Nerf, Obéissance, Opportunité, Optimisme, Ordre, Organisation, Orientation, Originalité, Ouverture d’esprit, Paix, Partage, Partenariat, Participation, Passion, Patience, Perfection, persévérance, Persistance, Perspicacité, Philanthropie, Piété, Plaisir, Ponctualité, Popularité, Pragmatisme, Pratique, Précision, Présence, Préservation, Prévenance, Proactivité, Professionnalisme, Profondeur, Propreté, Prospérité, Proximité, Prudence, Puissance, Pureté, Raison, Rationalité, Rayonnement, Réalisme, Reconnaissance, Réflexion, Réputation, Résistance, Résolution, Respect, Respect de soi, responsabilité, Rêver, Richesse, Rigueur, Ruse, Sacrifice, Sagesse, Santé, Satisfaction, Science, Sécurité, Sens, Sensibilité, Sensualité, Sérénité, Service, Sexualité, Sexy, Silence, Simplicité, Sincérité, Soin, Soin méticuleux, Solidarité, Solidité, Solitude, Sophistication, Soulagement, Soutien, Spiritualité, Spontanéité, Stabilité, Statut, Structure, succès, Suprématie, Surprise, Sympathie, Synergie, Traditionalisme, Tranquillité, Travail d’équipe, Unicité, Unité, Utilité, valeur, Vérité, Vertu, Victoire, Vigilance, Vigueur, Vision, Vitalité, Vitesse, Vivacité.

COMMENTAIRE :

Peut-on inventer (au sens de découvrir) un principe juridique ? Toute valeur morale ne serait-elle pas susceptible de devenir un principe juridique ? Il existe de nombreuses listes de valeurs sur Internet (en tapant « liste de valeurs » voir ci-dessus une compilation non organisée) sans qu’aucune ne se soit exhaustive. On n’y trouve déjà certains principes existants (loyauté, sécurité, égalité, etc.). Peut-on y déceler les principes de demain ? En faisant une recherche par mot clef de valeur sur une base de données juridiques (Legifrance, LexisNexis, Lextenso, Dalloz, autres), on peut peut-être en trouver quelques-uns.  On peut ainsi noter l’émergence d’un principe de sérénité des débats et de la justice (v. Mél. Verkindt, Lextenso, 2022). Ce serait déjà un résultat de pouvoir dire que telle valeur ne donne pas lieu à un principe juridique ou que telle valeur pourrait potentiellement devenir un principe mais est faiblement utilisée. Il n’est pas impossible aussi que certains principes jouent un rôle paradoxal en permettant de poursuivre un bénéfice caché. Ainsi, le principe de sérénité de la justice, s’il existe bien, paraît recouvrir un accroissement des pouvoirs du juge en élargissant les possibilités d’exception à la publicité des débats.

79.- Prisonnier

Par Dorothée Simonneau et Pierre-Yves Verkindt

DEFINITION :

 

La contrainte du prisonnier a été inventée par l’Oulipo. Ne disposant que d’un minuscule bout de papier, le prisonnier envoie un message en évitant toutes les lettres à jambages ; il ne peut donc utiliser que : a, c, e, m, n, o, r, s, u, v, w, x, z et éventuellement le i et les accentuations sur les voyelles à, ù, ô. Lui sont donc interdites les lettres suivantes : b, d, f, g, h, j, k, l, p, q, t, y. Acculturée à l’Oudropo, cette contrainte suppose de réécrire un texte de loi en utilisant la contrainte suivante : n’employer aucun b, d, f, g, h, j, k, l, p, q, t et y.

 

APPLICATION :

L’article 2274 du Code civil : « La bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver »

DEVIENT :

 « Sans source, nous avons cru à une vision sincère ».

COMMENTAIRE :

 

 La contrainte est extrêmement difficile et le résultat appelle 1) un constat et permet 2) de tirer quelques enseignements utiles sur le plan légistique et enfin d’observer 3) que le texte nouveau se rapprocherait mieux de l’idée initiale s’il se faisait moins loquace.

1 ) Le constat : le texte sort totalement méconnaissable de la mise en œuvre de la contrainte. Celui qui le lirait sans connaissance du texte source n’est pas en situation d’imaginer que ce dernier porte sur la présomption de bonne foi. Il ne peut faire l’objet d’une interprétation juridique. Le seul moyen d’en tirer une idée serait de disposer les étapes successives par lesquelles le texte est passé pour arriver à sa formulation ultime. En d’autres termes, l’historique de l’élaboration du texte est une condition de sa compréhension.

2) Les enseignements. Un texte doit pouvoir se comprendre indépendamment de sa genèse (contra la contrainte Étymologie où l’étymologie fausse et inventée diffuse quand même du sens).  Un texte juridique clair est celui dont on n’a pas besoin de connaître les étapes de construction pour le comprendre. Mais cette proposition est-elle elle-même valide ? Les travaux préparatoires d’un texte juridique sont-ils sans intérêt ? La réponse à la question sous l’angle de la « validité » (Kelsen) est assurément affirmative : un texte qui n’a pas besoin d’interprétation pour être compris mais valide au regard de la hiérarchie des normes est un texte de droit clair.

3) Observation. A défaut de reconnaître dans le nouveau texte l’article 2274 du Code civil, il est possible de redonner du sens à la nouvelle version en supprimant les mots « cru à ». Il devient alors « Sans source [donc sans information sur l’origine] nous avons une vision sincère ». Ce qui signifie que l’analyste (ou celui qui doit appliquer le texte) peut le contextualiser par rapport aux autres textes au moment où il agit mais doit l’aborder abstraction faite de son histoire.

80.- Procédé de Roussel.

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

 Le procédé de R. Roussel (1877-1933) consiste à partir d’une phrase banale et a remplacé des mots par des mots qui s’en rapprochent du point de vue de la sonorité : « Là je me suis servi de la chanson « J’ai du bon tabac ». Le premier vers : « J’ai du bon tabac dans ma tabatière » m’a donné : « Jade tube onde aubade en mat (objet mat) a basse tierce. » On reconnaîtra dans cette dernière phrase tous les éléments du début du conte » (R. Roussel, Comment j’ai écrit certains de mes livres, 1935, Publie.net, 2013). Si on applique le Procédé au droit, on peut chercher des sonorités approchantes dans le vocabulaire du droit à partir d’une phrase banale (exemple 1 et 3), ou bien à l’inverse partir d’une règle de droit pour essayer d’en faire une autre correcte du point de vue de sa structure (exemple 2) si ce n’est dans son sens.

APPLICATION :

Exemple 1. J’ai du bon tabac dans ma tabatière. Avec les mots juridiques sonnant de manière approchée, cela donne « L’aide juridictionnelle du comptable abonda les dommages et intérêts du tiers ».

 Exemple 2. Art. 143 CC « Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe » donne « L’amarrage-éco du tracteur pardonne la persienne au décès dudit fruit aux dames des axes ».

Exemple 3. Partir d’un texte banal d’aujourd’hui « On a besoin de pluie en ce moment » On obtient les mots suivants : « Hors norme brevet poursuite sous serment », ce qui donne : « Le brevet hors norme est poursuivi sous serment ».

Exemple 4. Phrase de départ : « sur la route aussi prenez soin de vous », vue sur l’autoroute par temps de Covid-19 avec une allusion évidente mais un tant soit peu hygiéniste ; cela donne :

Sur la route aussi, toute la sainte journée (Référence au tube de de Palma)

Sur la route aussi premiers soins des fous (fous du volant)

Dans le doute aussi, emprisonnez-les tous

Dans la foule aussi, prenez les biens communs pour vous

Dans le brouillard aussi, foncez droit devant vous

Ce qui donne pour finir :

Sur la route du souci, partez loin de chez vous

Ou bien

Assurez votre route, partez sans souci

COMMENTAIRE :

Grâce à ce procédé, Raymond Roussel a écrit plusieurs textes (particulièrement Locus Solus, 1914, Garnier-Flammarion, 2005 et Impressions d’Afrique, 1910, Garnier-Flammarion, 2005) édités à compte d’auteur (il était riche) relativement mystérieux qui ont intrigué les surréalistes, les pataphysiciens, les oulipiens et Foucault (v. « Raymond Roussel », 1963, Gallimard). De passer du sens au son conduit à une dispersion du sens et aussi à des sens plaqués les uns à la suite des autres. Il arrive que les correcteurs et dictionnaires automatiques proposent des phrases sans sens du même type. Pourrait-on un jour utiliser le procédé de Roussel sous forme d’algorithme pour éviter, justement en les prévoyant, les dérives du sens d’une phrase juridique ? Le Procédé permet de prendre conscience que dans la phrase (exemple 4) « sur la route aussi prenez soin de vous », le « aussi » renvoie à une évidence pour doubler une recommandation qui fonctionne avec le soin. Aussi et soin ont la même sonorité, ce qui permet de doubler la recommandation dans les deux sens, et ce n’est pas loin d’un point de vue sonore de souci. Il y a aussi une référence culturelle à Kerouac, sur la route.

81.- Proxémie + 5

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

Proxémie + 5 (appelée aussi P + 5) : remplacer dans une règle de droit les adjectifs, substantifs et verbes à partir du 5° mot le plus proche dans la liste se trouvant dans la catégorie proxémie du CNRTL.

APPLICATION :

Article 1240 CC : Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

DEVIENT :
Avec proxémie + 5 : Chaque pique diverse du diable, qui explique à autrui une avarie, brusque celui par la glissade duquel il est aquati à la ressemeler.

COMMENTAIRE :

Le 5° rang de proxémie reste proche tout en s’éloignant du mot, si bien que la nouvelle règle se comprend encore mais prend une tournure mystique dans l’application qui en est faite puisque le diable serait ainsi derrière toute faute de l’homme. Mais la nouvelle règle devient aussi burlesque en faisant référence à une glissade et à une chaussure qui a perdu sa semelle. On passe ainsi du tragique au comique. Le procédé permet aussi de diversifier son vocabulaire (en particulier le verbe aquatir : se poser sur l’eau avec un hydravion, proxémie + 5 d’arriver), ce qui fait encore référence à une glissade. Le procédé paraît donc faire glisser la règle de l’article 1240 CC vers le domaine liquide (ce qui n’est pas sans faire penser à la contrainte liquide développée par M. Bernardot, à paraître dans la 3° anthologie).

·  Q.

82.- QR code

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

 

DEFINITION :

Le QR (quick response) est un code à deux dimensions. Il est utilisé pour éviter de toucher des appareils en faisant un code (ex. pour déverrouiller un vélo de location). La contrainte consiste à écrire du droit dans les espaces blancs du QR code. Ainsi, on peut remplacer les espaces blancs par des lettres d’une norme. On peut lire et transformer la règle en comblant les blancs selon un mode circulatoire, horizontal et/ou vertical.

APPLICATION :

 ubi societas ibi ius écrit dans un QR code

(Il n’y a pas de société sans droit)

DEVIENT :

Ubi constrintus ibi ius potentium

L’adage de l’oudropo,,

Il n’y a pas de droit potentiel sans contrainte

COMMENTAIRE :

Cette contrainte fait penser au prénom écrit sur un grain de riz ainsi qu’au jeu carré avec des lettres à déplacer. Quel est l’intérêt d’inscrire une norme dans un QR code ? Cela permettrait de revenir à la force initiale d’un texte fondamental, de réfléchir et de s’opposer à la densification des normes. Par ailleurs, le droit étant très dispersé, le QR code permet de synthétiser le droit. Écrire dans le QR code permet de ne pas se perdre dans la législation pour éviter de s’éparpiller. Le lien hypertexte du QR code ainsi que sa condensation peuvent contribuer à la réflexion sur l’encodage, notamment si l’on se dirige vers un codage de la question/réponse en droit pour permettre à tout citoyen d’accéder au droit en posant la question qui le concerne. Est-ce que le QR code est compatible avec le droit ? Le pass sanitaire n’est pas du droit, mais une preuve rapide que son titulaire (plutôt d’ailleurs son détenteur) n’est pas malade. Il opère une description et non pas une prescription. Il fait penser aux étiquettes des animaux que l’on envoie à l’abattoir. Mais la norme est aussi du fait, une évaluation prescriptive, une qualification d’être. Selon ce point de vue on pourrait considérer le QR code condensant un pass sanitaire comme une forme de décision individuelle indiquant que son détenteur est libre de ses mouvements. Un fait divers significatif : un consommateur dans un restaurant qui refusait de montrer son pass sanitaire a tué le restaurateur. Le QR code est peut-être du non humain qui incite à des actes criminels. Il soulève une question de traçabilité et indique si son détenteur a été malade, vacciné, une fois, deux fois, trois fois, etc. C’est une trace du non droit dans le temps. Un restaurateur lisant le QR code se dit « je peux tout savoir sur mes clients » et ouvrir ainsi un dossier de surveillance. Au Québec, il y a une obligation de contrôler une pièce d’identité en plus du pass (l’utilisation de l’anglais pass renforce sans doute le caractère sympa du procédé), mais en France restaurateur et contrôleur de la SNCF ont mis à mal le droit en refusant de faire des contrôles. La SNCF a envoyé un SMS proposant d’associer billet et pass-sanitaire. Elle contourne ainsi l’humain qui désobéit à la règle. Ce procédé est présenté comme simplifiant la vie et garantissant sa sérénité. On atteint ainsi le sommet de la société de surveillance : « tu le fais pour être libre ». Ce qui peut donner en acronyme inscrit sur un QR code : QR+CGV = QR et conditions générales de vente ; pourquoi pas QR + TGV= QRTGV et QRTER pour les TER sans ignorer le QRAIL, pour les quelques trains corails qui circulent encore. Le procédé de la SNCF est une forme d’intersection entre deux règles et donc d’aiguillage, nous ne sommes plus loin de l’aiguille du vaccin.

 

 
 

·  R

 

 

83.- Réécriture d’arrêt en langage courant.

Par Frédéric Martin

DEFINITION :

La contrainte consiste à réécrire un arrêt en langage courant : récit ou description.

APPLICATION :

La version d’origine de l’arrêt Morsang-sur-Orge (CE, 1995-10-27) est la suivante : « Vu la requête enregistrée le 24 avril 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’État, présentée pour la commune de Morsang-sur-Orge, représentée par son maire en exercice domicilié en cette qualité en l’hôtel de ville ; la commune de Morsang-sur-Orge demande au Conseil d’État :

1°) d’annuler le jugement du 25 février 1992 par lequel le tribunal administratif de Versailles a, à la demande de la société Fun Production et de M. X…, d’une part, annulé l’arrêté du 25 octobre 1991 par lequel son maire a interdit le spectacle de « lancer de nains » prévu le 25 octobre 1991 à la discothèque de l’Embassy Club, d’autre part, l’a condamnée à verser à ladite société et à M. X… la somme de 10 000 F en réparation du préjudice résultant dudit arrêté ;

2°) de condamner la société Fun Production et M. X… à lui verser la somme de 10 000 F au titre de l’article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des communes et notamment son article L. 131-2 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

– le rapport de Mlle Laigneau, Maître des Requêtes,

– les observations de Me Baraduc-Bénabent, avocat de la commune de Morsang-sur-Orge et de Me Bertrand, avocat de M. X…,

– les conclusions de M. Frydman, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 131-2 du code des communes : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique » ;

Considérant qu’il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l’ordre public ; que le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public ; que l’autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l’absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine ;

Considérant que l’attraction de « lancer de nain » consistant à faire lancer un nain par des spectateurs conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d’un handicap physique et présentée comme telle ; que, par son objet même, une telle attraction porte atteinte à la dignité de la personne humaine ; que l’autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait, dès lors, l’interdire même en l’absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition, contre rémunération ;

Considérant que, pour annuler l’arrêté du 25 octobre 1991 du maire de Morsang-sur-Orge interdisant le spectacle de « lancer de nains » prévu le même jour dans une discothèque de la ville, le tribunal administratif de Versailles s’est fondé sur le fait qu’à supposer même que le spectacle ait porté atteinte à la dignité de la personne humaine, son interdiction ne pouvait être légalement prononcée en l’absence de circonstances locales particulières ; qu’il résulte de ce qui précède qu’un tel motif est erroné en droit ;

Considérant qu’il appartient au Conseil d’Etat saisi par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens invoqués par la société Fun Production et M. X … tant devant le tribunal administratif que devant le Conseil d’Etat ;

Considérant que le respect du principe de la liberté du travail et de celui de la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce que l’autorité investie du pouvoir de police municipale interdise une activité même licite si une telle mesure est seule de nature à prévenir ou faire cesser un trouble à l’ordre public ; que tel est le cas en l’espèce, eu égard à la nature de l’attraction en cause ;

Considérant que le maire de Morsang-sur-Orge ayant fondé sa décision sur les dispositions précitées de l’article L. 131-2 du code des communes qui justifiaient, à elles seules, une mesure d’interdiction du spectacle, le moyen tiré de ce que cette décision ne pouvait trouver sa base légale ni dans l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni dans une circulaire du ministre de l’intérieur, du 27 novembre 1991, est inopérant ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a prononcé l’annulation de l’arrêté du maire de Morsang-sur-Orge en date du 25 octobre 1991 et a condamné la commune de Morsang-sur-Orge à verser aux demandeurs la somme de 10 000 F ; que, par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter leurs conclusions tendant à l’augmentation du montant de cette indemnité ;

Sur les conclusions de la société Fun Production et de M. X … tendant à ce que la commune de Morsang-sur-Orge soit condamnée à une amende pour recours abusif :

Considérant que de telles conclusions ne sont pas recevables ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant qu’aux termes de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office, pour des raisons tirées de ces mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ;

Considérant, d’une part, que ces dispositions font obstacle à ce que la commune de Morsang-sur-Orge, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à la société Fun Production et M. X… la somme qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions au profit de la commune de Morsang-sur-Orge et de condamner M. X… à payer à cette commune la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, de condamner la société Fun Production à payer à la commune de Morsang-sur-Orge la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles du 25 février 1992 est annulé.

Article 2 : Les demandes de la société Fun Production et de M. X … présentées devant le tribunal administratif de Versailles sont rejetées.

Article 3 : L’appel incident de la société Fun Production et de M. X … est rejeté.

Article 4 : La société Fun production est condamnée à payer à la commune de Morsang-sur-Orge la somme de 10 000 F en application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Les conclusions de la société Fun-Production et de M. X … tendant à l’application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la commune de Morsang-sur-Orge, à la société Fun Production, à M. X… et au ministre de l’intérieur.

L’arrêt Morsang-sur-Orge (CE, 1995-10-27) devient :

Version 1

« La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique ». Ainsi, elle doit prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l’ordre public. Or, la dignité de la personne humaine est une des composantes de celui-ci. L’autorité de police peut donc interdire une attraction qui lui porte atteinte. Le « lancer de nain » consiste à utiliser un nain comme un projectile par des spectateurs, ce qui porte atteinte à leur dignité. L’interdiction d’une telle manifestation était donc possible alors même que la sécurité du nain était assurée et que celui-ci y participait librement, contre rémunération.

Le 25 octobre 1991, un arrêté du maire de Morsang-sur-Orge interdisait le spectacle de « lancer de nains » prévu le même jour dans une discothèque de la ville. Le tribunal administratif de Versailles a annulé celui-ci au motif qu’aucune circonstances locales particulières ne justifiait l’interdiction. Un tel motif est erroné en droit. De plus, il appartient au Conseil d’État d’examiner les autres moyens invoqués devant toute juridiction administrative. En outre, l’autorité investie du pouvoir de police municipale peut interdire toute activité licite afin de prévenir ou faire cesser un trouble à l’ordre public. Tel est bien le cas en l’espèce. L’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la circulaire du ministre de l’intérieur, du 27 novembre 1991 n’y changent rien.

C’est donc à tort que le tribunal administratif de Versailles a annulé l’arrêté du maire et condamné la commune à verser aux demandeurs la somme de 10 000 F. Cette indemnité peut d’autant moins être augmentée. Quant au recours de la commune, il n’est en rien abusif et celle-ci n’a pas à verser quelque indemnité que ce soit pour les frais exposés par les autres parties.

Article 1er. Le jugement du tribunal administratif de Versailles du 25 février 1992 est donc bien annulé.

Article 2. Les demandes de la société Fun Production et de M. X… présentées devant le tribunal administratif de Versailles sont rejetées, de même que leur appel incident et leurs conclusions.

Article 3. La société Fun production versera à la commune de Morsang-sur-Orge la somme de 10 000 F.

Article 4. La présente décision sera notifiée aux parties et au ministre de l’intérieur.

Version 2

Nous savions que la police municipale avait pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique. Elle devait ainsi prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l’ordre public ou à l’une de ses composantes, la dignité de la personne humaine comprise. Nous n’avions pourtant pas imaginé qu’elle puisse interdire une attraction consistant à faire lancer un nain par des spectateurs, utilisant celui-ci comme projectile. Nous nous étions assuré de la sécurité des nains ; chacun d’entre eux était rémunéré pour sa prestation.

Nous fûmes surpris lorsque, le 25 octobre 1991, le maire de Morsang-sur-Orge arrêta que le spectacle de « lancer de nains » prévu le même jour dans une discothèque de la ville serait interdit. Le tribunal administratif de Versailles nous donna raison et annula l’arrêté, expliquant qu’aucune circonstance locale particulière ne justifiait l’interdiction. Un tel motif était pourtant erroné en droit : si problème il y avait, il n’était pas du côté des circonstances mais du côté de l’objet même du spectacle qui, par sa nature même, pouvait porter atteinte à la dignité et, par suite, à l’ordre public.

Le Conseil d’État pesa tous les arguments et rappela qu’aucune liberté, aussi fondamentale soit-elle, ne pouvait justifier un trouble à l’ordre public et limiter les prérogatives de police à cet égard. Ces seuls motifs suffisaient ; la prohibition des traitements inhumains ou dégradants n’y changeait rien.

Le jugement du TA de Versailles fut annulé ; les recours contre les recours furent rejetés ; la société organisatrice fut condamnée ; et l’ensemble fut notifié à chacun.

COMMENTAIRE :

Que le droit puisse être raconté ou décrit n’a rien de surprenant. Toutes les analyses historiques ou sociologiques du droit reposent, pour une part au moins, sur une telle approche externe du droit. Il est en revanche moins souligné à quel point le droit lui-même organise des récits, de l’exposé des faits à celui des motifs. Le passage au passé, l’ajout d’un narrateur ou la suppression des mentions techniques ne semblent pas, à cet égard, déterminants.

Une telle conversion fait en revanche ressortir, par contraste, certains éléments qui échappent au récit. On en soulignera deux ici. Le premier consiste dans l’accumulation des arguments : la juxtaposition des considérants gomme les raisonnements implicites qui les articulent les uns aux autres. La conversion exige dès lors l’ajout d’un certain nombre de connecteurs ou d’embrayeurs permettant d’estomper les ellipses du récit et de l’argumentation. Dans le cadre d’un récit ou d’une description et, plus largement, pour un discours ordinaire, on tend à éviter de confier ainsi au lecteur le soin de « boucher les trous » argumentatifs. Reste que l’ellipse est particulièrement difficile à gommer là où le discours balance du fait au droit.

Le second élément tient à des propositions qui ne relèvent ni du récit ni de l’argumentation mais de l’argument d’autorité. Il est difficile de convertir en langage ordinaire l’affirmation selon laquelle un spectacle ou une « attraction » portent, « par nature » ou « par leur objet même », atteinte à la dignité de la personne humaine. Non que de telles affirmations soient impossibles dans le langage ordinaire. Mais, là encore, de telles propositions impliquent soit un raisonnement tout au moins implicite, soit une prise de position subjective qui ruine à la fois le récit et l’argumentation. L’interprétation est renvoyée au lecteur et l’énoncé normatif abandonne toute rationalité objective (et discutable). Il n’y a plus ni récit, ni raisonnement ; seul demeure le mystère de la parole oraculaire.

84.- Réparation symbolique d’un sentiment d’injustice

Par Nathalie Dion

 

DEFINITION :

La contrainte consiste à proposer un exemple de réparation symbolique d’un sentiment d’injustice. Du grec sumbolon, le symbole est un « signe figuratif, un être animé ou une chose qui représente une chose abstraite » ; la balance est ainsi le symbole de la justice (Dictionnaire Larousse, v° Symbole).

APPLICATION :

 

Les  deux propositions suivantes mobilisent un acte symbolique prenant appui sur la commune intention des deux protagonistes : la victime et l’auteur de l’injustice.

Proposition 1 : réparation symbolique d’une surdité occasionnée par des coups et blessures
Cas réel : La demande de la victime, lycéenne, à l’égard de l’auteur de l’infraction est la suivante : « Je souhaiterais que tu saches ce que c’est que d’être sourd… ». Elle entend sensibiliser l’auteur aux conséquences de son comportement. L’auteur de l’infraction accepte (apparemment dans le cadre d’une médiation pénale) qu’une rencontre ait lieu dans une école pour jeunes malentendants de suivre des cours avec ceux-ci et de s’entretenir avec le personnel médical de l’établissement (Médiations et Sociétés, 2003, n° 4, p. 16).

Proposition 2. Réparation symbolique d’une violence domestique. Cas fictif : Un père punit un jour sa fille, alors enfant, en lui donnant 4 gifles (pour une simple « bêtise » que celle-ci avait faite). A 17 ans, sa fille lui en voulant toujours, le père accepte que, lors d’une cérémonie familiale, celle-ci le gifle « publiquement » (et lui « rende » ainsi les gifles données).

COMMENTAIRE :

Le Processus de réparation symbolique consisterait, par exemple, à reconnaître sa part (même si « on ne l’a pas fait exprès ») dans le conflit, à s’excuser (« je suis allé(e) trop loin », « je suis désolé(e)») pour apaiser la relation, à poser un acte (lettre remise en mains propre ou postée, discussion orale face à face ou au téléphone, ou acte plus impliquant). Précisons que la réparation symbolique n’exige pas d’apprécier l’autre, de se réconcilier ; elle peut être suivie du choix de s’écarter de l’autre, de renoncer à le fréquenter à nouveau ou à lui parler.

La réparation symbolique est possiblement porteuse :

  • d’horizontalité (les deux protagonistes devenus acteurs du processus  de réparation, y collaborent ensemble),
  • d’un temps d’écoute substantiel,
  • d’une approche potentiellement globale (juridique et psychologique, affective, émotionnelle, culturelle, transgénérationnelle, etc.) du différend,
  • d’un acte  pensé et posé par les protagonistes et qu’ils perçoivent comme « juste » pour chacun. Un acte suffisamment chargé de sens pour agir sur le conscient et l’inconscient (si l’on considère que l’inconscient donne au symbole la même importance qu’aux faits réels).
    On peut imaginer que cet acte soit prolongé par un objet : un symbole universel de paix (colombe) ou un symbole plus personnel choisi par les intéressés (statuette).

Cette réparation symbolique est possiblement :

–        transformatrice entraînant un processus de pacification, non pas seulement formel, mais véritable,

 –        thérapeutique (vectrice d’une guérison de la relation).

La réparation symbolique serait-elle amenée à devenir, un complément de la démarche judiciaire, du procès ?

85.- Ricochet

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

 Le ricochet est à la fois un concept oudropien au premier niveau (concept juridique potentiel) et au second niveau une contrainte juridique. Concept oudropien : le ricochet est ce qui produit un effet juridique au second degré. Exemples : dommage par ricochet, licenciement par ricochet, ricochet de lois, etc. Contrainte du Ricochet :  mener une réflexion juridique en allant de texte en texte (juridique ou non juridique) sans souci des disciplines et des frontières.

APPLICATION :

 L’article 79 CC prévoit les mentions nécessaires à l’acte de décès et se termine par : « Le tout, autant qu’on pourra le savoir », ce qui autorise à dresser valablement un acte de décès imparfaitement renseigné (Répertoire de droit civil / Actes de l’état civil Civ. – Yann FAVIER – Novembre 2020).

Ricochet 1 : le site Dalloz renvoie après l’acte de décès à un article traitant de la RGPD (règlement européen sur la protection des données) car il comporte « tout », « autant », « pourra » et « savoir ».

« Tout > ce que l’article 65, paragraphe 1er, mentionne, dans le cas d’une objection motivée, c’est que « la décision contraignante concerne < toutes > les questions qui font l’objet de l’objection pertinente et motivée, notamment celle de < savoir > s’il y a violation du […] règlement ». À la lecture de cette disposition, on pourrait croire que le Comité peut uniquement arbitrer entre les différentes solutions qui ont été débattues par les autorités de contrôle. Certes, le Comité ne < pourra > se prononcer que dans la limite de l’objection motivée soulevée par l’une des autorités de contrôle (in Larcier Le règlement général sur la protection des données 2018).

Ricochet 2 : en cherchant à partir de “objet de l’objection pertinente et motivée” le site Dalloz renvoie à :

« Les autorités compétentes de destination (…) disposent d’un délai de trente jours à compter de l’expédition de l’accusé de réception pour soulever des objections > contre le transfert. En soulignant dans une correspondance adressée à l’autorité compétente d’expédition la discordance existant entre les quantités de boues à transférer et la capacité de valorisation des exploitations destinataires, le préfet de la Moselle a entendu émettre une < objection > relative à la capacité des exploitations agricoles destinataires à valoriser les quantités de boues dans des conditions conformes aux dispositions législatives nationales en matière de protection de l’environnement et de protection de la santé. Dès lors aucune autorisation tacite de transfert n’a pu naître » (Application aux boues d’épuration utilisées en agriculture du règlement européen concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets, Arrêt rendu par Conseil d’État, 6ème et 4ème sous-sections réunies, 03-03-2000, n° 188328).

Ricochet 3 : en cherchant à partir de “valoriser les quantités de boues” le site Dalloz renvoie à :

« Une enquête récente a montré que pour une < quantité > importante de ces < boues > – en particulier les < boues > issues des stations d’épuration des grandes agglomérations urbaines -, la teneur en métaux lourds conduisait à déconseiller, voire à interdire leur épandage, en application de la nouvelle norme NF U 44 041. Or, cette filière d’élimination des < boues > est la plus économique et permet de < valoriser les éléments fertilisants qu'elles contiennent. Il convient donc de faire un réel effort pour diminuer les apports en métaux lourds dans l'environnement ». (Circulaire DPP/SEI/JFD/CN n° 5518 du 5 novembre 1985 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement industrie de traitement de surface). Ricochet 4 : en cherchant à partir de « Il convient donc de faire un réel effort pour diminuer les apports » le site Dalloz renvoie à :

« La force probante de l’acte de décès est < donc > limitée et si le certificat de décès dressé par le médecin tient lieu de preuve, il ne peut être regardé comme la seule preuve de la mort : il peut le cas échéant être contesté par < apport > d’une preuve contraire. S’agissant de cette procédure de droit commun, il < convient > de souligner que ni le législateur ni la jurisprudence n’ont fixé de critères permettant de garantir l’exactitude du constat de la mort » (Conseil d’État, Assemblée, 02-07-1993, n° 124960).

COMMENTAIRE :

 Après 4 ricochets, on retombe par hasard sur l’acte de décès. C’est assez étonnant et bien sûr fortuit. Cela l’est davantage que la théorie des 6 relations selon laquelle statistiquement, la relation de la relation de la relation de ma relation (au 6° degré) a une relation que j’ai dans mes relations. Il n’empêche que cet exercice de ricochet garantit de découvrir des secteurs inconnus du droit et d’envisager par exemple de donner comme sujet de mémoire « la boue en droit » et peut-être d’en faire émerger un concept juridique.

86.- Roman ouvroir de droit potentiel (Rodropo)

 

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

Roman Ouvroir de Droit Potentiel, il s’agit d’une contrainte oudropienne consistant à écrire un roman (ou plus largement une fiction ou un récit) pour créer du droit potentiel. La difficulté de cette contrainte est que la forme « roman » est à la fois un carcan et une absence de carcan ; elle peut intégrer toute sorte de textes (narration, dialogues, bouts d’essai, lettres, poèmes, autobiographie, etc.) mais comporte des exigences implicites : notamment une convention avec le lecteur (toujours négociable) et une vraisemblance dans le récit (ce point est sans doute discutable). Il est possible de s’aider de la contrainte générale que s’est fixée Julien Gracq à lui-même : dans une fiction tout doit être fiction (J. Gracq, En lisant en écrivant, Corti, 1980, p. 25 « mon principe s’en trouve confirmé : dans la fiction, tout doit être fiction »). Par ailleurs, on peut se dire que tout blocage dans l’écriture peut être dépassé par la mise en œuvre d’une des contraintes oudropiennes.

APPLICATION :

Il est difficile évidemment de reproduire ici en entier une tentative de rodropo. Il n’en existe, par ailleurs, à notre connaissance, qu’une seule. En attendant de nouvelles applications nous pouvons citer un essai-fiction intitulé « La justice des émotions » (IRJS 2020). Pitch : une étude a montré que le composant d’un pesticide appelé l’Oudrozine est responsable d’une des formes de la maladie d’Almer. Un recours collectif est intenté par une association de victimes contre le distributeur de cette molécule. L’auditeur de cette société est également le petit-fils d’une femme atteinte de la maladie. Il rencontre une chercheuse en translatologie, puis croise le destin d’une traductrice d’une autre époque. Parallèlement, un conférencier tente de comprendre la justice des émotions pendant qu’une magistrate souffre d’angoisse et de frustration.

La thèse qui est ici défendue est que la justice est structurée comme un cerveau : les différentes connexions que sont les rapports de droit judiciaires constituent les lieux des processus émotionnels et rationnels. L’émotion est nécessaire à la raison pour parvenir à un bon jugement. La justice doit donc accueillir les émotions autant qu’elle met en œuvre méthodiquement des règles de droit. Il convient de faire justice aux émotions en privilégiant leur forme principale d’expression qu’est la narration. Dans cet essai-fiction les approches rationnelles, relationnelles et émotionnelles sont mêlées.  Cet essai-fiction est une contrainte oudropienne consistant à mener des récits et à développer des raisonnements pour générer du droit potentiel.  Deux histoires et une série de conférences en résonnance peuvent être lues indépendamment les unes des autres.

Travaillant sur le thème de l’émotion du juge, l’auteur a tenté d’emprunter une voie non discursive pour approfondir son sujet. Parallèlement à une démarche théorique sur la relation entre le juge et l’émotion, il lui a semblé́ nécessaire d’utiliser une méthode fondée sur l’émotion davantage que sur la raison et ainsi d’aborder son sujet sous la forme d’une fiction (le mot « roman » semble être devenu un terme de marketing pour « vendre » un produit qui peut ne pas être une fiction). Sa principale difficulté a été de ne jamais plaquer des idées et des raisonnements tout faits, mais de suivre le fil de la fiction, la logique interne des personnages et d’accepter la dispersion.  Il y est question notamment d’action de groupe en matière d’environnement, de responsabilité sociale des sociétés, d’e-justice, de bien commun, du rapport homme/femme et de sexe neutre. Ce texte a été l’occasion de tester de nouvelles contraintes comme celle du mixage de texte (mélanger deux textes éventuellement en deux langues avec un text mixer informatique pour dégager de nouveaux concepts oudropiens robotisés : funérailleurs, entre-ville, victimenteux, séparaissance, papersonne, belongiligne, etc.) ou celle des verbes déclaratifs : les dialogues conduisent à s’interroger sur les verbes déclaratifs, i.e ceux qui permettent de déterminer celui qui parle (dit-elle, fait-il, demande-t-il, etc.). Ne faut-il pas dans un roman oudropien utiliser le vocabulaire du procès : constate-t-il, duplique-t-il, requiert-elle, enjoint-il, déclare-t-il, témoigne-t-il, etc. ? Enfin, le romancier japonais Murakami écrit quelque part que le lecteur de roman attend toujours quelques scènes de sexe, il en attend même beaucoup s’agissant des romans de Houellebecque. Il a donc fallu transformer en contrainte oudropienne ce type de scène en se forçant à en faire une description juridique (v. La justice des émotions). On peut alors parler de contrainte charnelle (la transformation en vocabulaire juridique d’une scène de sexe dans un roman de Houellebecque pourrait aussi être envisagée).

COMMENTAIRE :
Il se peut que le droit du common law se prête mieux au roman juridique que le civil law car le procès y est plus théâtral et oral, que les règles de procédure en sont connues par tout le monde et que le droit et les humanités se sont mieux « arrangées » à l’université. Les auteurs du XIX° siècle mêlaient, semble-t-il, plus qu’aujourd’hui droit et récit (v. L’éducation sentimentale ou Le père Goriot). Un roman juridique en France pourrait sans doute prendre la forme d’un roman à clefs révélant les secrets de la fabrication du droit (remarque de W. Mastor, colloque d’Amiens, La narration de la norme, à paraître), ou bien de l’équivalent d’un roman initiatique comme le monde de Sophie pour la philosophie (ex. le Monde de Camille Porodou). Créer du droit potentiel avec un roman constitue donc une double contrainte (ou double bind) car il faut réussir à rester dans le non droit (le récit) pour créer du droit potentiel (concepts nouveaux, nouvelles interprétations, etc.) sans pour autant faire du droit-fiction. Il s’agit d’une contrainte impossible ou contradictoire. Elle oblige aussi à recourir à l’imagination dont on dit qu’elle devrait avoir sa place dans l’art juridique, mais qui n’y est guère reconnue (W. Mastor et L. Miniato, « Le droit comme récit », D. 2017, 2433 et avant cela P. Ferreira da Cunha, Droit et récit, coll. Diké, Les presses de l’Université Laval, 2003).

Le roman est aussi, depuis au moins Don Quichotte, le lieu de l’ironie ce qui n’est guère compatible avec le droit qui doit plutôt trancher (ceci dit voir : A. Somek, Legal Relation, Cambridge University Press, 2017 en faveur de l’ironie en droit). Il met en scène davantage la sensibilité et l’émotion que la raison et les idées si bien qu’il s’agit d’un exercice relevant tout aussi bien du mouvement Law and Litterature que du mouvement Law and Emotion (v. un état des lieux : R. Grossi, « Understanding Law and Emotion », Emotion Review, 2015 January 55-60, en ligne, depuis notamment M. Nussbaum, « Emotion in the Language of Judging », St John’s Law Review, 1996, 70, 23-30).

Le roman oudropien peut être considéré comme expérimental (même s’il doit, pour être un roman, rester lisible voire divertissant – ceci dit ces deux conditions sont discutables). Le roman peut ainsi être un outil d’approfondissement du droit, en particulier lorsque l’on réfléchit à la prise en compte de l’émotion dans la méthodologie judiciaire. Il apparaît en effet aujourd’hui clairement que l’émotion est nécessaire à la raison pour parvenir à un bon jugement. La réalisation d’un roman ouvroir de droit potentiel est une mise en récit de questions de droit qui peut ouvrir sur des perspectives nouvelles. Il y a une dizaine d’année le roman martien de Philibert Ledoux (Introduction au droit martien : le premier roman juridique, Litec, 2005, textes choisis et présentés par H. Croze) a correspondu à un moment où l’on commençait à entrevoir les possibilités du droit sous l’angle de la science-fiction (v. aussi F. Defferrard, Le droit selon Star Trek, Mare et Martin, 2016, prix Debouzy). La fiction permet peut-être aujourd’hui de prendre ses distances sur les transformations juridiques profondes qui sont en cours. Elle permet d’évoquer ces mouvements de fond et peut-être au lecteur d’y réfléchir sans pour autant être directement confronté aux convictions personnelles de l’écrivain.

Martha Nussbaum, célèbre philosophe du droit américaine, affirme qu’il n’y a pas de meilleure préparation pour devenir magistrat que la littérature (L’art d’être juste, Climat 2015 trad par S. Chavel de Poetic Justice, the Literary Imagination and Public Life). Cela permet d’affiner sa raison émotionnelle et apprend à se mettre à la place des autres. Cela renforce l’empathie et permet une réflexion morale. L’ironie propre au roman et au théâtre habitue également à entendre des positions différentes avant de pouvoir prendre une décision. Ceci dit le roman est aussi un lieu de transgression et d’immoralité (v. les romans du Marquis de Sade), c’est alors par la provocation à la réflexion qu’il peut y avoir un apport juridique. On peut se demander si la même double origine étymologique des mots rapports et relations comme union et comme récit (latin refero) ne rapproche pas le droit vu comme un art des relations humaines et la littérature comme interrogation sur ces relations. D’autant plus, qu’un théoricien du roman comme Bakhtine y voit le lieu du dialogue entre les langues et entre les personnes. L’auteur parle de dialogisme et de multilinguisme (Esthétique et théorie du roman, Tel Gallimard, 1978, p.122).

On peut cependant se demander si le roman devenu étiquette de marketing n’est pas le genre qui correspond à une société individualiste ou chacun, isolé des autres, peut se situer en surplomb du monde comme producteur de la narration de sa propre vie à destination de consommateurs dont l’attention est de plus en plus détournée par l’Internet, dans un nouveau régime de la sensibilité qui privilégierait une forme d’exhibitionnisme émotionnel (« extimité » selon le sociologue Julien Bernard, « Les voies d’approche des émotions », Terrains/Théories [En ligne], 2 | 2015, mis en ligne le 17 octobre 2014, consulté le 22 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/teth/196 ; DOI : https://doi.org/10.4000/teth.196 spéc. N°28).  Le régime émotionnel de la révolution française ayant été le sentimentalisme authentique et dès lors meurtrier, le régime émotionnel depuis le 19° siècle a été une certaine mise à distance des émotions en promouvant une raison toute puissante (v. aussi sur la notion de régime émotionnel W. Reddy, La traversée des sentiments, Les presses du réel, 2019, p. 159 s.). Un droit participant à un régime individualiste destructeur des liens humains au profit d’une approche concurrentielle et performante serait certainement en harmonie avec ce qu’est devenu le roman. Un droit tentant de défendre les liens juridiques et un équilibre entre la concurrence et la solidarité se coulerait moins bien dans cette évolution du roman et pourrait même générer un malaise ou des nouveautés formelles. Plutôt que de partir de sujets de droit, personnage et narrateur, il donnerait la parole à des non sujets de droit. Ce pourrait être aussi les romanciers qui pourraient tenter de provoquer des évolutions du droit en donnant la parole à des non sujets (comme le fait Richard Powers, L’arbre-Monde, 2019, Cherche-Midi, il donne la parole aux arbres et a des développements juridiques sur les droits de propriété). On le voit le « roman » comme contrainte oudropienne pose de nombreux problèmes qui touchent aux racines du droit et peut-être de la littérature, et à la relation de droit comme narration et connexion entre les humains et les non humains.

S.

87.- Sans cœur

Par Nathalie Dion et Clarisse Wallerand

DEFINITION :

La contrainte du sans cœur (l’envers de la contrainte de l’émotion) consiste à rendre glaciale et sans une once d’émotion une belle norme.

APPLICATION :

L’alinéa 1 de l’article 12 du Code proc. civ. :

« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables »

DEVIENT :

« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, sans prêter attention à ses émotions, dans une rationalité et une rigueur froides, implacables et sans état d’âme ».

L’article 371-5 CC : « L’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution. S’il y a lieu, le juge statue sur les relations personnelles entre les frères et sœurs ».

DEVIENT :

« L’enfant doit être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela est totalement impossible ou si l’intérêt de la société commande une autre solution. S’il y a lieu, le juge statue sur la rupture des relations personnelles entre les frères et sœurs ».

COMMENTAIRE :

Cet ajout à l’article 12 CPC vient apporter une connotation froide, sachant que le verbe « trancher » est déjà lui-même porteur d’une forme de violence. Cela rend la profession de magistrat attrayante pour les sadiques. La norme sans cœur semble efficace. La seconde application évoque brutalement la séparation de la fratrie, ce qui peut être choquant pour les enfants concernés.

88.- S+7

Par Dorothée Simonneau.

DEFINITION :

Inspirée d’une contrainte oulipienne, la contrainte S+7 de l’Oudropo,, consiste à modifier une règle juridique, un attendu de principe, un article de code, en remplaçant chaque terme important (concept juridique, terme juridique…) par un autre mot du dictionnaire ou lexique juridique qui vient 7 mots après lui s’il est de même nature.

APPLICATION :

 Article 14 du code de procédure civile : « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ».

Transformé par la contrainte S+7 ce texte devient : « L’objet du pas-de-porte ne peut être juridique sans avoir été entravé ou appointé ».

COMMENTAIRE :

La principale difficulté de cet exercice est de trouver un mot de même nature 7 termes après celui qu’il faut remplacer.

Par exemple, l’« appelé » en tant que personne désignée par le disposant d’une libéralité se trouve dans le Lexique de termes juridiques mais  ne possède pas le même sens que dans le texte de l’article 14. Nous arrivons donc 7 mots plus loin au terme « appoint » (complément exact en petite monnaie de la somme due que le débiteur qui paie en billets et en pièces doit verser au créancier) transformé pour le besoin de la cause en « appointé ».

Le résultat donne curieusement une phrase qui pourrait avoir un certain sens, le pas-de-porte étant une somme d’argent très variable versée notamment par le locataire d’un bail commercial au propriétaire lors de la conclusion du contrat de bail.

Cet exercice serait toutefois plus ardu avec un texte plus long comme un attendu de principe par exemple.

89.- Sixtine (quenine, terrine, etc.)

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

La sixtine est une des contraintes les plus paradigmatiques de l’Oulipo qu’il a réactualisé et qui datait du Moyen-Âge. Elle consiste à faire une strophe se terminant par 6 mots et de faire ensuite 5 autres strophes avec ces mêmes 6 mots mais à une place différente (la terrine se fait avec 3 mots et la quenine avec 5). Elle peut permettre de dégager de nouveaux concepts oudropiens ou de mettre en perspective fictionnelle des concepts juridiques.

APPLICATION :

À partir de l’art. 79 CC et 6 mots par strophe.

L’acte de décès énoncera :

1° Le jour, l’heure et le lieu de décès ;

2° Les prénoms, nom, date et lieu de naissance, profession et domicile de la personne décédée ;

3° Les prénoms, noms, professions et domiciles de ses père et mère ;

4° Les prénoms et nom de l’autre époux, si la personne décédée était mariée, veuve ou divorcée ;

4° bis Les prénoms et nom de l’autre partenaire, si la personne décédée était liée par un pacte civil de solidarité ;

5° Les prénoms, nom, âge, profession et domicile du déclarant et, s’il y a lieu, son degré de parenté avec la personne décédée.

Le tout, autant qu’on pourra le savoir.

Il sera fait mention du décès en marge de l’acte de naissance de la personne décédée.

DEVIENT :

Il faut préciser date et heure

Le degré de parenté du jureur

Profession domiciles de ses père et mère

Nom prénom de l’autre partenaire

Lieu, place, jour de son concevoir

Autant qu’on pourra le savoir

Il faut tout faire pour savoir

Tout tenter pour essayer de concevoir

Quel avait été son/sa partenaire

Prénom et nom de sa mère

Les raisons et intentions du jureur

S’il était de bonne heure

Il n’y a pas d’heure

Pour démasquer le faux jureur

Pour connaître et arrêter son partenaire

Pour faire enfermer sa propre mère

Pour ne pas chercher à savoir

Qu’un crime reste à concevoir

Il faudra un jour le concevoir

Pour parvenir à ne pas savoir

A quel endroit, à quelle heure ?

Il a fait appel au jureur

Pour admettre que sa belle mère

N’a pas tuer son partenaire

Pacte de solidarité avec son partenaire

En faisant office de grand-mère

Qui lui a transmis son savoir

Rien qu’il ne puisse concevoir

Qui ne fait pas son mal heur

En présence de son vieux jureur

A la révolution le prêtre jureur

A passé un sale quart d’heure

Le bourreau ne voulant rien savoir

A cherché un châtiment à concevoir

Ne pouvant compter sur un partenaire

Pas plus que sur sa mère.

COMMENTAIRE :

La sixtine n’aide pas réellement à « concevoir » ici du droit mais adouci peut-être la dureté de l’acte de décès prévu à l’article 79 du CC qui en précisant « autant qu’on pourra le savoir » ouvre la porte à l’imagination et à la potentialité. On ne peut savoir le moment du décès qu’avec approximation. La sixtine utilisant un même mot en plusieurs sens emploie souvent au moins une fois un mot dans un sens métaphorique comme c’est le cas ici pour le verbe concevoir (conception de l’enfant, un crime ou un châtiment à concevoir).

90.- Suppression

Par Viveca Mezey et Camille Porodou

DEFINITION :

Comme son nom l’indique, la suppression implique un effacement. Il s’agit tout simplement de supprimer un mot, ou plusieurs, d’un texte juridique et de voir comment cette suppression change la portée du texte.

APPLICATION :

L’article 1240 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer »

DEVIENT :

« Tout fait qui cause un dommage, oblige à le réparer »

L’article L. 312-14 du Code de la consommation « « Le prêteur ou l’intermédiaire de crédit fournit à l’emprunteur les explications lui permettant de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière, notamment à partir des informations contenues dans la fiche mentionnée à l’article L. 312-12. Il attire l’attention de l’emprunteur sur les caractéristiques essentielles du ou des crédits proposés et sur les conséquences que ces crédits peuvent avoir sur sa situation financière, y compris en cas de défaut de paiement. Ces informations sont données, le cas échéant, sur la base des préférences exprimées par l’emprunteur. »

DEVIENT :

« Le prêteur ou l’intermédiaire de crédit fournit à l’emprunteur les explications lui permettant de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation, notamment à des informations contenues dans la fiche mentionnée à l’article L. 312-12. Il attire l’attention de l’emprunteur sur les caractéristiques essentielles du ou des crédits proposés et sur les conséquences que ces crédits peuvent avoir sur sa situation financière, y compris en cas de défaut de paiement. Ces informations sont données, le cas échéant, sur la base des préférences exprimées par l’emprunteur. »

C

OMMENTAIRE :

L’article 1240 garde son sens initial tout en devenant plus abstrait et plus vague. Surtout il n’y a plus de référence à la faute, la responsabilité devient générale.

91.- Synonyme

Par Camille Porodou

DEFINITION :
Cette contrainte oudropienne consiste à réécrire une disposition obscure avec des mots ayant le même sens pour faire émerger un sens nouveau. Il s’agit juridiquement parlant d’inventer un sens comme on invente un trésor.

APPLICATION :

L’article 1240 du Code civil « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Devient en employant les synonymes des substantifs :

« Tout acte quelconque de l’individu, qui cause à quelqu’un un tort, oblige celui par le méfait duquel il est arrivé à le réparer. »

COMMENTAIRE :

L’utilisation de synonymes permet de s’interroger sur la question de savoir jusqu’à quel point l’emploi de mots du sens commun est possible sans déformer une norme juridique. Cela invite à réfléchir sur l’intelligibilité et de l’accessibilité au droit. Ainsi, avec quelques-uns des synonymes proposés, le célèbre article 1240 se transforme et invite à s’interroger sur ses évolutions jurisprudentielles. Par exemple, remplacer « l’homme » par « l’individu » pose la question de la responsabilité civile des personnes morales. Remplacer « dommage » par « tort » entraine une irruption du droit comparé dans l’un des plus fameux articles du droit français. Et quand il s’agit d’envisager la faute, le sens commun délaisse tout un pan de la réflexion juridique, dès lors que la faute objective disparaît sous le « méfait » à connotation pénale.

En employant davantage de synonymes, le texte perd toute son authenticité, mais peut parfois faire revêtir à la règle juridique un sens plus exact : « Toute aventure quelconque d’une personne, qui cause à un semblable un ravage, oblige celui par le défaut duquel il est arrivé à le réparer. » Le mot personne semble en effet correspondre davantage à nos concepts théoriques.

92.- Synonyme et la méthode SS+7

Par Frédéric Martin

DEFINITION :

La méthode SS+7 est une variation sur la méthode S+7 de l’Oulipo. À la différence de cette dernière, toutefois, la méthode SS+7 ne remplace pas un substantif par le septième qui le suit dans un dictionnaire donné mais par le septième synonyme (en l’espèce, dans le dictionnaire du CNRTL).

 

Nota 1. – Cela induit certains ajustements lorsque le substantif à remplacer est un adjectif substantivé qui reçoit pour synonymes des substantifs mais aussi des adjectifs. La solution est ici assez simple.

 

Nota 2. – Le problème est plus délicat lorsque le dictionnaire fournit une liste de synonymes inférieure à sept. Dans ce cas, la méthode adoptée consiste à compter les substantifs (par exemple, quatre) mais, ensuite, à prolonger cette première liste par celle des synonymes du premier synonyme (par exemple, trois).

 

Nota 3. – Lorsque le ou les synonyme(s) n’ont aucun rapport avec le sens juridique initial, un synonyme juridique commun peut être préféré au substantif initial à remplacer (ex. infra : « urgence », remplacé par « nécessité »).

APPLICATION :

L’article 3131-15 du Code de la santé publique

« I.- Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique :

1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ;

2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;

3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d’être affectées ;

4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées ;

5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ;

6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ;

7° Ordonner la réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire. L’indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense ;

8° Prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits ; le Conseil national de la consommation est informé des mesures prises en ce sens ;

9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ;

10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d’entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12 du présent code ».

DEVIENT :

I.- Dans les provinces territoriales où la profession d’indigence sanitaire est déclarée, le Premier négociateur peut, par édit réglementaire pris sur l’affinité du négociateur chargé de la force, aux seules conclusions de garantir la force publique :

1° Réglementer ou interdire l’écoulement des citoyens et des tas de ferraille et réglementer l’introduction aux combinaisons d’agitation et les modalités de leur éducation ;

2° Interdire aux citoyens de sortir de leur foyer, sous délicatesse des inversions strictement indispensables aux soifs familiales ou de force ;

3° Ordonner des sobriétés ayant pour fond la toilette en interdit, au bon sens du traité 1er de la normesanitaire internationale de 2005, des citoyens susceptibles d’être affectés ;

4° Ordonner des sobriétés de mise en place et de comportement en exil, au sens du même traité 1er, à leur foyer ou tout autre point d’hospitalité adapté, des citoyens affectés ;

5° Ordonner le bouchon provisoire et réglementer l’issue, y compris les modalités d’introduction et de compagnie, d’une ou plusieurs rangs d’entreprises recevant de la galerie ainsi que des pointsd’assemblée, en garantissant l’introduction des citoyens aux grâces et protections de première indigence ;

6° Limiter ou interdire les tas sur la marche publique ainsi que les assemblées de toute sorte ;

7° Ordonner la sollicitation de tout citoyen et de toutes grâces et protections nécessaires à la rivalitécontre l’événement sanitaire. La résignation de ces sollicitations  est régie par le recueil de l’éloge ;

8° Prendre des sobriétés temporaires de domination des montants de certains profits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les disputes constatées sur l’échange de certains profits ; la Réunion nationale de l’union est informée des sobriétés prises en ce bon sens ;

9° En tant que de soif, prendre toute sobriété permettant la toilette au penchant des aliénés de placebosappropriés pour l’extraction de l’événement sanitaire ;

10° En tant que de soif, prendre par édit toute autre sobriété réglementaire limitant la possibilitéd’entreprendre, dans la seule destination de mettre conclusion à l’événément sanitaire mentionnée au traité L. 3131-12 du présent recueil ».

COMMENTAIRE :

Partant du principe que la science du droit est une science de l’interprétation d’énoncés spécifiques (autorisés ou authentiques), il apparaît que la base minimale d’une réflexivité repose dans la stabilité minimale d’un énoncé. Dès lors, la forme de cet énoncé est la base objective minimale de sa normativité. La normativité de cet énoncé n’est pas réductible à sa forme, mais elle n’en est pas détachable. Le reste n’est que conjecture(s)[42].

Il est donc indéniable que la syntaxe et les mots mobilisés sont l’un des déterminants de la normativité. Comme d’autres méthodes de l’Oudropo,,, celle-ci permet d’en explorer certains horizons.

En l’espèce, il apparaît, et ce, de manière assez logique, que la méthode SS+7 ne réduit pas à néant la signification de l’énoncé initial. Elle le déplace. La répétition des occurrences, si commune dans le discours juridique (comme dans tout discours technique) produit un « effet de raison », la répétition étant le signe incontestable d’une intention délibérée – à défaut d’être toujours cohérente… ou raisonnable.

En outre et surtout, la méthode SS+7 offre un complément éloquent à la contrainte de Création de concept juridique (voir supra). Il apparaît, en effet, que la répétition force à elle seule le respect. À défaut de trouver un sens immédiat, le juriste est donc amené à présumer que l’utilisation récurrente d’un terme renvoie à une signification particulière qu’il lui appartient de préciser. Ainsi, depuis le 30 octobre 2017, les « visites domiciliaires » doivent être distinguées des « perquisitions administratives » (loi SILT). De la même manière, il conviendrait de mieux distinguer les « mesures » prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire de celles qui relèvent du droit commun. Nous proposons donc qu’elles soient nouvellement qualifiées de « sobriétés ».

·  T.

93.- Texte mixer

Par Emmanuel Jeuland et Camille Porodou

DEFINITION :

Créer une nouvelle règle de droit à partir de deux règles en utilisant un text mixer (app. sur Internet) ou à partir de deux attendus de principe de deux arrêts différents.

APPLICATION :

Exemple avec des textes : art. 6-1 CEDH : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi » et art 1 DUDH : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Donnent « les êtres naissent libres et impartiaux » ou bien aussi : « publiquement les libres humains naissent dans un envers »

Dauvin Ass. Plén. 21 déc. 2007 :  « l’article 12 du nouveau code de procédure civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes ».

Cesareo Ass. Plén., 7 juin 2006 « Mais attendu qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci ».

DEVIENT :

« Dès l’instance relative à   la dénomination aux faits ou restime à la première obligation aux actes de qualification des actes litigieux »

Ou

«La première obligation des actes litigieux est la nomination aux actes de qualification des faits ou restime à   la  dénomination ».

  1. d’autres concepts nés d’un text mixer dans la contrainte rodropo : funérailleurs (les agents des pompes-funèbres recyclant de la ferraille et raillant les défunts), entre-ville (l’espace entre deux villes qui devient central pour les rurbains), victimenteux (les victimes du vent qui mentent), séparaissance (la renaissance du fait d’une séparation), papersonne (le début d’une personne), belongiligne (franglais belong et longiligne, ceux qui appartiennent à la catégorie des personnes longilignes).

COMMENTAIRE :

Le résultat de l’exemple 1 peut s’appliquer aux arbres, aux abeilles et aux robots, ce pourrait être le premier article d’une déclaration universelle des êtres. Dans tous les cas, le mixage doit être fait plusieurs fois pour créer ce qui ressemble à une règle de droit et il faut aussi réarranger un peu la phrase pour qu’elle soit grammaticalement correcte. Cela donne des résultats un peu déstabilisant concernant la jurisprudence dans l’exemple 2 avec l’invention du verbe « restime » (peut-être un mot valise anglais faisant référence au temps du repos et donc au temps de réflexion avant d’invoquer des moyens de droit). Déjà que l’arrêt Dauvin n’était pas très clair, il devient carrément incompréhensible. Il est vrai que l’accumulation des deux arrêts a été critiquée comme laissant trop de devoirs aux parties (soulever tous les moyens de droit et ne pas pouvoir compter sur le juge pour en soulever un d’office). Les mots inventés par le text mixer n’ont été filtrés par aucune censure ou autocensure, ils ouvrent des horizons juridiques et linguistiques en mettant des mots sur des réalités insaisissables : la séparaissance lorsqu’une personne renait après une séparation, ou la papersonne qui n’est plus tout à fait une non personne mais pas encore tout à fait une personne (ou en franglais, du papier qui sonne, comme des textes juridiques qui sonnent bien).

94.- Tirade (du nez)

Par Alicia Mâzouz et Camille Porodou

 

DEFINITION :

La contrainte de la tirade (du nez) mobilise des dispositions juridiques sans nécessité de liens apparents entre elles sous la forme d’une tirade.

APPLICATION :

 

L’application s’appuie sur la structure de la célèbre tirade du nez de Cyrano de Bergerac. Les dispositions mobilisées sont toutes issues du Code civil. La ponctuation originaire du texte a été conservée.

« Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !

On pouvait dire sur le droit civil bien des choses en somme.

En variant le ton, – par exemple, tenez :

Agressif : La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ! (article 544)

Amical : En fait de meuble la possession vaut titre ! (article 2276 alinéa 1)

Descriptif :  Tout français jouira des droits civils ! (article 8)

Curieux :  Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence (article 16-1-1)

Gracieux :  Les mots « meubles meublants » ne comprennent que les meubles destinés à l’usage et à l’ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature  (article 534 alinéa 3)

Truculent :  Tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s’écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin ? (article 681)

Prévenant :  La solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas ! (article 1310)

Tendre :  Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ! (article 514-4)

Pédant : Les atterrissements et accroissements qui se forment successivement et imperceptiblement aux fonds riverains d’un cours d’eau s’appellent « alluvions » ! (article 556 alinéa 1er)

Cavalier : A la suite du divorce, chacun des époux perd l’usage du nom de son conjoint ! (article 264)

Emphatique :  Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ! (article 4)

Dramatique :  Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ! (article 212)

Admiratif :  La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ! (article 16)

Lyrique :  Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1240)

Naïf :  Chacun a droit au respect de sa vie privée (article 9 alinéa 1er)

Respectueux :  L’obligation qui lie plusieurs créanciers ou débiteurs se divise de plein droit entre eux ! (Article 1309 alinéa 1er)

Campagnard :  Les pigeons, lapins, poissons, qui passent dans un autre colombier, garenne ou plan d’eau visé aux articles L. 431-6 et L. 431-7 du code de l’environnement appartiennent au propriétaire de ces derniers, pourvu qu’ils n’y aient point été attirés par fraude et artifice ! (article 564)

Militaire :  La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ! (Article 2)

Pratique :  L’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ! (Article 312)

Assurément, Monsieur, ce sera le gros lot ! Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot :
Le voilà donc ce droit qui sous la plume de son auteur

Tente d’enterrer l’émotion

Il en rougit, le traître ! – Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit : Mais d’esprit, ô le plus lamentable des êtres,
Vous n’en eûtes jamais un atome, et de lettres Vous n’avez que les quatre qui forment le mot : juge ! Eussiez-vous eu, d’ailleurs, l’invention qu’il fautPour pouvoir là, devant ces nobles galeries, Me servir toutes ces folles plaisanteries,Que vous n’en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du commencement d’une, carMoi législateur, je me les sers moi-même, avec assez de verve Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve.

COMMENTAIRE :

La contrainte de la tirade est née d’une réflexion relative à la contrainte « émotions ». Et si les textes du droit pouvaient être utilisés pour désigner des émotions, des états intérieurs ? Ils deviendraient alors des outils pour apostropher : tel Cyrano, le ou la juriste prendrait son fleuret pour piquer les esprits de sa pointe juridique.

95.- Tiret (ou trait d’union)

Par Romain Rousselot

DÉFINITION

La contrainte vise à réécrire un texte juridique en ajoutant ou en retirant des tirets. On peut considérer comme tiret le trait d’union (dit « quart de cadratin », ou « tiret du 6 »), le tiret bas (dit « sous tiret » ou « tiret du 8 »), le slash, le tiret moyen (dit « semi-cadratin ») utilisé pour les incises, le tiret long (dit « cadratin ») utilisé dans les dialogues ; en somme tout trait de ponctuation (donc même le soulignement notamment dans les conclusions d’avocat et, éventuellement, le trait courbe qu’est la parenthèse).

APPLICATION :

1.- Le début de l’article 515-14 « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité »

DEVIENT :

« Les animaux sont des êtres vivants — doués de sensibilité ».

2.- L’article 3 § 5 du Traité de l’Union européenne : « Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l’homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies. »

DEVIENT :

 « Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix – à la sécurité – au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples – au commerce libre et équitable – à l’élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l’homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies. »

COMMENTAIRE :

Le tiret d’incise est fait pour une énumération ou une proposition indépendante insérée dans une phrase. Ainsi la charte éditoriale du guide de légistique indique comme exemple : « À l’intérieur de cette zone, le préfet détermine – en accord avec les autorités précédemment citées – les limites… ». Cette phrase garde un sens si l’on enlève l’incise. L’incise est ici une condition, plus exactement elle rappelle une condition. Elle constitue une nuance. Puisqu’elle change le sens de la norme, il est donc dangereux de l’insérer dans un texte normatif.

Ainsi, dans l’exemple 1, le tiret peut vouloir dire qu’il existe des êtres vivants dénués de sensibilité. On pourrait imaginer un autre tiret : « — non doué de sensibilité ». Le mot sensibilité est-il alors à comprendre comme sentiment ou sensation ? Le tiret apporte une précision ou crée une sous-catégorie.

Dans l’exemple 2, l’utilisation de tirets fausse complètement le sens du texte. Les éléments mis en incises semblent devenir la précision, si ce n’est le sens réel, de l’élément qui les précède alors que le texte originel les met sur un plan d’égalité. De cette façon, la paix et la sécurité au lieu d’être deux notions distinctes se confondent avec un accent mis sur la sécurité. De même dans la réécriture, le respect entre les peuples semble se réduire au commerce libre et équitable, comme si ce respect n’avait pas d’autres dimensions (culturelles par exemple).

 

 

 

 

96.- Traduction

Par Romain Rousselot

DEFINITION :

La contrainte entend créer du droit à l’aide d’un site de traduction automatique. Un texte juridique français est traduit dans plusieurs langues avant d’être retraduit en français pour vérifier les éventuelles déviations. Le résultat dépend très largement de l’algorithme de traduction puisque, selon les sites, on parvient à des résultats différents.

APPLICATION :

L’article 545 CC « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité »

DEVIENT avec le site Reverso :

« Quant à n’importe qui de lui ne peut pas être forcé dans l’abandon d’elle ; il est pour un but public et une blondeur et n’est pas l’amour d’une pièce détachée ».

DEVIENT avec le site Google Translation :

« Personne n’est obligé de transférer ses biens, sauf pour une bonne cause et une raison valable et une compensation préalable. »

Ainsi, il apparaît que le site Google Translation était plus performant que Reverso lors de l’exercice. La traduction ne revient certes pas au résultat d’origine, mais la phrase est grammaticalement correcte – quoique d’un piètre style – et possède un sens juridique.

COMMENTAIRE :

La traduction est en elle-même une contrainte et les algorithmes sont parfois incapables de saisir certaines expressions ou graphies. Ainsi comment traduire « cy-près » ? Cette expression vient du français et se dit d’une distribution d’indemnité qui ne revient pas aux titulaires (car ils ne sont pas atteignables) mais à un autre organisme (caritatif, par exemple). On pourrait proposer « redirigée » à propos de l’indemnité. Mais tous les sites de traduction automatique enlèvent le tiret du milieu, manu militari, et traduisent le Cyprès, l’arbre.

Selon les types d’algorithme la contrainte présentera ou non un intérêt oudropien,,. Dans le cas de Reverso, le résultat final n’est pas un Oudropo,, car il paraît bien difficile de déceler ici un droit nouveau : la phrase n’a tout simplement pas de sens.

En revanche, par un autre algorithme, on peut parvenir à un résultat intéressant. L’exercice mené par Google Translation donne une phrase avec un sens juridique. Mais ce sens est sensiblement différent de celui du texte d’origine.

D’une part, le nouveau texte a un champ d’application plus large, puisqu’il s’applique à tout transfert de biens et non aux seules expropriations. D’autre part, il soumet tout transfert de bien à trois conditions :

  1. Une « bonne cause » : ici cela ne soulève pas de difficultés : la notion est, à peu de choses près, connue en droit français ;
  2. Une « raison valable » : ici, l’interprétation est plus délicate mais, en forçant un peu le texte, on pourrait l’interpréter comme l’exigence d’un objet licite ;
  3. Une « compensation préalable » : ici, trois conséquences nouvelles apparaissent. Premièrement, un transfert de bien à titre gratuit devient illégal. La conséquence est que le don n’existe tout simplement plus et que, par exemple, les héritiers devront désormais acheter leur héritage… Deuxièmement, le paiement doit toujours être préalable au transfert : pas de paiement à livraison ou à terme. Troisièmement, le paiement est une « compensation ». Au sens commun, une compensation implique le rétablissement d’un équilibre. Le nouveau texte exige donc un équilibre entre prestation. C’est cohérent avec l’interdiction de transfert gratuit, mais soulève la question, bien connue en droit, de l’équivalence entre les prestations.

Finalement, par le jeu de la traduction automatique, le texte cesse d’être une disposition spécifique à une question juridique précise – l’expropriation – pour devenir une sorte de règle générale en matière d’obligations. Cette nouvelle règle soulève des éléments étranges pour le juriste – l’interdiction des transferts gratuits.

Au-delà de l’intérêt proprement oudropien cette contrainte pose tout de même une difficulté juridique car certains sites, comme Reverso, passent systématiquement par l’anglais à chaque nouvelle langue, si bien qu’en réalité ce texte est repassé par l’anglais au moins deux fois. Ce qui paraît être une traduction automatisée est en réalité une forme de créolisation de l’anglais (mélange de l’anglais et des autres langues ; v. Fr.  Kaplan et D. Kianfar, « Google et l’impérialisme linguistique, Il pleut des chats et des chiens », Le Monde Diplomatique, Janvier 2015, page 28). Or, la traduction juridique est une forme particulière de traduction souvent réservée à des spécialistes car il s’agit de conserver la force normative d’un énoncé. Les algorithmes utilisés par ces traducteurs (heureusement à titre d’aide seulement ; v. aussi le site IATE qui réunit les traductions déjà réalisées des juristes linguistes de l’Union européenne) peuvent par conséquent générer des biais et imposer très subtilement la manière de penser du Common Law.

·  U.

97.- Ubu

Par Camille Porodou

DEFINITION :

La contrainte consiste à imaginer un ministre voire un roi ou un président qui ne respecte pas le droit et les droits.

APPLICATION :

Un ministre faisant passer les circulaires avant les décrets et avant les lois tout en privilégiant les déclarations provocantes et fausses à l’encontre de ses administrés pourrait être qualifié d’Ubu-Droit. On pourrait aussi imaginer deux ubus, Ubus et Ubut l’un carré allant droit au but, l’autre fantasque errant par le bus.

COMMENTAIRE :

Carbonnier écarte Ubu de la qualité de législateur (rééd. JCP n° 51, 14 Décembre 2015, doctr. 1407, « Études de psychologie juridique », Annales de l’université de Poitiers (1949) – Extraits : « 11.–  Quelle force donc pousse ainsi certains hommes à donner des lois à leurs semblables ? Ce n’est pas, encore une fois, un besoin de commander, de subjuguer les autres hommes, de les réduire en esclavage, de s’en servir comme de moyens. Le fou légiférant, ce n’est pas Ubu-Roi. Ubu-Roi, se vautrant dans les joies matérielles du pouvoir, gouverne, tyrannise, mais, bien qu’il prétende réformer la justice et les finances à coup de serpe, il ne légifère pas réellement. La jouissance du fou légiférant est d’une espèce plus rare. Ce qui l’attire dans la loi, c’est l’universel, c’est l’éternel », l’auteur cite alors Justinien et Napoléon. Il n’empêche que parfois le législateur ou le juge se transforme en Ubu-droit : « Dix ans après, la Cour de cassation ajoutait à l’inhumanité de l’arrêt des sabots, le grotesque de l’arrêt du Canal de Craponne (Cass. civ., 6 mars 1876 : Bull. civ., n° 25 ; DP 1876, 1, p. 193) en décidant qu’une redevance périodique fixée trois siècles avant restait intangible dès lors qu’aucune clause de révision n’avait été prévue à l’origine. « Ubu droit » a ainsi précédé « Ubu roi » inventé en 1896 par Alfred Jarry ». (Lois et règlements – L’interprétation du droit au risque de l’absurde – Libres propos par Pierre Sargos, JCP G n° 37, 11 Septembre 2017, 922). De manière plus classique, on relèvera les exemples ubuesques relevés par le défenseur des droits ainsi X. Bioy note : « Dans un rôle plus classique, relevant de la mission de médiation, le Défenseur revient sur les tendances à l’inertie de l’administration. Il évoque particulièrement l’accessibilité des organes d’aide sociale, domaine privilégié d’accès aux droits. Le contact (défaut d’accueil au profit des formulaires en ligne et des standards téléphoniques ou plateformes payantes) et le défaut de motivation ou d’explication des décisions ou des demandes de complément de dossiers irritent le Défenseur des droits qui donne des exemples dignes du roi Ubu. Tout cela accroît la fracture entre ceux qui disposent des moyens de franchir ces barrières et les autres. Plusieurs recommandations ont trait aux délais de traitement des dossiers administratifs, notamment le cas particulièrement médiatisé des nouveaux retraités qui ne bénéficient pas d’allocation plus d’un an après la cessation de leur activité » (Défenseur des droits – Protéger les droits des « non-publics de l’action publique » À propos du rapport du Défenseur des droits pour l’année 2014 – Aperçu rapide par Xavier Bioy, JCP G, n° 8, 23 Février 2015, 210). La contrainte UBU rejoint alors la contrainte Kafka en ajoutant une touche étatique et verticale.

V

98.- Virgule

Par Camille Porodou

DEFINITION :

Cette contrainte consiste à changer le sens d’une règle en modifiant l’emplacement de la virgule, en la retirant ou en l’ajoutant.

APPLICATION :

Par exemple, le commandement : « mangeons, grand-père » n’a pas le même sens que « mangeons grand-père » (v. Anthologie, 2017).

Les alinéas 4 et 5 de l’article 1 de la Constitution de 1958 « La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ». Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple »

DEVIENNENT :

« La devise de la République est « Liberté, Égalité ».

Fraternité, son principe est : gouvernement du peuple par le peuple, et pour le peuple ».

COMMENTAIRE :

Dans l’application ci-dessus, la devise se limite à « Liberté, Égalité » tandis que la fraternité devient le principe de la République et se traduit par le gouvernement par le peuple ; le déplacement de la virgule après « par le peuple » paraît reléguer « et pour le peuple » dans une position secondaire, comme si on se rappelait qu’il fallait aussi que le gouvernement soit pour le peuple. Les anciens auteurs utilisaient davantage le « ; » que les modernes.

Dans un paragraphe des points virgule signalent une rupture dans le lien logique. Or, dans une société de plus en plus complexe, on constate que la ponctuation se fait de plus en plus simple. Le « ; » est sophistiqué et de moins en moins utilisé en droit sauf dans un texte énumératif (v. J. Drillon, Traité de la ponctuation française, Tel Gallimard, 1991).

99.- Voyelle

Par Nathalie Dion et Emmanuel Jeuland

DEFINITION :

Il s’agit de remplacer une voyelle par mot dans un énoncé juridique ou bien d’ajouter une voyelle dans un concept juridique.

APPLICATION :

1.- Le premier alinéa de l’article 1 de la constitution de 1958, selon lequel : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale »

DEVIENT avec la voyelle O : « La Fronce est une Répu-bloque, on dit : visible loque, démocra-toc et socialo ».

2.- L’article 16 DDHC dispose : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution »

DEVIENT (avec la voyelle i et un soupçon de contrainte proxémique) :

« Toit de cécité dans la quille de la gérontie des Dix rois ni plus fissurée, ni la respiration des Poivres déterministes, ni poignées de dentition ».

3.- Les deux premiers alinéas de l’article 16-1 CC

« Chacun a droit au respect de son corps.

Le corps humain est inviolable »

DEVIENNENT :

« Chacun a drait au respect de son carps.

Le carps humain est invialable ».

COMMENTAIRE :

Les deux premiers exemples montrent les effets parfois décapants de l’Oudropo,,. La 2ème application permet même de réaliser un saut quantique avec l’une des dispositions les plus importantes du droit français. Il s’en dégage un regard critique sur une potentielle gérontocratie.

 

Concernant le 3° exemple, une brève étude de la valeur symbolique des voyelles peut être utile. Selon le Dictionnaire des symboles (J. Chevalier, A. Gheerbrant, Robert Laffont, 1982, v° Voyelle) « la prédominance d’une voyelle dans un mot, un discours, un style, serait lourde de sens, d’une valeur symbolique (…) propre à agir sur la sensibilité et l’entendement de l’auditeur, sans qu’il en prenne conscience ». La voyelle A, présente notamment dans « inviolable »,  évoquerait  le grave, l’ample, le tragique, le majestueux (Dictionnaire des symboles, op. cit.). La voyelle A  apporte à l’article une certaine gravité.

La voyelle O présente dans « droit », « corps » et « inviolable » fait écho, quant à elle, à l’ordonné, l’ordre, le haut, l’inexorable (Dictionnaire des symboles, op. cit.). Cette voyelle introduit dans l’article un ordre imposé. Les deux voyelles A et O lui apportent de la solennité.

On peut aussi noter que le 3° exemple terminant par le « carps humain est inviolable » peut se lire de la façon suivante :  le « quart humain est inviolable », ce qui sous-entendrait qu’il est possible de disposer des trois quarts restants.

En hébreu, les voyelles sous forme de points ou de tirets sont placées en haut et en bas des consonnes, elles servent aussi de cantillations musicales pour chanter les versets, et possèdent un sens ésotérique : le secret des textes est dans les voyelles.

W

100.- W

Par Frédéric F. Martin (ajout d’E. Jeuland)

DEFINITION :

Comme le W de Perec et son Je me souviens, le W Oudropien consiste à partir à la recherche du temps d’avant, lorsque le droit n’avait pas de sens (ou l’inverse).

APPLICATION :

 

1.- Je n’ai pas de souvenir juridique d’enfance. Toutefois je me rappelle d’un moment au cours duquel j’ai compris que ce qui était interdit … ne l’était pas par mes parents, notamment en regardant les feux avant de traverser la rue et en apprenant à respecter les passages cloutés, qui le méritent bien.

2.-: « Je n’ai pas de souvenir d’enfance. Jusqu’à ma douzième année à peu près, mon histoire tient en quelques lignes : j’ai perdu ma mère dans l’attentat du Bataclan à quatre ans, et à sept, mon père dans l’épidémie de la Covid-19 ; j’ai traversé la pandémie grâce à la réversion de diverses pensions. En 2025, la sœur de mon père et son mari m’adoptèrent. J’ai  passé le reste de mon enfance à essayer de devenir un athlète complet. Les normes étaient celles de la perfection, de la force et de la précision. Jusqu’au permis à point que jamais je ne transgressais, jamais je ne buvais ou ne mangeais gras ou sucré, toujours avalais cinq fruits et légumes par jour. J’étais toujours habillé comme il fallait maîtrisant tous les codes, sachant poser impeccablement sur une table couteaux, fourchettes et verres. Je devins ainsi chef de la compliance à l’AFNOR, parfaitement adapté et diligent, marié, deux enfants, une fille, un garçon, un chien et un chat. J’ai appliqué les normes ISO à la société AFNOR afin qu’elles soient parfaitement conformes. J’ai suivi les process à la minute près et managé de manière assertive, faisant grandir l’équipe de mes collaborateurs dans des workbloks et des steering committees. Je n’ai eu de cesse d’assouplir la fiction du monde à la réalité des normes, de briser toutes les tentatives de fantaisie et de développer les normes techniques incendie et électrique. Il n’y a pas d’indicateur que je n’ai pris en compte pour atteindre les objectifs qui m’étaient assignés. J’ai soigné mon IMC. Un jour, j’ai atteint le sommet de la gloire : je suis devenu un président normal ».

COMMENTAIRE :

Cela confirme, d’une part, que la démarche réflexive est un élément structurant du droit sans lequel celui-ci n’a pas de sens. Cela confirme aussi, d’autre part, qu’en matière juridique comme ailleurs, toute personne qui se retourne sur son passé risque de le retrouver graver dans son dos (le dos peut symboliser une part de notre mémoire transgénérationnelle ou notre inconscient).

Z.

101.- Zèbre

Par Hélène Thomas

DEFINITION :

La contrainte consiste à rayer un texte en le biffant afin de créer une nouvelle norme.

APPLICATION :

L’article 16 DDHC dispose : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

DEVIENT :

L’article 16 DDHC dispose : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ’intuition ».

COMMENTAIRE :

Dans cette application, une certaine cohérence subsiste malgré la « rayure » des mots « droits » et « pouvoirs » ainsi que la substitution du mot intuition à celui de constitution. Cette société offre des garanties au sens large et maintient actives les intuitions des citoyens. Le mot séparation paraît essentielle pour maintenir la stabilité d’une société en éliminant notamment les relations incestueuses ou de dépendances abusives.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Liste des contributeurs par ordre alphabétique

Valérie-Laure Benabou, professeure de droit privé à l’Université de Versailles-Saint-Quentin Paris-Saclay

Nathalie Dion, maître de conférences HDR à l’Université d’Orléans

Nissim Elkaim, doctorant à l’université Panthéon-Sorbonne au sein de l’IRJS

 

Alexandre Flückiger, professeur de droit public à l’université de Genève.

Gaële Gidrol-Mistral, Professeure à l’UQAM (Montreal)

 

Emmanuel Jeuland, Professeur de droit privé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

Frédéric Martin, professeur à l’université de Créteil Paris Est

Alicia Mâzouz, maîtresse de conférences à l’Université catholique de Lille, 

 

Viveca Mezey, docteure de l’université Panthéon-Sorbonne au sein de l’IRJS

 

Romain Rousselot, doctorant à l’université Panthéon-Sorbonne

Guillaume Simiand, professeur de lettres à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

 

Dorothée Simmoneau, maître de conférences à l’Université de la Rochelle

 

 Hélène Thomas, professeure de sciences-politiques à l’université d’Aix-Marseille.

 

Pierre-Yves Verkindt, Professeur émérite de droit privé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Clarisse Wallerand, doctorante à l’université Panthéon-Sorbonne au sein de l’IRJS

 

Anne-Laure Sterin, juriste.

vbenabou@club-internet.fr « , professeure de droit privé à l’Université de Versailles-Saint-Quentin Paris-Saclay

« dionnathalie » , Maître de conférences à l’Université d’Orléans

 

 

Nissim Elkaim, nissim_elkaim@hotmail.com, Doctorant à l’université Panthéon-Sorbonne au sein de l’IRJS

 

AlexandreFlueckiger » <Alexandre.Flueckiger@unige.ch>, professeur de droit public à l’université de Genève.

« Gidrol-Mistral » ,

 

 

Emmanuel Jeuland, emmanueljeuland@wanadoo.fr,  Professeur de droit privé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

«  frederic.martin@u-pec.fr> , professeur à l’université de Créteil Paris Est

Alicia Mâzouz , alicia.mazouz@gmail.com, Maîtresse de conférences à l’Université catholique de Lille, 

 

mezey.vivecagmail.com » , doctorante à l’université Panthéon-Sorbonne au sein de l’IRJS

 

« romain.rousselot1gmail.com » , doctorant à l’université Panthéon-Sorbonne au sein de l’IRJS

« gsimiandgmail.com » , professeur de lettres à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Dorothee.Simonneauuniv-paris1.fr »

 

dorothee.gairesimonneau@univ-lr.fr> ; Maître de conférences à l’Université de la Rochelle

 

 

 « THOMAS Helene » ,  professeure de sciences-politiques à l’université d’Aix-Marseille.

 

« pyverkindtgmail.com » Professeur émérite de droit privé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Clarisse Wallerand, clarisse.wallerand@free.fr

doctorante à l’université Panthéon-Sorbonne au sein de l’IRJS

 

Anne-Laure Sterin annelaure.sterin@free.fr>, juriste.

[1] Cette ligne est le fruit d’un atelier en temps réel.

[2] Jérémy Bentham, A fragment on Government, Clarendon Press, 1891, p. 230 et s., notamment p. 232 – 233.

[3] François Gény, Science et technique en droit privé positif: nouvelle contribution à la critique de la méthode juridique, T. I, op. cit., p. 153 ; Charles Eisenmann, « Quelques problèmes de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique », loc. cit., p. 30 et s.

[4] Voir infra « Écriture exclusive ».

[5] Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extraatmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, 27 janvier 1967, art. 1, al. 3.

[6] É. ANNAMAYER « Infrastructures, transports et logistique – L’objectif de couverture de réseaux 5G, source d’adaptation de l’encadrement juridique », Énergie – Environnement – Infrastructures n° 2, Février 2021, dossier 6.

[7] Dobrescu Radu, « La distinction Rousseauiste entre volonté de tous et volonté générale : une reconstruction mathématique et ses implications pour la théorie démocratique », Revue canadienne de science politique, 42/2, 2009, p. 467-490.

[8] https://oulipo.net/fr/contraintes/oblique (site consulté le 15 décembre 2020).

[9] V. Supra, « Contrainte de l’évaluation (1) ».

[10] Louis Lavelle, Traité des valeurs, T. I, Éd. PUF, Coll. Dito, 2ème éd., 1991, p. 234 et s.

[11] Karl Schmitt, Die tyrannei der werte, [1959], tr. fr. J.-L. Schlegel, La tyrannie des valeurs ou le chemin de l’enfer est pavé de valeurs, réimp. in Société, droit et religion, vol. 5, n°1, 2015, p. 21-32, notamment p. 27.

[12] Louis Lavelle, Traité des valeurs, T. I, op. cit., p. 234 et s.

[13] Vous pouvez retrouver d’autres exemples d’illustration sur mon site https://www.fenetresurcoursdedroit.com/

[14] J. Balogh, « Rex a Recte Regendo », Speculum, 3/4, 1928, p. 580-582 ; M. Turchetti, Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, Paris, Classiques Garnier (« Bibliothèque de la Renaissance », 11), 2013, p. 229-230.

[15] Selon ce « prince des penseurs », « la science du con fit naître la conscience » (J.-P. Brisset, Le mystère de Dieu est accompli, En gare d’Angers (Saint-Serge), 1890, p. 105). Il précise : « Tout ce qui est écrit dans la parole et s’y lit naturellement, est vrai. Les sons qui s’écrivent clairement de plusieurs manières, sont vrais sous toutes les formes et présentent entre eux un rapport mathématique logique, unr origine unique » (ibid., p. 38). V. la contrainte Paronomie.

[16] Louis Lavelle, Traité des valeurs, T. I, Éd. PUF, Coll. Dito, 2ème éd., 1991, p. 521.

[17] Raymond Polin, La création des valeurs, éd. Librairie philosophique J. Vrin, 3ème éd., 1977, p. 122.

[18] Louis Lavelle, Traité des valeurs, T. I, op. cit., p. 228.

[19] Raymond Polin, La création des valeurs, op. cit., p. 102.

[20] Id.

[21] Id.

[22] Louis Lavelle, Traité des valeurs, T. I, op. cit., p. 233 et s.

[23] À ce propos, v. par ex., George Edward Moore, Principia ethica, Éd. Cambridge University Press, 1922, p. 17 ; Charles Kay Ogden et Ivor Armstrong Richards, The Meaning of Meaning: a study of the influence of language upon thought and of the science of symbolism, Éd. Harcourt, Brace and World, 1923, p. 226 ; v. encore John Leslie Mackie, « Ethics : Inventing Right and Wrong », éd. Penguin Books, coll. Pelican books, 1977, p. 38 et s.

[24] A. F. Berner, Wirkungskreis des Strafgesetzes, nach Zeit, Raum und Personen, Berlin, 1853, p. 2.

[25] « Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. » Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, art. 2 in fine.

[26] V. à ce sujet, Gregorio Peces-Barba, « De la fonction des droits fondamentaux », in Le patrimoine constitutionnel européen, Actes du séminaire UniDem organisé à la Faculté de droit de Montpellier les 22 et 23 novembre 1996, Centre d’études et de recherches comparatives constitutionnelles et politiques, Éd. Conseil de l’Europe, Coll. Science et technique de la démocratie, 1997, p. 210-222 ; v. égal. Luigi Ferrajoli, « Théorie des droits fondamentaux », in Dominique Chagnollaud et Michel Troper (dir.), Traité international de droit constitutionnel, Théorie de la Constitution, Dalloz, coll. Traités Dalloz, 2012, p. 212.

[27] Norberto Bobbio, « Kelsen et les sources du droit » [1981], réimp. in Essais de théorie du droit, Éd. LGDJ, Coll. La pensée juridique, 1998, p. 234.

[28] Hans Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p. 196.

[29] H. Kelsen, Reine rechtslehre, tr. ad. fr. H. Thévenaz, Théorie pure du droit, suivie de M. Van De Kerchove,

L’influence de Kelsen sur les théories du droit dans l’Europe francophone, op. cit., p. 122.

[30] Ibid., p. 122-123.

[31] https://oulipo.net/fr/contraintes/inventaire (site consulté le 15 décembre 2020).

[32] Fr. Kafka, Le Procès, nouvelle trad. de l’allemand et postface de Stefan Kaempfer, Paris, Écriture, 2017.

[33] J. F. Manning, « The Absurdity Doctrine », Harvard Law Review, 116, 2003, p. 2387.

[34] « Voyage en Absurdie », D 2019 n°37, éditorial, p. 2033.

[35] Sur la définition de la règle de droit comme modèle, v. Antoine Jeammaud, « La règle de droit comme modèle », D. chron., vol. 28, 34, 1990, p. 199-210 ; v. encore François Brunet, La normativité en droit, Éd. Mare & Martin, Coll. Bibliothèque des thèses, 2012, p. 217 V. aussi C. Thibierge ????

[36] Paul Amselek, Cheminements philosophiques dans le monde du droit et des règles en général, op. cit., p. 124-127.

[37] Paul Amselek, Cheminements philosophiques dans le monde du droit et des règles en général, op. cit., p. 124.

[38] Ibid., p. 125.

[39] V. Infra, « Contrainte de la jauge ».

[40] Paul Amselek, Cheminements philosophiques dans le monde du droit et des règles en général, op. cit., p. 87.

[41] Sur le développement de la fonction promotionnelle du droit, v. Norberto Bobbio De la structure à la fonction : nouveaux essais de théorie du droit, tr. David Soldini, Éd. Dalloz, Coll. Rivages du droit, 2012.

[42] « Le seul critère objectif est l’inscription de l’architecte au tableau de l’Ordre. Le reste n’est que conjecture : ce n’est pas au vu des imprimés Cerfa de demandes de permis de construire accompagnés des pièces à joindre selon la nature ou la situation du projet que l’instructeur peut asseoir ses soupçons, qui ne peuvent en effet être étayés par aucune preuve tangible au stade de l’instruction du permis de construire. » Assemblée nationale, Loi Création, Architecture et Patrimoine, Amendement 3583, non soutenu, 2016-03-18 (https://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3583/AN/48.asp), consulté le 2021-01-22 (AN, Loi Création…pdf).

ici pour ajouter votre propre texte

La seconde anthologie de l’Oudropo,, (2020-2021) est intitulée 101 contraintes oudropiennes par temps de pandémie, elle est ci-jointe en pré-publication à corriger (publication prévue en 2023)

L’OUVROIR DE DROIT POTENTIEL EST PARU le 18 décembre 2017.

OUvroir de DRoit POtentiel : Anthologie 2013-2017

Camille Porodou (dir. scientifique)

Éditeur : IRJS Editions

Collection / Série : Bibliothèque de l’Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne – André Tunc ; 90

Prix de vente au public (TTC) : 23 €

icône livre

140 pages ; 24 x 16 cm ; broché

ISBN 978-2-919211-77-7

EAN 9782919211777

Mots-clés : Droit

Résumé : L’idée de créer un Oudropo sur le modèle de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle qui existe depuis 1960) est venue après quelques mois d’existence d’un séminaire doctoral de théorie du droit. Il s’agit donc d’un OuXpo (un ouvroir potentiel d’une discipline X, il existe des ouvroirs en matière de musique, de cinéma, d’architecture, etc.). C’est en septembre 2013 que l’on peut situer la naissance de l’Oudropo,, (OpenPoLaw en anglais) ainsi que celle du site internet éponyme (Oudropo.com). Le Manifeste rédigé en 2014 dispose à l’article 2 : « A l’aide d’une contrainte librement choisie, il sera créé du droit : norme, acte, lien, prérogative ou personne juridique ». L’Oudropo,, est donc un espace d’ inventivité juridique et de théorie du droit. Il s’agit bien de générer du droit à l’aide de contraintes que les membres se fixent à eux-mêmes. L’Oudropo,, se déploie, sous l’égide bienveillante de Camille Porodou, selon deux axes de créativité, un axe interprétatif et un axe compositionnel. Il ne s’agit pas ici de créer du droit opérationnel, le légiste est là pour cela. Il s’agit plutôt de produire du droit potentiel, disponible pour toute personne qui voudra s’en emparer. Comme dans le théâtre ou la musique, il convient d’opérer alors , une distinction entre l’interprétation et la composition. A quoi tout cela sert-il ? En dehors de retombées théoriques relativement imprévisibles, le grand apport de la démarche oudropienne est pédagogique. Elle permet, en effet, une respiration et donne par là même aux étudiants la possibilité de desserrer quelque peu le carcan positiviste (dont nul ne nie le caractère structurant mais qui poussé à l’extrême conduit à un certain dessèchement de la pensée). Bien plus, la démarche a montré qu’elle offre des méthodes permettant de sortir d’un blocage dans une recherche en droit.